A cause d'un maudit cancer, les jours de Sébastien sont comptés. Avant de partir, il veut sensibiliser les rochelais au concept d'humusation, processus naturel de compostage humain.
"Une fin de vie la plus naturelle possible" ; voilà ce que souhaite Sébastien aujourd'hui. Au téléphone, c'est par la voix de sa compagne Brigitte qu'il veut nous parler d'humusation. S'instaure alors une conversation posée et sereine où l'on comprend que, jusqu'au bout, ce cinquantenaire veut rester cohérent avec ses convictions écologiques. Suivi par le service des soins palliatif du centre hospitalier de La Rochelle, il a été très clair sur ce qu'on appelle ses directives anticipées, en d'autres termes, ses dernières volontés : "pas d'intubations, pas de perfusions ou de branchements, juste le minimum médical pour être "confortable", éviter la douleur et donc une intervention extérieure la plus légère possible."
"Respecter le cycle de la vie"
Originaire de la Creuse et amoureux des forêts, son dernier rêve, "c'est de faire pousser un arbre sur ses restes". Sur internet, il vient de lancer une pétition adressée à Jean-François Fountaine, le maire de La Rochelle : "soutien de l'expérimentation d'humusation de Sébastien". Pas de cercueil, pas de crémation, Sébastien veut avoir "le moins d'impact négatif possible sur l'environnement et respecter le cycle de la vie où, en mourant, on régénère le vivant". Il s’agit d’un processus de transformation des corps par les micro-organismes dans le sol dans un compost composé de broyats de bois qui transforme, en 12 mois, les dépouilles mortelles en humus sain et fertile. Le problème est que cette pratique est interdite en France, comme pratiquement partout ailleurs sur la planète. Sa dernière volonté ne sera donc sûrement pas respectée, mais a au moins, ou aura suscité, il l'espère, un débat citoyen sur la question.On est sur un désir très fort qui le dépasse. Le désir de quelqu'un qui est très lucide sur sa fin de vie et qui a des convictions. l'idée, c'est de faire bouger les lignes. Il est assez intelligent, ouvert d'esprit et généreux pour se dire que si ce n'est pas pour lui, ça pourra peut-être être pour nous dans quelques années. Les stèles funéraires en marbre gravées toutes alignées les unes à côté des autres, c'est un modèle du passé.
La Belgique milite pour l'humusation
En Belgique, la commune d'Ottignies Louvain-la-Neuve y réfléchit très sérieusement à l'humusation. Là-bas, Francis Busigny, ingénieur conseil en traitement des eaux, et Guy Basyn, consultant en permaculture ont créé la Fondation Métamorphose qui milite pour un changement de la législation en la matière. Ils ont expérimenté le processus avec un chien de 60 kilos dont la dépouille a mis deux mois à se transformer en humus.Et visiblement, monsieur le premier échevin d'Ottignies n'est pas insensible aux arguments écologiques de ses administrés, au point d'envisager sérieusement de tenter l'expérience dans le cimetière de la commune.C'est grâce à l'action des micro-organismes, l'infiniment petit qui ne vit que dans les tous premiers centimètres du sol. Ce sont des bactéries, des champignons qui, en fait, morcellent toutes les chaînes moléculaires, aussi bien des matières organiques que des polluants chimiques.
Dès que ce sera autorisé par la région, l'idée serait d'emménager un endroit protégé pour permettre aux corps de se bio-dégrader pendant un an et de retourner à la vie, parce que c'est ça le cycle de la vie.
"Aujourd'hui, ce n'est pas possible en France"
A La Rochelle, Patrick Loizeau était auparavant conservateur des cimetières de la ville. Il est aujourd'hui consultant en gestion des cimetières et connaît bien les difficultés que rencontrent les maires de France sur ce sujet. Il a, par exemple, suivi de près l'expérimentation de la ville de Niort avec le cimetière naturel de Souché. "Son cadre champêtre et arboré favorise le recueillement et le lien avec la nature. Le concept dépasse le simple aménagement paysager. Toutes les étapes consécutives au décès sont repensées pour réduire au maximum l’empreinte écologique de l’inhumation", peut-on lire sur le site internet de la municipalité. Selon Patrick Loizeau, cet inovation niortaise est un début de réflexions pour des solutions alternatives.Mais celui qui se présente comme "un technicien des collectivités" préfère, pour l'heure, s'en tenir aux textes. "Aujourd'hui, l'humusation, ce n'est pas possible en France", explique-t-il, "tout simplement parce qu'on n'a pas le droit d'inhumer un corps sans cerceuil, c'est le b.a.-ba de la règlementation". En attendant, toutes les communes de l'Hexagone doivent gérer leurs cimetières.
Finalement, rien qu'avec ces quelques lignes, Sébastien aura donc bien réussi à soulever le débat. Au téléphone, sa compagne est toujours aussi sereine. On comprend que "ça" va bien se passer, en douceur et avec beaucoup d'amour.On arrive aujourd'hui à une saturation des terrains. On ingère via notre alimentation depuis des années des agents conservateurs, on a en plus des soins de conservation avant d'être inhumé, ce qui fait que la rotation des corps -le délai au bout duquel le temps fait son oeuvre- est de plus en plus long. C'était une quinzaine d'années avant pour un homme de corpulence normale, maintenant c'est vingt, voire plus dans certains secteurs humides. Aujourd'hui, les communes doivent étendre leurs cimetières, gérer ce foncier et ce délai de rotation. Il faudra donc trouver des alternatives qui passent par le dévelopement de la crémation, mais pas seulement.
Finalement, il faudra donc bien se résoudre à la moins pire des solutions, la crémation. Trouver peut-être un coin de verdure pour reposer en paix. En tout cas, même si Sébastien ne peut faire don de son corps à la nature, sa belle âme aura fait réfléchir les citoyens que nous sommes.Ce n'est pas évident d'accompagner quelqu'un qui est mourant, de surcroît un proche. C'est très délicat. Finalement parler d'humusation maintenant et aux gens autour de nous, ça permet aussi de parler de comment on souhaite finir sa vie. On a un soutien très fort de ceux qui relaient l'appel de Sébastien.