Publié le Écrit par Sarah Boana
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Jérémy Laporte, étudiant en sociologie à l'université de Limoges, réalise une thèse pour comprendre les raisons qui poussent les jeunes à quitter leur campagne et, parfois, à revenir. Il nous partage ses observations faites en Creuse.

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Quelle est la trajectoire sociale des jeunes issus d'un milieu rural ? C'est la question à laquelle tente de répondre Jérémy Laporte, doctorant en sociologie à l'université de Limoges et à l’Inrae, financé par le conseil départemental de la Creuse et l’ANRT. Il en a fait l'objet de sa thèse, en cours de rédaction, qui s'intitule : Rester, partir, revenir, trajectoires sociales et mobilités spatiales en milieu rural.

France 3 Limousin : comment est venue l'idée d'une thèse sur les jeunes et leur souhait de partir ou rester vivre à la campagne en Creuse ?

Jérémy Laporte : En troisième année de licence, j'ai commencé à travailler sur mon club de foot à Mérinchal (Creuse). Dans ce domaine d'étude, on parle plus souvent des jeunes urbains que des jeunes ruraux. L'idée était de comprendre les interactions entre les jeunes hommes : quelles sont les normes, les moments, les "sociabilités". En clair, ce qui se joue durant l’enfance, l'adolescence et le passage à l'âge adulte. Un exemple, celui de l'apéritif : c'est un moment clé qui marque le fait qu'on fait partie du même monde.

Plus tard, j'ai voulu élargir mon objet d'étude où je me suis intéressé à la zone de Crocq, particulièrement le collège qui est celui dans lequel j'ai étudié. J'ai commencé il y a trois ans, et ces jeunes ont entre dix-sept et vingt ans aujourd'hui. Il y a quelque chose de personnel dans ce sujet : partir ou rester, c'est une question que je me suis moi-même posée et que je me pose encore aujourd'hui.

Quelles ont été vos premières observations sur les parcours de vie des jeunes dans ce département ?

Tout d'abord, il n'y a plus d'exode de jeunes ruraux. Certains partent, mais il y en a aussi beaucoup qui reviennent. Il y a différentes configurations. Il y a ceux qui font les allers-retours entre leur ville d'étude ou de travail très régulièrement. C'est le cas, par exemple, des jeunes qui étudient à Clermont-Ferrand. Ils, elles, reviennent le week-end en Creuse pour jouer dans leur club de foot. Et, il y en a pour qui c'est plus difficile de revenir, car ils n'ont plus de famille ou ils ont coupé les ponts avec celle-ci. Mais, la plupart, reviennent et ne quittent finalement jamais réellement leur campagne.

Ce que j'ai aussi pu remarquer en Creuse, c'est qu'on a plus de femmes qui partent que d'hommes. En milieu populaire, les femmes font plus d'études que les hommes. Il faut comprendre qu'il y a encore beaucoup d'agriculteurs et en majorité, les exploitations sont transmises aux hommes ou à l'aînée de la fratrie.

D'ailleurs, la position dans la fratrie joue sur les mobilités. C'est particulièrement le cas dans les familles indépendantes qui ont une exploitation ou une entreprise. Ce sont les aînés qui reprennent en priorité ou restent pour prendre soin des parents. Donc, les cadets ou les benjamins quittent plus souvent la campagne pour travailler ou étudier que leurs aînées. 

Étudier, ça a aussi un coût : se loger, se nourrir, les transports, ce sont donc ceux issus des familles les plus aisés qui ont tendance à s'en aller.

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À quelles difficultés sont confrontés les jeunes ruraux quand ils partent ?

J'ai rencontré des gens pour qui le départ en ville a été très compliqué. Une enquêtée, par exemple, avait l'habitude d'être dans une toute petite école où tout le monde se connaît, puis en arrivant à la fac, elle s'est retrouvée avec énormément de monde, avec l'impression que personne ne la "calculait". Les habitudes sont aussi différentes. Alors, elle s'est rabattue sur un BTS pour avoir une plus petite classe et revenir à la campagne.

Il y a aussi les loisirs, on voit des jeunes qui ont été habitués à passer leur temps dehors, à la pêche, à la chasse, à se promener dans les bois, bricoler dans le jardin, ramasser des champignons. Et ça, ils ne peuvent pas le faire en ville.

Certains s'adaptent au milieu urbain, mais continuent de revenir régulièrement pour voir leurs amis et leur famille.

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Les communes essayent-elles d'inciter les jeunes à rester dans les campagnes ? 

C'est dur de faire rester, mais il n'y a pas forcément une volonté des élus, non plus, de faire rester les jeunes. Il faut que les jeunes fassent leur expérience. Le département de la Creuse a, par exemple, mis en place un campus connecté pour les personnes qui n'ont pas la possibilité, soit pour des raisons financières, familiales ou de santé, d'étudier dans une autre ville. Cette collectivité travaille également à l'amélioration des conditions de vie des jeunes en Creuse, et cela commence par faire un état des lieux qui se fait au travers du dispositif  "Département éducatif rural".

Les départements ruraux proposent peu d'emplois qualifiés. En Creuse, les cadres représentent seulement 10% des emplois proposés.

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Votre terrain d'observation est la Creuse dans la zone de Crocq, mais ces observations sont-elles applicables pour tous les territoires ruraux ?

Il existe des campagnes plus bourgeoises et dynamiques, plus proche des littoraux, avec une composition sociale différente et donc des enjeux différents. 

Dans les années à venir, en France, les exploitations agricoles seront probablement moins nombreuses avec la baisse continue du nombre des agriculteurs. Autour de Crocq, ça représente encore 20% des actifs. La question de la reprise n'est pas la même en fonction des campagnes. Il y a aussi l'éloignement des villes qui joue. Dans les zones périurbaines, finalement, si on est à vingt, trente minutes de son travail, c'est plus facile de rentrer chez soi.

Le tissu associatif est très fort dans la zone que j'étudie, et ce n'est pas forcément le cas dans d'autres campagnes. 

Est-ce que votre regard est différent sur ces jeunes de campagnes maintenant ? 

Moi, j’ai un regard d’intérieur. Je pars d'un milieu que je connais bien et j'essaye de prendre de la distance, d'objectiver mes observations Le fait de prendre de la distance, permet de comprendre les motivations. Avant, ce n'était que des intuitions. 

Tous les jeunes ne partent pas sur un pied d'égalité. Notre capital économique, culturel, notre école sont des facteurs qui déterminent quel emploi on va exercer. Mais, il ne faut pas avoir un regard misérabiliste. Les gens font leur vie et trouvent des avantages à revenir dans leur campagne.

Il y a beaucoup de points communs entre les quartiers populaires et les campagnes. Plus que le lieu, c'est le milieu social qui est le plus important dans les mobilités. C’est une thèse en cours qui intéressent le conseil départemental, car elle pourrait permettre de travailler sur l'attractivité du territoire, d'accompagner les jeunes dans leurs mobilités et leurs retours.

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