Mobilité, pouvoir d’achat, agriculture : autant de thèmes qui ressortent de la consultation citoyenne "Ma France 2022". À quelques jours de l’élection présidentielle, nous sommes allés à la rencontre des habitants de Bétête, plus que concernés par ces enjeux. Mais qu'attendent-ils réellement de cette élection ?
Bétête : 380 habitants, un bureau de poste et une épicerie fraîchement rouverte depuis le 1 mars dernier. A première vue, un petit village standard de la Creuse où la ruralité semble avoir pris le dessus, mais c’était sans compter sur la population qui y réside, attachée à son territoire et prête à tout pour le faire vivre.
Pour le comprendre, il faut pousser la porte de l’épicerie, installée au cœur du village. "La patte d’oie gourmande", voici le nom qui lui a été donné, en référence à sa localisation, au carrefour de ce village.
Après avoir été laissée à l’abandon pendant une vingtaine d’années, elle retrouve aujourd’hui son âme d’antan, pour le plus grand bonheur des pensionnaires du village. Une fois à l’intérieur, tout laisse penser à un commerce standard, mais en réalité cette épicerie n’a rien de commun. Ici, pas un seul salarié n'y travaille, tous sont des habitants bénévoles qui se relaient chaque matin, pour maintenir le commerce ouvert.
La mobilité : le point noir de la Creuse
Attablée au comptoir ce jour-là pour son traditionnel café du matin, Josiane. Elle m’interpelle dès mon arrivée dans l’épicerie. "Vous venez de Limoges ? Je n’y ai jamais été alors que ça fait six ans que j’habite ici".
Limoges, chef-lieu de l’ancienne région Limousin est à 122km, 1h22 de route. Problème, Josiane n’a pas le permis. "Je me déplace uniquement avec mon mari et nos sorties se résument bien souvent aux courses que nous allons faire soit à Boussac (13km) ou Guéret (35km)".
Mais qu’est-ce-qui a bien pu amener Josiane à quitter la Côte d’Azur où elle résidait pour ce petit village de Creuse, qui plus est sans avoir de permis ? "Lorsque j’ai perdu ma maman j’ai eu un déclic. Je n’avais plus d’attache, avec mon mari, on a décidé de tout vendre, on a eu un coup de cœur pour ce petit village dans lequel mon beau-frère résidait. On a décidé d’acheter une maison avec un jardin et des poules. Je peux vous dire qu’on revit !".
"La mentalité ici n’a rien à voir avec celle du sud, on se serre tous les coudes, on est solidaires les uns avec les autres et je peux vous dire que ça n’a pas de prix", poursuit-elle.
Autour du bar ce matin, une poignée d’habitants avec lesquels Josiane échange. A quelques jours seulement des élections présidentielles, le sujet est bien évidemment dans tous les esprits.
Pour qui iront-ils voter le 10 avril prochain ? Le mystère reste entier.
En 2017, Emmanuel Macron était arrivé en tête des suffrages exprimés lors du second tour des élections avec 61,65%. Pourtant au premier tour de l’élection, deux extrêmes étaient en tête ici, Marine Le Pen avec 24,1% des intentions de vote et Jean-Luc Mélenchon avec 21,51%, Emmanuel Macron recueillait quant à lui 19,92% des voix. Et pour cause, ici les habitants se sentent délaissés, bien loin de préoccupations des pouvoirs publics. Loin des thèmes de prédilection de ces candidats, tel que la sécurité ou encore l'immigration, derrière ce vote extrême en réalité, l’expression d’un ras-le-bol.
Inaction des pouvoirs publics
"Fatalement concerné", comme il le dit par les élections présidentielles, Martial Delcuze, maire de Bétête se sent bien loin des préoccupations du futur pensionnaire de l’Elysée. Ce maire sans étiquette, a fait le choix de ne parrainer aucun candidat, pour préserver la "neutralité" vis-à-vis de ses administrés.
