Coronavirus : les forains grands "oubliés" parmi les commerçants

Des fêtes foraines annulées et peu de réponses quant à l'indemnisation des 200 000 forains de France... Des membres actifs en Limousin prennent la parole et racontent "leur confinement" avec ses hauts et ses bas.

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"Les forains sont des oubliés !"

Marylin et John (ça ne s’invente pas) font partie de la communauté des forains. Chaque année, ils s’implantent dans les villes françaises y compris à Brive et Tulle de mai à juin. Aujourd’hui confinés dans leur caravane près de Béziers, sur le terrain du père de Marylin, ils sont contraints de mettre leur activité entre parenthèses.

Quand le confinement a été annoncé, nous étions à Carcassonne, on nous a demandé de tout démonter. Depuis nous sommes en famille, avec mon beau-père, mon neveu, mon beau-frère, ma femme, les enfants et moi. L’avantage, c’est que nous avons tout notre matériel avec nous et de la place pour stocker les manèges.

Depuis le 16 mars et le début du confinement, toutes les fêtes foraines de France ont été annulées. Marylin, John et leur famille devaient repartir à côté de Perpignan pour une fête appelée la "ville morte" et prendre la direction de la Corrèze où les fêtes de Tulle (à partir du 15 mai) et de Brive (du 6 au 21 juin) devaient avoir lieu.

Pour l’instant, nous n’avons pas de réponse, c’est encore trop tôt, mais on a peur pour l’avenir.

S’ils ont peur, c’est parce que le couple de forains vit avec l’argent mis de côté en attendant de pouvoir reprendre le travail à temps plein. "Nous vivons à 100% de ça !"
John insiste sur le fait qu’ils sont, eux aussi des commerçants, itinérants, et qu’ils sont pourtant bien moins "considérés"que la plupart des commerçants.

Les forains sont des commerçants à temps plein, mais on ne parle pas de nous. Nous sommes les oubliés. On va attendre le 1er avril, visiblement les commerçants vont avoir le droit à une aide de 1500 euros, on espère qu’on pourra en bénéficier.

Une connaissance du couple a récemment créé une Fédération de forains "en rapprochement avec l’Etat". "Mais même cet ami n’a aucune information…"
John ne perd pas espoir et compte sur le public pour venir en masse à ces événements festifs. Il se base d'ailleurs sur une histoire de famille.

A la fin de guerres ou de grands événements, les gens ont eu envie de s’amuser après ça. Mes grands-parents ont connu ça. Quand la guerre de 40 a fini, il y a eu un engouement pour la fête.

Les forains espèrent donc une chose à leur tour et plusieurs décennies plus tard : pouvoir redonner au plus vite de la "joie" aux visiteurs. 

Dans une fête foraine, il y a toujours du monde. On espère que la fin du confinement va donner envie aux gens de venir davantage. Ça peut aussi se passer autrement, les gens vont avoir une certaine retenue par rapport au coronavirus. On craint qu’ils aient peur de venir dans les endroits où il y a du monde.

D’ailleurs, ils pensent déjà aux mesures sanitaires, comme l’explique Maryline. "On va devoir penser à rajouter des plexis devant les caisses. J’ai un manège d’auto-tamponneuses, on va devoir nettoyer les volants plus régulièrement, distribuer des lingettes aux clients. Il ne faut pas que cette maladie se propage à nouveau."

Alors en attendant, Marylin et John vivent au jour le jour. Marylin s’est d’ailleurs découvert des talents de cuisinière : "Je n’ai jamais autant cuisiné qu’en ce moment, on s’occupe. J’ai fait du riz au lait hier, par exemple. Je me trouve des talents dans la cuisine."
Deux de leurs enfants sont à leurs côtés, la plus jeune fille passe en seconde au mois de septembre. "On se rend compte que suivre le rythme en seconde est plus compliqué, elle prendra sûrement des cours à distance". Leur fils aide John et "arrange le matériel". Quant à leur aînée, enceinte de son deuxième enfant, elle est confinée à distance avec son mari.
 

