Au pied des HLM des quartiers populaires comme Villeneuve-les-Salines ou dans les jardins des particuliers, les gallinacées retrouvent droit de cité à La Rochelle. A Puilboreau, au nord de l'agglomération, la municipalité offre 200 poules pour sensibiliser les habitants au gaspillage alimentaire.
Forcément, au début, Kevin n'était pas vraiment le bienvenu à Villeneuve-les-Salines. Quand il a débarqué dans le quartier, il n'a pas fallu attendre longtemps pour que des voisins aillent se plaindre à la mairie annexe. Kevin voulait marquer son territoire et il le faisait plutôt bruyamment et de bon matin. Il savait pourtant que Maurice, un lointain cousin, avait eu ce même genre de problème sur l'île d'Oléron. Ça avait fini en justice. Alors là, dans ce quartier populaire avec ses plus de 8.000 habitants, on a tout de suite voulu désamorcer la crise. Une médiation a été mise en place et tout le monde est tombé d'accord pour dire que, finalement, Kevin faisait quand même moins de bruit qu'une mobylette.
"Aider les habitants à s'approprier l'espace en bas de chez eux."
"Moi, je suis un peu comme les poules ; je suis arrivé ici par hasard" : Christian Durand, médiateur au Foyer des Jeunes Travailleurs, est à l'origine de ce poulailler urbain. Au sein de l'association Horizon Habitat Jeunes, Christian n'est ni éducateur spécialisé ni animateur. "Nous, on passe par l’habitat pour développer des projets d’accompagnement des jeunes à dimension sociétale. Les sensibiliser sur le gaspillage alimentaire, par exemple", explique-t-il, "le poulailler, c’est maintenant une partie de la résidence. Quand ils arrivent ici, on leur explique que ce n’est pas décoratif, que ce poulailler a une fonction et qu’il ne faut surtout pas hésiter à l’utiliser". Car la poule a des vertus insoupçonnées. La poule crée du lien social et est une excellente ambassadrice de la lutte anti-gaspillage.
Au début, il y avait Poulette et Crevette, deux pondeuses qui avaient eu leur quart d'heure de gloire dans une création théâtrale d'une compagnie rochelaise. La création s'était passée ici à Villeneuve et, quand le rideau est tombé en fin de représentation, Christian n'a pas eu le coeur de se séparer des actrices. Kevin n'était pas encore arrivé, mais par le plus grand des miracles, elles ont commencé à avoir des poussins ! Et c'est là qu'intervient Chloé.
Chloé, elle, est une bipède du genre humain qui travaille à Diagonales, la régie de quartier de Villeneuve-les-Salines. Sensible aux questions écologiques, elle a toujours pensé que c'est justement là, dans ce quartier populaire fait de béton et d'asphalte, que la nature et donc les poules pouvaient améliorer le quotidien de la cité. Elle a mis en place des jardins partagés, des ateliers de cuisine durable et réfléchit à un projet d'insertion et de maraîchage en permaculture. A proximité du poulailler, elle a agrandi l'aire de compostage collectif et baptisé l'endroit "Picota". Les habitants peuvent s'y retrouver pour discuter entre eux... ou avec les poules. "L’idée, c’était de faire quelque chose de joli et nourricier. On a donc planté des arbres fruitiers, des artichauts, des aromates, des fraises, des framboisiers", explique Chloé. Les huit composteurs recueillent, tous les ans, plus de 500 kilos de bio-déchets détournés des poubelles noires.
Dans les missions de la régie de quartier, il y a la création de lien social, l’embellissement du cadre de vie mais il y a aussi l’appropriation. Des choses qui me tiennent vraiment à cœur. Ce sont mes missions et notamment aider les habitants à s’approprier l’espace en bas de chez eux finalement. Là, l’idée, c’était de relier l’aire de compostage et le poulailler et que ce lieu serve de support pour les animations du quartier. Le compostage, c’est une base intéressante pour parler de façon plus large. Ce n'est pas comme quand on descend sa poubelle noire et qu’on ne va pas spécialement parler à ses voisins, là, c’est différent. Les gens se croisent, on parle du compost mais aussi plus largement du gaspillage, les déchets qu’on produit et très vite on bascule sur le plastique.
"Les poules, ils en ont vu à la télé."