"Vous savez les politiques sont souvent dans les grandes villes, ils ne viennent pas dans les petits villages. En Creuse, il y a ceux qui sont à Guéret et après il y a les autres et je pense que les problématiques ne sont pas les mêmes. Prenez par exemple la mobilité, il n’y a jamais eu de volonté du département ou de la région de l’améliorer. Et ce n’est pas avec les 500 000 euros de budget annuel qu’on va pouvoir faire quelque chose".
Sentiment partagé par de nombreux habitants, "le gros point noir ici, c’est la mobilité. Vous vous rendez-compte on n’a même pas une ligne de bus qui passe ici ! Sans voiture on ne peut rien faire, et avec la hausse du prix de l’essence ça ne va pas s’arranger. Pour nous l’impact est énorme, c’est notre seul mode de déplacement, mais aujourd’hui on doit réfléchir à deux fois avant de prendre la voiture", me confient Fabienne et Bernard, un couple de jeunes retraités, installé à Bétête depuis 3 ans.
En Creuse, un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté
"On a fait le choix de la tranquillité, la nature pour notre retraite. On ne supportait plus la ville". Avec 2 000 euros de pension de retraite à deux, le couple boucle parfois difficilement ses fins de mois. "C’est sur que la vie est moins chère ici, mais malgré tout on doit se serrer la ceinture. Avant on pouvait aller au restaurant de temps en temps, aujourd’hui ce n’est plus possible".
Bien que "concernés" par ces élections, eux n’attendent pas grand chose du futur président. "Les politiques n’en n’ont rien à faire des campagnes, ils viennent se montrer parce que ça fait bien mais rien ne change ici. Heureusement qu’on attend après eux pour que les choses bougent, vous voyez par exemple cette épicerie, elle a vu le jour uniquement grâce à la volonté des habitants".
Derrière ce projet, Annette, le bout en train du village, toujours à 200 à l’heure. Cette petite fille de Creusois, aujourd’hui proche de la retraite a grandi et vécue à Paris jusqu’à se faire rattraper par ses racines en 2010.
"Ma fille a fait ses études à Limoges, ça m’a poussé à revenir à Bétête dans une maison dont j’avais héritée. Au début je revenais ponctuellement, j’avais peur de me sentir isolée si je déménageais ici, et puis le calme, la nature, le retour aux vraies valeurs, tout ça m’a conquise et j’ai sauté le pas".
Adjointe au maire de Bétête, c’est elle qui a initié le projet de "La patte d’oie gourmande". "Je voulais un projet qui permette de redonner de la vie, retrouver l’âme de ce village qu’il y avait lorsque je venais en vacances dans ma jeunesse. On a décidé avec le maire de lancer un questionnaire aux habitants pour savoir ce qu’ils souhaiteraient voir dans ce local laissé à l’abandon. Le retour a été très clair, nombre d’entre eux sollicitaient une épicerie bar. Le maire nous a donc mis gratuitement à disposition le local et après quelques mois de travaux, La patte d’oie a pu voir le jour".
Et le pari semble être gagné, entre rire et taquinerie au bar ce matin, "vous voyez, ça met de l’animation, ça fait revivre le village, avant c’était mort, il n’y avait que la poste, mais on n’avait aucun lieu pour se retrouver entre habitants. Ce petit commerce ça nous force à sortir de chez nous. Grâce à l’épicerie j’ai rencontré de nouveaux habitants du village", confie Josiane.
La Creuse, terre d’élevage, mais pour encore combien de temps ?
Retrouver l’âme de ce village, où le temps semble parfois s’être arrêté - en témoigne ces deux vieilles pompes à essence, où le prix est encore affiché en franc - c’est ce qui anime Martial Delcuze.
"Quand je suis arrivé à Bétête en 1976, il y avait 625 habitants, il y avait une cinquantaine de paysans, le village vivait grâce à eux, on avait plein de commerce, une quincaillerie, un bar/restaurant… Dans les années 90 ça a commencé à décliner. Ces paysans ont pris leur retraite, les exploitations n’ont pas été reprises, elles ont été données à l’agrandissement. Aujourd’hui on a moins de 10 exploitations sur la commune".
