La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l'Image d'Angoulême propose une exposition inédite sur Picasso et le Neuvième Art. Le génie espagnol s'est très tôt intéressé à cette nouvelle forme graphique qu'était la BD et les auteurs contemporains se sont aussi inspirés de son œuvre.
A l'automne 1905, cela fait déjà plus d'un an que Pablo Picasso s'est installé à Paris. En pleine "période rose", il peint des arlequins et des clowns tristes d'une insondable mélancolie. Au même moment, de l'autre côté de l'Atlantique, Winsor Mc Cay vient de publier les premières planches de Little Nemo in Slumberland dans le New York Herald. On ne parle pas encore d'art séquentiel et le mot "cubisme" n'a pas encore été prononcé. Mais, chacun de leur côté, ces deux visionnaires sont en pleine recherche. Il serait bien sûr bien hasardeux de tirer des conclusions trop hâtives de cette coïncidence chronologique. Quoique...
Car, 1905, c'est aussi l'année ou le peintre rencontre Léo et Gertrude Stein, ses nouveaux mécènes. C'est elle qui va lui faire découvrir ces graphistes américains qui racontent des histoires avec des dessins dans des cases. Dans les collections du musée Picasso de Paris, il est donc apparu comme évident de tenter de trouver des traces de Neuvième Art dans l'œuvre foisonnante de l'Andalou. Cela donnera lieu à une exposition ouverte en juillet 2020 qui trouve donc une nouvelle vie à la Cité de la BD d'Angoulême.
"Picasso, c’était un ogre", explique Pierre Lungheretti, directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée, "quelqu’un qui s’intéressait à tout, des arts premiers à la culture populaire la plus contemporaine et la bande dessinée n’a pas échappé à cette avidité de connaissances et de s’emparer de toutes les expressions artistiques qui pouvaient exister. (...) Tout au long de sa carrière, il y a des références, des influences qui sont très palpables de ce langage de narration par image qu’on retrouve aussi bien dans les croquis qu’il fait de ses amis que dans des dessins plus élaborés qui s’apparentent presqu’à des planches".
Des premiers journaux illustrés à Guernica en passant par les innombrables croquis griffonés sur un coin de table de Barcelone ou de Paris, Picasso s'est, à sa manière, accaparé cette nouvelle forme graphique qui représente à ses yeux un joli pied de nez aux conventions et à l'académisme ambiant. Les Pieds nickelés trouveront donc tout naturellement leur place dans sa bibliothèque.
Plus tard, en 1937, il réalise une série de gravures "Songe et Mensonge de Franco" où il met en scène le dictateur qui vient de prendre le pouvoir dans son Espagne natale. On imagine sans difficulté un Mœbius s'extasier devant ce gaufrier de neuf cases qui aurait sans aucun doute valu un Fauve d'Or à son auteur au festival de BD d'Angoulême.
En retour, la figure tutélaire que représente Picasso ne pouvait qu'inspirer les auteurs de BD. D'Art Spiegelman à Edgar P. Jacobs en passant par Gotlib ou Enki Bilal, tous ont rendu hommage au maestro au détour d'une case. "Il était à la fois précurseur et incroyablement virtuose", ajoute Pierre Lungheretti, "il était capable d’être dans un classicisme le plus pur et ensuite de casser tous les codes, y compris dans la figuration, pour inventer son propre univers et c’est ça qui fascine les artistes de bande dessinée, cette incroyable et inépuisable capacité à réinventer le dessin et la peinture tout au long de sa vie".
"Picasso et la Bande Dessinée", c'est au musée de la Cité Internationale de la BD d'Angoulême jusqu'au 2 janvier 2022. A noter que cet été, des journées seront consacrées à un jeu de piste familial au coeur de l'exposition et des ateliers de dessins seront proposés aux plus jeunes.