TEMOIGNAGES. Profs, la passion demeure mais jusqu'à quand ?

Avec un nombre de candidats en chute libre et un agacement face au manque de reconnaissance, le métier de professeur est en crise. Pourtant, l’attachement pour la fonction est loin d’avoir disparu. Passion pour la transmission, curiosité permanente… des enseignants, actuels et en devenir, témoignent de leur motivation. Une détermination réelle, mais pas éternelle.

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Il est 15h30 à Saint-Martin-du-Vivier, près de Rouen. La cloche de l’école élémentaire Joseph Emery sonne dans une heure. La journée touche à sa fin : les enfants sont peut-être plus agités, moins concentrés ? Non. Du moins, pas dans la classe de Julie Garnault, enseignante en CE1-CE2, où chaque élève réalise la tâche qui lui incombe, exactement à la place où il doit être… tout en s’amusant.

Car leur maitresse a mis en place un judicieux système de roulement. Sur un grand tableau tactile, les élèves voient dans quel groupe ils sont et quels ateliers ils doivent rejoindre. Un minuteur permet de changer de "postes de travail" toutes les 10 ou 15 minutes.

Les activités sont nombreuses : en solo, le boitier Veritech leur permet de s’exercer aux maths et de s’autocorriger. Chacun œuvre en silence, absorbé.

En duo, ils peuvent s’affronter sur des tablettes tactiles lors d’un "défi tables" (en référence aux tables de multiplications). La compétition étant de mise, les élèves se dandinent plus sur leur chaise et enchainent les calculs à trous.

A quatre, c’est jeu de société. Un premier groupe travaille en autonomie durant une partie où il faut, semble-t-il, calculer ses œufs. (Cet article n'expliquera pas les règles du jeu, que le journaliste n'a pas compris). Un deuxième groupe de quatre s'affaire autour d’une variante de "La Bonne Paye". Cette fois, Julie Garnault est de la partie : la maitresse s’est muée en banquière. "Jules a 8 billets de 10, ça veut dire qu’il a combien ? Quatre…."."Quatre-vingts euros !" répondent en chœur les élèves.

Les élèves s'amusent, leur maitresse aussi

Des ateliers comme ceux-là, Julie en fait le plus souvent possible "pour réinvestir les connaissances apprises en classes de manière classique sous d’autres formes". Résultat : les enfants en redemandent. Ils reproduisent même ces « jeux » en récréation. "Ils se rendent compte qu’ils travaillent", analyse Julie, "mais ils s’amusent".

Elle aussi s’amuse. "Je me fais plaisir, j’avoue", sourit-elle. "C’est du temps de préparation, mais je ne regrette pas". Quand on lui demande ce qu’elle aime dans son métier de professeur des écoles, Julie Garnault répond : "tout ce qu’on peut faire dans la journée". Anglais, maths, histoire… "on voit Christophe Colomb, le calcul et le présent de l’indicatif dans une même journée".

Mais ce qui la motive le plus, c’est apprendre aux enfants des choses qui ont un sens dans la réalité. Tout faire pour que ce qu’ils voient à l’école leur servent hors de l’école. Elle multiplie alors les projets, les sorties, les ateliers, "des activités qui vont avoir un sens pratique". C’est l’objectif qu’elle se donne, et qui lui impose un temps de préparation conséquent…

C’est une grande joie quand les enfants comprennent tout d’un coup un concept, quand on voit leurs yeux qui s’illuminent.

Isabelle Bailly-Purnu, professeure de mathématiques à Gravigny (27)

"Préparer les cours" : c’est la réponse d’Isabelle Bailly-Purnu quand on lui demande ce qu’elle préfère dans son métier. Professeure de mathématiques au collège Marcel Pagnol de Gravigny, près d’Evreux, elle aime "prévoir les séquences d’enseignement" pour faire en sorte que l’élève "comprenne mieux".

Pendant que nous discutons, elle corrige des copies de géométrie. Ça, elle apprécie moins. Parce que c’est "rébarbatif", déjà. Mais aussi pour une raison plus profonde : "quand on corrige, on se rend compte des erreurs des élèves, des difficultés de compréhension, donc on remet en cause tout ce qu’on a fait avant". Quand un élève n’a pas compris, Isabelle Bailly-Purnu n’en veut pas à l’élève : elle s’en veut à elle-même. Et elle se remet en question.

A l’inverse, "c’est une grande joie quand les enfants comprennent tout d’un coup un concept, quand on voit leurs yeux qui s’illuminent". C’est cette lumière qui lui "permet d’avancer et de continuer". Comme pour beaucoup de ses collègues, la transmission du savoir est à la fois une passion et un moteur.

Pour arriver à ses fins, cela passe par une préparation minutieuse de ses cours. Tout comme pour Julie Garnault, sa collègue du premier degré. Elles ne se connaissent pas, mais ces deux professeures passionnées rangent cette préparation dans ce qu’elles appellent le "travail invisible".

Mais derrière la passion, un travail "épuisant"

En plus du temps en classe, où "il faut être à plus de 100%, tout le temps sur le qui-vive", il y a cette autre partie inhérente au boulot de prof' : penser ses cours, les mettre en forme, imprimer les documents, préparer les contrôles, les corriger, etc. "Le weekend on travaille, le soir on travaille, pendant les vacances on travaille", lance Isabelle Bailly-Purnu. Et selon elle, "ça ne se voit pas, ça n'est reconnu par personne".

