Des enseignants désabusés qui seraient dans l’immobilisme, des syndicats dans l’auto-cooptation et des cadres supérieurs qui appliqueraient les directives sans réfléchir : après 43 ans d'activité, Gilles Déka sort un livre sans concession sur sa vision de l'Éducation nationale. Voici les grandes lignes et ses propositions pour améliorer ce "système" jugé défaillant.
Pas de rentrée scolaire pour Gilles Déka cette année, mais une rentrée littéraire. Durant 43 ans, il a occupé tous les postes ou presque de l’Éducation nationale : instituteur, professeur de musique, chef d’établissement ou inspecteur, il a multiplié les expériences. Aujourd’hui à la retraite, il dresse, dans son livre "Pourquoi l’école va-t-elle si mal", un constat amer. Cet ouvrage est, en effet, un portrait cinglant de l’école et de ceux qui la font. Dans les 160 pages de son ouvrage, Gilles Déka partage sa vision de l’éducation, mais avance aussi quelques propositions. La couverture du livre, des canetons qui suivent aveuglément un canard sans tête, comme le contenu de l’ouvrage, n’ont pas fini de faire parler. "Pourquoi l’école va-t-elle si mal" est publié aux éditions de "La Guillotine".
France 3 Pays de Corrèze : vous avez été en poste pendant 43 ans, et vous avez occupé de très nombreuses fonctions. Quel est votre constat ?
Gilles Déka : le constat, c'est que les résultats baissent de plus en plus. On fabrique de plus en plus d'élite, mais également de plus en plus d'illettrisme et le malaise, voire le mal-être du personnel - toute catégorie - s'aggrave. Les réformes se succèdent ainsi que les ministres, les alternances politiques, pour autant, le malaise et les difficultés sont toujours présents. Donc, j'ai cherché à savoir quelle pouvait bien être la racine des problématiques de l'Éducation nationale.
On a l'impression, quand on vous lit, que la racine du problème se trouve à tous les niveaux...
Parents, professeurs, tous les membres de la société civile ne sont pas les causes du problème, mais la conséquence. La cause du problème, ce sont les acteurs eux-mêmes, qui par leur comportement, les cadres supérieurs en premier, les enseignants également, mais également les syndicats et les autres catégories, sont responsables de cet immobilisme, avec un discours totalement paradoxal, décliné à tous les niveaux.
Des exemples de ces postures d'immobilisme ?
- Les cadres supérieurs ne font que gérer la circulaire qui parait le vendredi pour la mettre en application le lundi, circulaire annoncée par le ministre quelques jours avant. Peut-être que leur position statutaire devrait leur permettre, au contraire, de réfléchir sur l'avenir de l'éducation et pas simplement de faire de la politique du passé, la politique du futur avec le "lire, écrire, compter". Réfléchir sur l'intelligence artificielle, les nouveaux modes d'organisations des classes, des programmes, une nouvelle organisation de l'intelligence à solliciter auprès des élèves pour le 21ᵉ siècle...
- Les enseignants se trouvent dans une situation de défiance, car ils voient les réformes, "les réformettes", les ministres se succéder et ces réformes sont vidées de leurs substances, telles que ParcourSup qui vient d'être modifiée. Ou encore des propos qui sont vides de sens comme le plan pour les maternelles qui vient d'être annoncé : celui-là ce sont juste les objectifs de la classe maternelle qui viennent d'être présentés comme novateur alors qu'en fait... Donc les professeurs sont comme désabusés et se trouvent dans un repli identitaire. (...) Ils suivent, car ils sont obéissants. Les professeurs sont assez régaliens, parce qu'avoir obéi leur a réussi. C'est cette identité qui constitue l'immobilisme, qui fait que malgré les discours, il y a une forme d'obéissance servile et non pas une obéissance pensée comme doit être une forme de loyauté nécessaire. C'est une forme de renoncement, d'appauvrissement de la pensée avec des replis identitaires et dogmatiques.
- Les syndicats tiennent aussi un discours paradoxal. Ils souhaitent évidemment défendre leur collègue, mais s'arrogent le droit d'être une subtile courroie de transmission avec les autorités supérieures et occupent les postes les plus prestigieux. Il est rare de trouver un syndicaliste dans un établissement très en difficulté, quel qu'il soit, quel que soit le territoire, donc on a est dans l'auto-cooptation, l'autoconservation.
Des solutions, des propositions ?
- C'est d'abord une décentralisation massive pour un pilotage régional. On ne pilote pas des académies rurales comme on pilote das académies essentiellement urbaines. Les besoins des personnels, les transports, les élèves sont complètement différents. Il ne faut pas confondre l'égalité et l'équité.
- Deuxième proposition, le chef d'établissement doit être coopté par les parents d'élèves et les professeurs, certes proposés par l'administration. Plusieurs se présentent et ils sont choisis pour un mandat, ce qui permet d'installer de la confiance et de légitimer le personnel choisi. Cette confiance doit être dans les deux sens et non pas une sorte d'avalisation par soumission de l'autorité hiérarchique.
- Troisièmement : il faut sûrement, comme en Allemagne, que le chef d'établissement prenne un service d'enseignement. Quatre ou cinq heures, une classe, comme les autres, parce que quand vous avez passé dix ans, quinze ans à la tête d'un établissement scolaire, vous ignorez ce que sont les élèves, leur comportement, leurs relations à l'abstraction, comment ils fonctionnent avec les réseaux sociaux, au sein d'une classe, au sein d'un groupe classe.