Coronavirus : les entreprises du BTP au bord de la crise de nerfs

Comment continuer à faire tourner l’économie s’il faut stopper la progression du virus ? Les professionnels du BTP,  secteur tancé par la ministre du Travail parce qu’il ne jouerait pas le jeu et serait "défaitiste",  dénoncent des "injonctions contradictoires". 

Comme leurs collègues dans toute la France, les professionnels du BTP Limousin sont sur les nerfs. 

"On a besoin de clarté, quand une décision est prise, il faut l’assumer." Johan Castaing ne sait plus où donner de la tête. Cet entrepreneur est à la tête d’une société basée à Limoges, qui emploie onze salariés, et travaille à la fois pour les chantiers publics et pour des particuliers.

Depuis mardi, toute son activité est à l’arrêt alors qu’il pourrait théoriquement continuer à travailler. Mais les donneurs d’ordres publics ont demandé l’arrêt des chantiers. Et les particuliers qui sont en confinement ne veulent pas voir de professionnels arriver chez eux.  Les fournisseurs sont aussi à l’arrêt. Pas facile de maintenir une activité dans ce contexte, même quand c’est un ministre qui vous le demande.

Les salariés sont de Johan Castaing sont donc en chômage partiel.  Une demande est en cours auprès de la Direccte, mais le dossier est en attente puisque ces entreprises ne sont pas sûres de pouvoir bénéficier de ces mesures.

Si je dois repartir, il faut que toutes mes fournisseurs répondent 


"Nous avons besoin de directives claires, il faut que les ministres arrêtent la cacophonie. On ne peut pas nous dire de respecter le confinement et de maintenir l’économie à flot, il faut qu’on nous explique jusqu’où la pandémie s’arrête. Je veux bien qu’on nous déclare indispensables à l’économie, mais à ce moment-là il faut nous en donner les moyens." 

C’est en effet toute une chaîne qu’il faut remettre en marche. "Il faut que tout le monde bosse : j’ai besoin de béton, de ferraille, de sable et de ciment, s’il me manque un seul de ces fournisseurs, je ne peux rien faire ".
 

Ordre et contre-ordre


"C’est ordre et contre-ordre, pour résumer", déclare Paul Chaput. Le président de la chambre des métiers de Creuse prend des cachets "pour calmer les nerfs. Le manque de visibilité ça me bouffe".

Également à la tête d’une entreprise polyvalente de construction bois, couverture etc. à Colondannes dans le nord-ouest de la Creuse, il fait face difficilement à la crise.  "Hier soir, nous avions une audio-conférence entre toutes les chambres consulaires et la préfète de la Creuse et nous avons demandé beaucoup d’éclaircissements. Entre les organisations professionnelles qui demandent de tout arrêter et les ministres qui veulent tout continuer, je pense qu’il faut trouver un juste-milieu, faire du cas par cas".

C’est le comportement qu’il essaie d’adopter dans son entreprise. Jusqu’à hier soir, il pensait tout arrêter, mais finalement certains chantiers vont se poursuivre.
 

Quatre de ses neufs salariés sont d’attaque pour lundi, les autres sont en garde d’enfant ou en arrêt maladie. Ils pourront donc partir chacun dans un fourgon, seuls sur des travaux de couverture par exemple, munis de quelques masques et de lingettes désinfectantes pour les mains.

"Heureusement que la trésorerie est un peu-là et que nous n’aurons pas recours à un emprunt ", conclut-il.

Au niveau national, la Fédération française des travaux publics a réagi en adressant un courrier au chef de l'Etat. 
 

 

À 9 heures ce vendredi 20 mars, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé qu’il se donnait 24 à 48 heures de réflexion pour élaborer des règles pour que ces entreprises puissent continuer à fonctionner.


Des "gestes barrières" impossibles à respecter 


Mais les modalités pratiques ne sont pas faciles à envisager. "Comment faire respecter les gestes barrières dans notre domaine ?" Céline Galland, secrétaire générale de la fédération française du bâtiment de Creuse, est perplexe.

Son téléphone n’arrête pas de sonner. Des entrepreneurs déboussolés qui demandent comment faire respecter les règles de sécurité ou comment gérer les formalités du chômage partiel. "Le quotidien, c’est partir à trois ou quatre dans une fourgonnette. C’est transporter des objets lourds à plusieurs à moins d’un mètre, c’est couler une dalle en béton etc. C’est extrêmement compliqué."

Et si un cas se déclare dans une de ces entreprises du BTP et que le virus se propage ? "C’est le chef d’entreprise qui sera responsable" confirme Johan Castaing qui n’a pas du tout envie de se retrouver dans ce cas de figure.

"S’il y a un cas chez nous, tout le secteur sera montré du doigt comme celui qui n’a pas voulu s’arrêter. Ce n’est pourtant pas de gaîté de cœur qu’un entrepreneur s’arrête, ce n’est pas pour profiter du système qu’il met ses salariés au chômage partiel, sachant qu’il met son entreprise, et souvent c’est un peu sa vie, à l’arrêt", appuie Céline Galland.
 

Le torchon brûle avec le gouvernement


C’est pour ça que la FFB, notamment en Haute-Vienne, avait déconseillé de continuer le travail. C’est aussi pour ça que le torchon brûle avec le gouvernement ; ce qui a fait sortir de ses gonds Sandrine Frugier, secrétaire générale de la fédération du bâtiment et des travaux publics de Haute-Vienne.

Dans un mail adressé aux adhérents, elle dénonce : "les dernières interventions publiques du ministre de l’Intérieur et de la ministre du Travail sont parfaitement scandaleuses ! Et de surcroît, elles sont interprétées de manière très différente sur toute la France par les préfets et Directions du travail. Cette attitude ne peut avoir que deux raisons : éviter pour préserver un minimum la croissance qu’un secteur d’activité représentant près de 2 millions de travailleurs avec les emplois induits, ne s’arrête d’un seul coup, et limiter les conséquences financières pour l’Etat du recours massif au chômage partiel".

Alors le gouvernement joue-t-il avec la sécurité des salariés du bâtiment et par la même avec celle de la population ?

À Wuhan, seul un confinement extrêmement strict a permis de faire chuter le nombre de contaminations. Dans ces conditions, on voit mal comment les salariés du pourraient continuer à travailler en toute sécurité.
 
Reportage de Freddy Vetault , Stéphane Bourin et Caroline Lecocq :
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