[DOSSIER] Bébé dans le coffre : de la découverte de l'enfant au procès de la mère

Plus de 5 ans après la terrible découverte d'un garagiste de Terrasson en Dordogne, le procès de Maria-Rosa Da Cruz, mère de l’enfant de 2 ans trouvée dans le coffre d’une voiture, commence ce lundi 12 novembre. Il s'étalera sur deux semaines au Palais de Justice de Tulle.

L'affaire est toujours dans les esprits des habitants de Brignac-la-Plaine (Corrèze) où habitaient le couple et leurs trois enfants. Une famille sans problème, à la vie sociale normale. Jusqu’à ce 25 octobre 2013.

  

Le coffre s’ouvre et apparaît un bébé en détresse

Le 25 octobre 2013, le chef d’atelier d’un garage accueille le véhicule d’une femme pour une réparation, mais son attention est attirée par d’étranges gémissements provenant du coffre. Il en demande la raison à sa cliente mais n’obtenant pas de réponse de sa part, il demande à l’un de ses collègues d’ouvrir le coffre pendant qu’il fait diversion. L’employé du garage se glace devant ce qu’il découvre : un bébé, nu et sale, est en train de suffoquer.
Il est visiblement en état de déshydratation et d’absence de soins. Une tétine et un biberon contenant du lait fermenté sont à ses côtés. Le garagiste appelle aussitôt les secours et prévient les services de gendarmerie. La femme présente est mise en garde à vue.
  

Une petite fille de deux ans

La petite fille est admise à l’Hôpital de Brive-la-Gaillarde. Son âge est tout d’abord estimé à 1 an. En réalité, elle est née le 24 novembre 2011. Et ce que la femme en garde à vue confie aux enquêteurs dépasse l’entendement. Elle dit avoir accouché seule en secret, chez elle, et qu’elle a ensuite caché l’enfant pendant deux ans. Une existence dissimulée aux yeux de tous, y compris de à son compagnon et de leurs trois enfants.

Maria-Rosa Da Cruz, 45 ans, mère de l’enfant :  « Je me suis enfermée dans le mensonge, dans un gouffre »

Laissée en liberté sous contrôle judiciaire à l’issue de sa garde à vue en octobre 2013, Maria-Rosa Da Cruz accorde un entretien aux journalistes de l’émission « Sept à Huit »
 

Témoignage :

Tout le monde dormait. J’ai mis donc ma petite fille au monde. Je lui ai coupé le cordon. Je l’ai prise dans mes bras et après je l’ai posée. J’ai fait mon train-train, j’ai levé mes petits, je les ai préparés pour aller à l’école comme si de rien n’était. Pour moi ce n’était pas un bébé qui venait de naître et … voilà… je suis… voilà… je…. Je n’ai pas pu en parler. Le jour de l’accouchement je n’ai rien dit à personne, le lendemain non plus. Le troisième jour non plus. Et ainsi de suite, et ainsi de suite et ainsi de suite. Je me suis enfermée dans un mensonge, un gouffre.
Ce n’est pas un bébé du coffre. C’est un bébé qui a vécu dans ma maison, dans une pièce où personne n’allait. Je la laissais là. N’importe qui aurait pu la trouver. Elle n’était pas cachée, parce que dans la pièce on serait rentré, la première chose qu’on aurait vu c’était ce bébé. La journaliste : mais personne ne rentrait dans cette pièce ? Non personne. Même votre mari ? Non. C’est parce que c’était une pièce on était en travaux dans la maison, et personne n’avait à faire quoique ce soit dans cette pièce quoi. Et elle ne pleurait jamais ? le bébé ne pleurait pas ? Non, c’était un bébé qui ne pleurait pas, qui ne faisait pas de bruit. Vous receviez beaucoup de famille, beaucoup d’amis chez vous, personne n’a rien remarqué, en deux ans, personne ? Et pourtant tout le monde aurait pu l’entendre.


