La normande Elise Maurein a écrit "Soleil noir" comme on sauve sa peau, dans l'urgence et avec rage. Un livre libératoire, qui raconte une enfance et une adolescence piétinées par des adultes violents et défaillants.
"J'aimerais dire à toutes les personnes qui en ont besoin, à toutes les victimes de violences, de viol, d'inceste, qu'elles ne sont pas seules, qu'elles sont merveilleuses et innocentes".
Nous avions rencontré Elise Maurein à Rouen en juin dernier, lors d'une réunion publique de la Ciivise, la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants. Des victimes courageuses faisaient alors état des violences subies dans leur enfance, et de la vie douloureuse et accidentée qui en découlait.
Les témoignages glaçants se succédaient les uns après les autres telle une plongée dans les ténèbres, auxquels nous assistions impuissants et silencieux. Son tour de parole venu, Elise raconta quelques fragments de son existence décomposée, puisés dans une vie si cahotique que l'on peinait à imaginer que cette jeune femme si douce et gracile ait pu supporter tant de douleurs. Et nous livrer l'indicible sans peur ni honte.
L'innocence bafouée
A bientôt 40 ans, Elise Maurein a le physique d'une toute jeune fille. Une présence généreuse, un visage doux, et des propos choisis. C'est en confiance qu'elle nous livre des bribes de sa vie chahutée, car l'heure n'est plus à la honte ni à la culpabilité. "Je suis innocente" aime t-elle rappeler à son interlocuteur. L'innocence portée en étendard dès les premières pages de son livre "Soleil noir" : "c'est un livre sur l'innocence. Pas celle que j'ai perdue, ni celle que l'on m'a arrachée. Celle qui fait de moi, ma plume, mon statut, mon salut. Je suis innocente".
Elise avait 6 ans lorsqu'elle a été victime d'inceste de la part du fils de son beau père, un calvaire qui dura jusqu'à ses 11 ans. Pas un adulte autour d'elle n'a pris soin d'elle, petite fille ballottée dans des conflits familiaux, entre une maman malade alcoolique et violente, un beau père dépassé, et un père depuis longtemps démissionnaire. Elevée un temps par son beau père, sa mère ayant perdu sa garde, la jeune fille ira ensuite en famille d'accueil puis en foyer. Au cours de ces années d'errance, Elise subira aussi deux viols collectifs qui la plongeront dans une profonde dépression. Ces drames nourriront sa culpabilité et sa honte, comme si ces horreurs relevaient de la fatalité.
Etre crues et reconnues dans leurs souffrances, les victimes racontent toutes ce chemin effroyable après les violences subies : la difficulté à raconter son calvaire de peur de ne pas être entendues, la peur de porter plainte, la honte, la culpabilité poisseuse qui ne vous quitte plus. Devenues adultes, les victimes transportent toujours ce fardeau.
Après l'inceste, les viols, et les violences familiales qu'Elise a subies dans l'enfance et à l'adolescence, son corps et sa tête se sont mis à dysfonctionner. "Comme beaucoup de victimes qui se reconnaîtront, j'ai été anorexique pour ne pas être un objet sexuel, j'ai été boulimique pour rejeter la pénétration que j'ai subie, j'ai été accro aux médicaments un temps parce qu'il fallait que le cerveau cesse de penser et de réfléchir. Mais il fallait que je passe par tout ça, car sinon je pense qu'à 50 ans je me serais réveillée et me serais foutue en l'air".
"Soleil noir", des ténèbres à la lumière
Comment survit-on à toute cette noirceur ? Elise a toujours aimé la poésie et les mots, qui parfois ébruitent et racontent sans dévoiler. Ses poèmes parlaient de ses blessures sans les divulguer, et préservaient ses terribles secrets du jugement des autres. Mais après une conversation avec des membres de sa famille qui lui reprochent de ne rien faire de sa vie, Elise décide de ne plus rien cacher de cette existence qu'on lui reproche de ne pas mener. Son éditeur lui propose alors de livrer son témoignage plutôt que de publier ses poèmes. "En trois mois j'ai écrit Soleil noir. J'avais la rage envers tous ceux qui ne m'ont pas cru, je voulais rétablir la vérité. Plus j'écrivais, plus je prenais confiance en moi. L'écriture a été douloureuse mais il fallait le faire, me lâcher, même avec des mots crus. On ne m'a pas donné la parole, c'était à moi de la prendre".
Ecrire un livre a été pour la jeune femme une catharsis, et la plus belle façon d'être réhabilitée. "J'ai eu la chance de pouvoir écrire mon histoire. Quand j'ai eu 37 ans, j'ai pensé que je n'avais pas eu de procés, que la justice n'était pas de mon côté. Il a fallu que je fasse mon propre procés, que je dise la vérité, tout ce qui s'était passé. Déposer mon lourd bagage m'a permis de me détacher. C'est ça qui m'a aidé, briser la loi du silence. En écrivant j'ai réalisé que je ne devais pas avoir honte, ce livre m'a apaisé. Non je ne suis ni coupable ni responsable".
Aujourd'hui Elise pense beaucoup aux autres victimes qui vivent de telles épreuves et se débattent avec leur culpabilité. "J'ai beaucoup de peines pour les personnes qui n'en sont pas à mon stade, j'aimerais que mon livre lève des tabous, je voudrais leur dire Vous êtes innocentes !".
L'écriture d'Elise Maurein ne travestit pas la réalité effroyable vécue par la jeune femme. Les mots sont parfois rudes, les situations exposées sans fard, mais jamais l'on oublie la petite fille suppliciée derrière la prose, jamais l'on oublie l'adolescente agressée. Parfois dans cette noirceur la poésie affleure, car Elise Maurein aime les mots et ne s'interdit pas de leur donner le sens qui lui plait.
Dans son parcours, Elise Maurein a eu la chance de rencontrer un bel amour, un homme qui l'aime telle qu'elle est, avec ses fêlures et ses angoisses, qui la comprend et la soutient. Ensemble ils ont construit une famille aimante et bienveillante, autour de leurs deux enfants. Le livre d'Elise leur est évidemment dédié.
"Soleil noir", un livre de Elise Maurein, Christophe Chomant Editeur, collection Témoignage