Kevin et sa basse-cour font donc désormais partie du paysage. Le souci pour Christian, c'est désormais de réguler les naissances de poussins (quand les chats du quartier se montrent un peu fainéants). "Toutes ces poules nous ont été données, aucune n’a été achetée" précise-t-il, "on est vraiment dans l’anti-gaspi et l’économie circulaire". Les oeufs sont distribués à la demande. En plus des pelures et autres restes de table apportés par le voisinage, il récupère du grain tombé à terre sur le port de La Pallice. Le poulailler demande certes un peu d'entretien, mais il est un irremplaçable outil pédagogique dans le quartier.
C’est assez curieux, parce que tout le monde sait ce qu’est un œuf. Mais il nous est arrivé de faire des journées portes ouvertes avec des écoles et les enfants ont l’impression de voir des animaux sauvages ! Les poules, ils en ont vu à la télé, mais très peu en vrai et le rapport avec l’œuf est particulier. Les œufs, ils en ont dans le frigo, mais quand on ouvre le poulailler, qu’on leur met un œuf chaud dans la main, ils ont l’impression d’avoir un trésor. Ils font directement le lien entre l’œuf et la poule.
"Il faut que les poules soient bien traitées."
Un peu plus au nord de l'agglomération, on remarque également un certain regain d'intérêt pour les gallinacées. Il faut dire qu'Alain Drapeau, le maire de Puilboreau, est aussi vice-président de la communauté d'agglomération en charge de la collecte, du traitement et de la valorisation du déchet. En 2018, la CDA calculait que chaque habitant jetait, tous les ans, 102 kilos de déchets organiques dans sa poubelle noire dont 9,7 kilos de gaspillage alimentaire. Frédérique Letellier, toute nouvelle adjointe au développement durable et à l'environnement, a donc eu une idée... en forme de poules.
Jusqu'au 25 avril prochain, les Puilborains qui le souhaitent sont invités à remplir un formulaire en vue de l'adoption d'un couple de jeunes pondeuses de 19 semaines. Après examen des dossiers, une centaine de foyer devrait agrandir leur famille et s'engager à bien s'occuper des animaux à plumes. Les conditions d'éligibilité sont très pointues. "L’espace clôturé par un grillage réservé aux poules devra être d’une surface de 4 m2 minimum par poule
détenue, ne pas déjà posséder de poule et ne pas être contraint par un règlement de lotissement, de copropriété interdisant l’élevage de
poules, ou interdiction contenue dans le contrat de bail". ""Le contrat d'adoption peut effectivement paraître drastique, mais ce sont des animaux et on a le devoir d'être prudent et aussi de respecter le voisinage pour que cela se passe le mieux possible" explique Jérome Câtel, adjoint à la communication, "donc pas de coq pour éviter les nuisances"
Pour l'instant, on commence petit. Pour certains, ça peut paraître anecdotique. On a commandé 200 poules et on en donne deux par famille parce qu'une poule toute seule risque de déprimer. Il faut que les poules soient bien traitées et qu'elles soient dans des conditions optimales. C'est un véritable engagement ; quand on prend des animaux, il faut savoir s'en occuper. C'est pour ça que le contrat est très strict. On demande aussi aux gens de s'engager à peser pendant deux mois leurs déchets organiques pour qu'au bout, on est des résultats mesurés. 150 kilos par an, c'est une moyenne nationale mais on voudrait voir ce qu'il en est à Puilboreau. Il faut vraiment que les gens soient investis dans le développement durable. Ça permet de faire participer la population. On souhaite que tout le monde vive ça de façon agréable et pas imposée. Là, c'est un petit geste, c'est ludique, mais c'est les petits gestes qui vont faire les grandes rivières... et des oeufs frais pour la famille. On espère que ça fera des émules dans d'autres communes.
Les poules de Puilboreau seront distribuées aux heureux élus le 5 juin prochain. Celles de Villeneuve-les-Salines - et Kevin bien sûr - vous attendent, elles, les 24 et 25 avril prochain dans le cadre des 48 heures de l'agriculture urbaine. "La poule naît au village, on la mange en ville", disait un vieux proverbe espagnol. A La Rochelle, c'est de moins en moins vrai, même si on préfère une bonne omelette.