L'avocate de la mère, Me Chrystèle Chassagne-Delpech du barreau de Brive-la-Gaillarde, souligne, le 30 octobre 2013 à l’une de nos équipes, que sa cliente était «complètement dans le déni de grossesse» mais «qu'aujourd'hui elle réalise. Déjà, elle met des mots sur ce qu'elle a fait et elle réalise qu'elle a mis au monde un enfant il y a plusieurs mois, un enfant qui n'a pas eu l'attention qu'il aurait mérité. Elle le réalise maintenant».

L'Avocate ajoute :


On est complètement dans le déni. On est dans le déni dès lors que cette femme n'a pas eu conscience de son état de grossesse, de l'accouchement non plus. Elle n'a pas fait le choix de garder cette enfant ou de ne pas la garder. Elle n'a pas fait le choix de ce qui arrive. Elle est aussi victime d'un processus psychique ou psychologique, les experts le diront, qui la dépassent. Il n'y a rien de volontaire, il n'y a rien de rationnel. Quand les femmes victimes d'un déni ont la chance d'accoucher dans un lieu public, tout de suite elles réalisent qu'elles ont un enfant et ne font pas de geste fatal. Mais là, dans ces circonstances-là, on est entre les deux. C'est une maman qui a laissé la vie à son enfant ... mais d'une certaine façon.


L’ Avocate implore aussi l'opinion publique et les médias de cesser de diaboliser sa cliente.

On serait au siècle dernier, elle serait déjà exécutée sur la place publique. On n'est pas dans le contexte de l'enfant du placard ou de l'enfant du coffre, il faut arrêter ça. Si ça avait été vraiment un enfant du coffre de la voiture, ce n'est pas un enfant qui aurait vécu
 


Le père dit qu’il ne s’est rendu compte de rien


Le père, maçon, âgé alors de 40 ans, affirme aux enquêteurs qu'il n'a jamais rien su, ni de la grossesse, ni de la naissance, ni de l'existence de ce quatrième enfant. Son avocate, Me Lyliane Picard, explique à nos confrères de La Montagne déclare "Il a été et reste complètement abasourdi", il n'a pas compris ce qui se passait. Il travaillait et était absent de 6h à 18h du domicile, il n'utilisait pas de voiture, n'ayant pas le permis ».
 

Etat de santé de la petite Séréna


A son admission à l’hôpital de Brive, l’enfant ne savait pas se tenir assise. Elle était incapable de tenir sa tête et ne parlait pas. Elle montre un retard de croissance et de nombreuses carences.

Le 6 novembre 2013, les pédiatres qui la suivent précisent qu’elle sourit désormais et pleure de temps en temps

Un bon pas en avant. Les pleurs ce n'est rien d'autre que de montrer ses émotions. C'est une petite fille qui évolue. Elle commence à sourire tout juste. C'est quelque chose qu'elle a découvert. 
C'est une enfant qui a un potentiel d'évolution, qui a une envie de vivre incroyable, elle nous le montre. Il est très difficile d'imaginer les éventuelles séquelles, il est difficile aussi d'imaginer qu'elle n'en ait pas.


L'enfant est placée en famille d'accueil. Au cours de son suivi médical, un syndrome autistique est constaté. Elle ne porte aucun regard intéressé vers autrui et ne rentre pas en communication. Le procureur de Brive souligne alors que «la sphère de la communication et notamment de la communication verbale était gravement altérée. Le langage comportait des sons sommaires qui n'étaient pas adressés à autrui sauf, à des moments privilégiés, à son assistante maternelle»
 

 

Le lien entre l'autisme et les conditions de vie sera au cœur des débats du procès


Les experts désignés dans le cadre de l'instruction confirment le syndrome autistique. Reste à savoir s'il est en lien avec le calvaire subi par l'enfant. Une quatrième expertise, le 26 mai 2016, franchit le pas et qualifie même ce syndrome autistique d'irréversible.

