À Saintes, la Charente déborde depuis plusieurs jours, et sa décrue ne semble pas engagée alors que de nouvelles précipitations sont prévues dans les nuits de jeudi à vendredi puis de samedi à dimanche. Les pieds dans l'eau, la municipalité comme les habitants font face à "cette nature qui reprend ses droits".
Désormais en vigilance jaune aux crues, la Charente reste à un niveau très élevé, 5,06 mètres ce jeudi à 17 heures. Dans les rues de Saintes qu'il traverse, le fleuve inonde de nombreuses routes et bâtiments.
Dans son restaurant, La Table du Maroc, Youssef Alaoui ne peut que constater la montée inexorable de l'eau. Équipé de très hautes bottes, il a de l'eau à mi-mollets et regarde une terrasse qui accueille d'ordinaire des clients : "À l'intérieur, il y a un peu plus d'un mètre, 1,20 mètre d'eau", déplore-t-il. "On a anticipé parce qu'on a l'habitude, ça fait 19 ans qu'on est ici, on a enlevé tout ce qu'on avait à enlever." Dans sa réserve, tout a été surélevé, afin de préserver le plus longtemps possible l'activité du restaurant, mais il reste prudent, et lucide : "Si jamais l'eau monte de plus d'1,20 mètre, on sera obligés d'arrêter."
Habitude et fatalité
À Saintes et dans ses communes voisines, la décrue semble suspendue. De nombreuses rues sont barrées, et les particuliers s'arment de patience et s'entraident. Emmanuelle est saintaise, elle prête une partie de son garage, au sec, à une voisine : "Pour l'instant tout va bien, mais on anticipe", assure-t-elle. "On essaye de surélever, d'enlever et de vider son garage." Pas paniquées, les deux voisines semblent habituées au phénomène : "C'est de façon de plus en plus récurrente quand même", poursuit Emmanuelle. "De toute façon, on ne peut rien faire contre les éléments naturels, on est complètement tributaires donc c'est une fatalité et il faut s'organiser quoi."
Un peu plus loin, Dominique apporte des affaires à ses parents âgés, restés chez eux. Il dresse le même constat : "C'est chaque année la même chose, si ce n'est pas tous les ans c'est tous les deux ou trois ans, malheureusement, c'est la nature qui reprend ses droits."
Une vigilance bien organisée
Tous ont encore le souvenir bien vif de la crue historique de 2021. L'eau était alors montée à 6,20 mètres, ce qui avait coûté 1,6 million d'euros à la ville. Fort de cette expérience, le maire et ses équipes, mais aussi les services de secours, de la préfecture, de police, de l'eau, Enedis et GRDF sont à pied d'œuvre pour réagir rapidement et limiter autant que possible les dégâts : "Tous les services concernés qui pourraient avoir un impact sur une maison sont présents avec nous", précise le maire, Bruno Drapron. Tous les jours, une cellule de crise se réunit à 10 heures et 17 heures "pour anticiper la suite".
Sur une petite route bordée par la Charente, le lieutenant Benjamin Belleuvre évalue la montée de l'eau : "Actuellement, on est dans une phase de surveillance", explique-t-il. Deux fois par jour, lui et ses collègues réalisent des reconnaissances opérationnelles dans les zones sensibles, les premières inondées, à Saintes et dans ses environs. "Notre matériel est prêt à intervenir, nos personnels sont sensibilisés à la montée des eaux, on a de quoi faire face en fonction de la situation", promet-il. "On a un petit peu l'habitude d'avoir des inondations, c'est pour ça qu'on est dans une phase de surveillance, on sait qu'à partir de telle cote, on aura telle rue inondée."
En plus de la cellule de crise, la municipalité a mis en place un numéro d'urgence, disponible 24 h/24 au 06 62 67 14 81. Le maire et ses équipes suivent en temps réel l'évolution du niveau de l'eau, qui devrait monter dans les prochaines heures. D'après les prévisions de Vigicrues, il devrait atteindre 5,17 mètres demain, vendredi 10 novembre, à 16 h. "On met tout ce qu'il faut en place, tant au niveau de l'assainissement, des madriers et parpaings pour marcher, on ferme les rues qui risquent d'être impactées pour éviter que les voitures s'y engagent. Tout est fait par anticipation. Il faut être humble quand vous avez un fleuve qui traverse votre ville", conclut l'édile.
Des précipitations pour au moins une semaine encore
Dès jeudi soir, des précipitations abondantes doivent reprendre en Poitou-Charentes, et surtout en Charente-Maritime. D'après le météorologiste Emmanuel Moreau, 10 à 20 millimètres de pluie sont attendus à Saintes d'ici vendredi matin : "Ce n'est pas énorme, mais cela survient sur des sols déjà bien saturés d'eau, ça va faire réagir les cours d'eau."
Ce jeudi soir, il est difficile de prévoir la fin des précipitations, de nouvelles précipitations sont attendues jusqu'à jeudi ou vendredi prochains. "On a un flux d'ouest perturbé, et la mer est anormalement chaude, depuis cet été, donc il y a plus d'évaporation et donc plus de précipitations."
Pour Emmanuel Moreau, le niveau de crue à Saintes est bien supérieur à la normale, même s'il n'est pas exceptionnel : "La chance qu'on a, c'est que le mois d'octobre a été assez sec, ce qui permet une meilleure absorption des sols, et la végétation est en feuille donc elle pompe plus qu'en hiver". Il ajoute qu'il a fallu 80 à 100 millimètres de précipitations en une semaine pour que le cours d'eau réagisse. "Si cet épisode survenait en janvier, il y aurait beaucoup plus de facteurs de risques."