Parmi eux, Camille et Martino, couple d’agriculteurs installé à Bétête depuis 1994. "Ça commence à revenir cher de vivre à la campagne. Dès qu’on a besoin de quelque chose on doit faire des kilomètres, et avec la hausse du prix de l’essence, ça devient difficile. Et le problème c’est qu’il n’y a pas que ça qui augmente. Tout augmente, les aliments pour nourrir nos animaux, la paille…!", s’indigne Camille.
A la tête d’un élevage de charolaises - 90 mères, 110 veaux - eux sont inquiets quant à leur avenir. "On gagne un SMIC à deux, essentiellement issu des aides que l’on perçoit. Avec les dernières augmentations on ne sait pas comment on va faire. Chaque année, on a une épée de Damoclès sur la tête, est-ce qu'on va pourvoir tenir une année de plus ? C’est LA grande question". Avant d’ajouter, "on a 3 enfants, on sait qu’aucun des trois ne reprendra l’exploitation, ça nous rassure". Une issue difficile à admettre pour ce couple de passionnés, mais "la raison a pris le dessus, il faut être conscient que notre activité est en danger", ajoute Camille.
Les élections présidentielles pour eux ? "On ne se sent absolument pas représentés. L’agriculture est négligée par le gouvernement. Le problème c’est qu’à force de mettre de côté cette profession on court vers une énorme crise. Ce qui me fait tenir c’est la passion, mais aujourd’hui cette passion me coûte très cher".
Selon l’INSEE, si l’élevage de bovins domine toujours en Creuse, il tend à décliner ces dernières années. Entre 2010 et 2020, le département de la Creuse a perdu près de la moitié de ses exploitations.
33 nouveaux inscrits sur les listes électorales
Des professions qui déclinent mais des petits villages qui tente malgré tout de renaître. Selon le maire de Bétête, la tendance s’est inversée début 2010. Il y a eu un net regain de population. Et tout récemment, "la crise du covid a déclenché un besoin de nature, de campagne. Aujourd’hui on a une population qui augmente. On a 33 nouveaux inscrits sur les listes électorales, c’est énorme pour notre petit commune. Notre objectif c’est d’arriver à 400 habitants".
Pour y parvenir, le territoire bénéficie de plusieurs atouts. Il se situe tout d’abord au coeur d’un bassin d’emplois conséquent. Trois des plus gros employeurs de la Creuse se situent à moins de 15km de la commune : Dagard, Saint-Gobain Eurocoustic et France Fermetures.
Deuxième atout : l’école. Le maire se bat chaque année pour la maintenir. "J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux", confie Martial Delcuze. "C’est très important d’avoir cette école dans la commune pour continuer à attirer une population jeune. On est conscients que notre population est très vieillissante et il faut qu’on inverse la tendance".
Deuxième département le moins peuplé de France, derrière la Lozère, la Creuse est fortement marquée par une population vieillissante. Avec un âge moyen de 47 ans, les Creusois sont les habitants les plus âgés de la Nouvelle-Aquitaine. Ici, la densité de population ne dépasse pas 22 habitants par km2, soit trois fois moins que dans l’ensemble régional.
Des habitants isolés et las de constater l’inaction de l’Etat qui iront malgré tout voter ce dimanche 10 avril, pour élire le futur pensionnaire de l’Elysée. "Il y a 20 ans, les élections c’était un gros événement, aujourd’hui on a le sentiment que ça passe comme une lettre à la poste et c’est dommage. La campagne présidentielle a été dominée par une guerre des partis et on a laissé le plus important de côté : les propositions des candidats. Malgré tout, ce droit de vote on y tient, nos ancêtres se sont battus pour l’avoir donc c’est évident que nous irons voter", conclut Annette.