Pour Marie Grimaud, avocate de l'association "Innocence en danger", le syndrome autistique définitif constaté est directement dû aux mauvais traitements subis pendant plus d'un an, comme elle l’explique au micro de nos confrères de RTL le 12 juillet 2016

Elle a été enfermée dans le coffre d'un véhicule avec des privations sensorielles extrêmement importantes, dans l'obscurité et sans contact avec l'être humain. [...] Les experts sont certains du lien de causalité entre ces séquelles et les conditions de vie de Serena sur ses deux premières années
 

Un point de vue que ne partage pas M'Hammed Sajidi, Président de l'association "Vaincre l'autisme"

Il est révoltant d'entendre que des maltraitances ou l'isolement d'un enfant déclenche l'autisme. C'est une erreur fondamentale. Nous sommes très choqués d’entendre que la maltraitance de ces parents a provoqué l’autisme chez un enfant. L’autisme est une maladie neurologique qui affecte le fonctionnement du cerveau, le système immunitaire et biologique, et surtout la capacité de reconnaissance des expressions et des codes sociaux et affectifs.

 

Une qualification criminelle relevant de la Cour d’Assises


Les premiers chefs d’inculpation à l’encontre des deux parents relèvent d’une qualification délictuelle. Mis en examen pour privation de soins par ascendants, violences habituelles et dissimulation, ils encouraient devant le Tribunal Correctionnel une peine de dix ans d’emprisonnement.

Mais la quatrième expertise pratiquée sur l’enfant, le 26 mai 2016, va faire évoluer les poursuites vers une qualification criminelle. Le dernier expert souligne que « les conditions dans lesquelles elle (l’enfant Séréna) avait été enfermée dans l’obscurité et sans contact avec les personnes environnantes avaient entrainé une désorganisation précoce des récepteurs, et que, passé ce stade, les altérations prenaient un caractère définitif ».

L’infirmité devenant permanente et le lien avec les maltraitances étant fait par cet expert, le Parquet requalifie les poursuites en violences suivies de mutilation ou infirmité permanente sur mineur de quinze ans par ascendant. Des faits qui font encourir à son auteur une peine de vingt ans de réclusion criminelle. L’instruction criminelle, confiée à un juge du pôle d’instruction à Limoges, a conclu au renvoi de Maria-Rosa Da Cruz devant la Cour d’Assises de la Corrèze, à Tulle.

Au procès, témoignera l’un des deux employés du garage qui a découvert l’enfant. Il confie à l’une de nos équipes ce souvenir toujours autant douloureux.
 

Témoignage

C’est une journée qui restera gravée à vie dans ma mémoire, un moment pas évident pas facile à vivre et qui nous marque encore tous les jours (… ) Ce qu’on se souvient c’est cette petite fille, l’état dans lequel on l’a retrouvée qui fait froid dans le dos… Le fait qu’elle sorte limite asphyxiée, qu’elle cherchait son souffle, surtout la réaction de la mère qui avait l’air un peu impassible, qui regardait ça de loin, c’est ça qui a été le plus choquant. Le procès attaque lundi … les Assises on comprend pas trop pourquoi, jusqu’à 20 ans de prison quel en est l’intérêt je sais pas, elle a besoin surtout d’un suivi médical et psychologique. Ce que j’attends surtout c’est des nouvelles de la petite, comme elle a été très cloitrée très fermée, on attend juste d’avoir de ses nouvelles. Après, vis-à-vis de la mère, c’est de la détresse sociale donc c’est compliqué. Après ce qu’il faut penser aussi c’est qu’elle a trois autres enfants dont elle s’était très bien occupée, qu’ils sont maintenant en âge de comprendre tout ce qui se passe, donc remédiatiser tout ça pour eux ça risque d’être douloureux donc je pense qu’il faut les préserver aussi 

Les nombreuses auditions et expertises tenteront de comprendre le déni de grossesse puis la dissimulation exceptionnelle de l’enfant. Parmi les parties civiles, trois associations de l’enfance en danger.
 