Ce n'est pas un sacerdoce, c’est un vrai métier, qui mérite une vraie formation, un vrai salaire et une vraie reconnaissance sociale.

Julie Garnault, professeure des écoles à Saint-Martin-du-Vivier (76)

16h30, la cloche a sonné, les élèves s’en vont, Julie commence sa deuxième journée de maîtresse. Elle qui arrive en classe à 7h45 le matin pour "préparer le tableau, le matériel et distribuer les photocopies" utilise sa fin de journée pour "ranger, nettoyer, corriger les cahiers, fabriquer les fiches de travail, planifier pour que tout rentre dans une journée, préparer les jeux".

Car ce fameux jeu ressemblant à la Bonne Paye, ou cet autre qu’elle prépare sous nos yeux (une sorte de jeu de l’oie avec des marmites et des trèfles, pour apprendre le lexique de la Saint Patrick), elle les a créés elle-même. Elle trouve l’idée, rédige les règles, fabrique les jetons, plastifie le plateau. Alors, oui, cela amuse cette passionnée de jeu de société. Mais ce "travail permanent" rend ce métier "fatigant, épuisant".

Julie veut être maitresse depuis qu’elle est petite. Pour autant, elle n’aime pas quand on parle de "vocation". "Cela supposerait que c’est quelque chose d’inné, un sacerdoce ; mais c’est un vrai métier, qui mérite une vraie formation, un vrai salaire et une vraie reconnaissance sociale".

Le métier d'une vie ?

Parce que "c’est un métier qui peut user sur le long terme", elle n’est pas certaine de le faire toute sa vie. Isabelle non plus. "Non, je ne suis pas sûre. C’est un métier dévoreur d’énergie. Un métier dur, qui nous épuise".

A l’heure où l’on se demande comment attirer de nouveaux professeurs, une autre question se pose : comment garder ceux qui sont déjà là ? Ceux qui sont passionnés, mais pas sereins, car ce métier les comble et les vide à la fois.

Et les futurs profs, qu’en pensent-ils ?

Le nombre de candidats inscrits aux concours diminuent d’années en années. Selon les chiffres du Rectorat de Normandie, 1963 candidats se sont présentés au CRPE (Concours de Recrutement des Professeurs des Ecoles) en 2023, contre 2189 à la session 2022.

Concernant les concours pour devenir enseignants du 2nd degré, la chute est impressionnante : nous sommes passés de 3338 candidats inscrits en 2022 à 2691 candidats inscrits en 2023. Une baisse de près de 20% en 1 an seulement.

Dans ce contexte de crise d’attractivité, nous sommes allés voir des étudiants de l’INSPE (Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education) de Mont-Saint-Aignan. 4 aspirants professeurs des écoles (ils sont en Master MEEF 1er degré) nous expliquent pourquoi ils veulent faire ce métier, et quels craintes ils pourraient avoir avant d’exercer.

Kevin, 27 ans

"C'est un métier passionnant, exigeant, qui me permettrait de pouvoir transmettre de belles choses aux enfants. Qui me permettrait de m’épanouir et d’épanouir les enfants aussi. J’aimerais transmettre cette envie d’apprendre, qu’ils aient envie de venir à l’école, qu’ils se disent « c’est passionnant ».

C’est un « métier-passion », j’ai envie de l’exercer. Mais on fait quand même une formation pas facile, on passe un concours donc faut réviser toutes les matières, on a des oraux… pour au final avoir 1400€ en début de carrière c’est très peu".

Blandine, 21 ans

"Moi j’ai toujours voulu être professeure des écoles. Ça vaut tout l’or du monde de voir des enfants progresser, évoluer, grandir avec vous, vous admirer. Ils sont fans de leur maitresse, c’est chouette, c’est indescriptible.

Je n’ai pas spécialement de peurs, mais je sais qu’il n’y a jamais de moment OFF. Entre la préparation, la correction… Même en vacance ou en weekend, on a pas de moments où on ne pense pas à la classe, où on peut décrocher".

Aurélie, 21 ans

"Pour moi c’est une véritable vocation. J’adore transmettre le savoir, les connaissances. Mais aussi avoir bon relationnel avec les enfants ou les parents. Aujourd’hui on est partenaire avec les parents, on gère une co-éducation ensemble. Je veux montrer aux élèves qu’on peut croire en ses rêves.

Ma crainte, c’est de ne pas être soutenue par l’Education Nationale. A l’époque, on était reconnu en tant qu’enseignant, et aujourd’hui l’Education Nationale nous laisse de côté. Je trouve cela dommage. Le salaire pour moi, c’est pas forcément important, je fais ça par vocation. Mais faire concours de la fonction publique, un bac +5, pour gagner à peine plus qu’un smic, c’est dommage".

Cynthia, 23 ans

"Ce qui me donne envie de devenir professeure des écoles, c’est le fait d’aimer transmettre le savoir, le fait de donner l’envie d’apprendre aux élèves.
Moi ma crainte surtout c’est la valorisation du métier. D’un point de vue extérieur c’est « vous êtes tout le temps en vacances, vous terminez tôt, vous avez vos mercredi ». Mais sincèrement, moi je suis en alternance et je vois qu’il y a beaucoup de stress et beaucoup de préparation qui ne sont pas assez reconnues."

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