"200 000 emplois en jeu, c'est catastrophique..."

Eugène Bébé Coignoux est tulliste d'origine. Il vit aujourd'hui sur son terrain à Allassac, confiné aux côtés de neuf autres membres de sa famille. En pleine campagne, il peut d'ailleurs y stocker ses manèges.

Le gel temporaire des fêtes foraines en raison du confinement est pour ce vérificateur agréé par le ministère de l'Intérieur, un véritable cauchemar pour la communauté des forains. Grenoble, Neuville-sur-Saône, Aix-en-Provence, Auch et la Foire du trône repoussées...

On est cuits, il n'y a plus de fêtes foraines et c'est catastrophique. Au niveau chômage, il y a un gros problème tactique au niveau administratif. Les forains sont mis sur un banc différent des commerçants sédentaires.

Sixième génération de forains au sein de sa propre famille, Eugène Bébé Coignoux regrette la place qu'occupent aujourd'hui les forains dans la société. "Le problème, c'est que le métier de forain n’est pas reconnu officiellement. Aucun ministère ne nous protège. Seuls les vérificateurs et représentants de syndicats comme nous font bouger les choses. On a une certaine reconnaissance au ministère de l’Intérieur."

Car Eugène Bébé Coignoux est également commissaire pour le ministère de l'Intérieur et des commissions intersyndicales. La communauté des forains compte au total onze syndicats qui protègent les quelque 200 000 emplois générés par le métier.

Nous avons interpellé le président de la République et le ministre des Finances à plusieurs reprises. 35 000 chefs d'entreprise et autant d'emplois c'est pas négligeable. Socialement et économiquement, ça rapporte beaucoup.

Face à ce "déséquilibre financier", la famille de Eugène Bébé Coignoux s'organise "mon fils a vendu sa caravane, ça lui permet de faire des courses. On vit avec les produits de la ferme, nous sommes habitués à vivre comme ça."

Ce fidèle Corrézien depuis des générations tient depuis cinq ans un carrousel dans le centre-ville de Brive, auparavant Place du Civoire, maintenant Place Charles-de-Gaulle. Entre quelques contrôles réguliers du manège, il trouve de nouvelles activités.

On repeint des pots de fleurs, les portails de l'entrée. Je suis professeur de boxe, mon fils fait de la MMA et mon petit-fils boxe aussi, on s'entraîne ensemble.

Eugène Bébé Coignoux pense déjà à la fin du confinement et au tournant que pourraient prendre les fêtes foraines.

J'ai dissuadé quelques-un des forains qui souhaitaient faire des montages de forces et ils l'ont compris. A la fin du confinement, les gens auront peut-être peur de revenir aux fêtes. On va peut-être bien marcher aussi, les gens en auront forcément marre de rester confinés et vont vouloir s'éclater aux fêtes.

Ce forain de toujours espère que cette période de crise sanitaire permettra au public de se rendre compte que cette communauté est un vecteur de "joie", des "porteurs de bonnes nouvelles".

Pour rassurer les clients les plus fidèles et les autres, Eugène Bébé Coignoux et sa femme avaient déjà mis en place des mesures d'hygiène renforcées depuis l'arrivée du virus en Chine, bien que ce couple fasse en temps normal "très attention à l'hygiène" de leurs manèges.

On nettoyait les chevaux dès que les enfants descendaient du manège que d'autres puissent s'amuser ensuite.

Le forain local est également très investi dans la vie de la région. "Pour le dernier Téléthon, j'ai donné la recette complète de la journée. J'organise aussi des choses lors des journées pour les personnes en situation de handicap." Des actions ponctuelles qui participent à la volonté qu'a Eugène Bébé Coignoux de permettre aux fêtes foraines, héritées de la période des rois, de rester dans les centre-villes, et de promouvoir la communauté des forains afin qu'elle fasse partie intégrante de la culture.



 

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