Un dispositif particulier pour les médias présents


L’émotion suscitée par l’affaire va mobiliser une couverture médiatique particulière. Plusieurs médias nationaux et régionaux vont suivre le procès. Le Ministère de la Justice assiste désormais les juridictions concernées par des procès au retentissement national pour leur dispositif de sécurité.
A Tulle à partir de lundi et pendant deux semaines, caméras et cars-régie seront aux abords du Palais de Justice. Une vingtaine de places est réservée, dans la salle de la Cour d’Assises où se déroulera le procès, aux journalistes et dessinateurs de presse des différentes rédactions. Celles et ceux qui n’y auront pas trouvé de place seront accueillis dans une salle d’audience voisine. Ces journalistes assisteront en direct au procès via des caméras installées spécialement pour ce procès.
Les activités pénales et civiles du Tribunal de Grande Instance de Tulle seront par ailleurs, pendant ces deux semaines, réduites aux urgences.
 
Chronologie des faits
  1. 25/10/2013 Deux employés d'un garage de Terrasson (Dordogne) découvrent un bébé nu, sale, déshydraté, dans le coffre d'une peugeot 307 que vient de déposer une cliente. Prise en charge médicale immédiate de l’enfant, une petite fille, à l’hôpital de Brive. Elle présente des signes de déshydratation, a l'air fiévreux mais l’équipe médicale ne constate pas des traces physiques de coups. La fillette pèse alors 7-8 kg. Elle est incapable de parler, de se tenir assise et tenir sa tête. Interpellation de la mère, elle est placée en garde à vue. Le père, d’une quarantaine d’années, est lui interpellé au domicile, à Brignac-la-Plaine. Fortement alcoolisé, il est placé en salle de dégrisement avant d’être mis également en garde à vue le 26/10/2018. L’enquête se poursuit au domicile des parents. Des prélèvements ADN ont également lieu pour vérifier la filliation parentale.
  2. 26/10/2018 Prolongation de la garde à vue de 24h. La mère avoue avoir mis au monde l’enfant dans le secret, chez elle le 24 novembre 2011, lui avoir donné un prénom, Séréna, et l’avoir, depuis, dissimulé à tout le monde, y compris à son conjoint et les trois autres enfants du couple, et ce pendant deux ans. Une information judiciaire est ouverte et les parents sont mis en examen pour violences habituelles sur mineur de 15 ans et privation de soins par ascendant. Ils sont laissés en liberté sous contrôle judiciaire. Un Juge d’instruction est désigné. Les trois autres enfants du couple, âgés de 4, 9 et 10 ans, sont confiés aux services d'aide sociale du département de la Corrèze aux fins de placement provisoire, sur ordonnance du Parquet.
  3. La petite fille continue à recevoir des soins. L’équipe médicale constate un retard de croissance et de nombreuses carences. L'enfant souffre en effet d'importants retards psychomoteurs, de poids et de taille. Dans les mois qui suivent, médecins et psychiatres constatent qu’elle a développé un trouble autistique.
  4. 26/05/2016 Une contre-expertise conclut à un syndrome autistique permanent en lien avec les conditions de vie de l’enfant.
  5. 12/02/2016 Le Parquet requalifie les poursuites à l’encontre de la mère et saisit le pôle d’instruction criminelle de Limoges. Le dossier quitte le Tribunal de Grande Instance de Brive. Concernant le père de Serena, « en l’absence d’éléments probants sur sa connaissance de l’existence même de l’enfant », le même Parquet requiert un non lieu en sa faveur. L’instruction conclut au renvoi de la mère devant la Cour d’Assises.
  6. 12/11/2018 Ouverture de la session de la Cour d’Assises de la Corrèze, entièrement dédiée au procès. Elle est accusée de violences suivies de mutilation ou infirmité permanente sur mineur de 15 ans par ascendant, privation de soins ou d’aliments compromettant la santé, dissimulation ayant entrainé une atteinte à l’état civil d’un enfant.
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