Il y a un siècle, en 1922, plusieurs centaines de tailleurs de pierre italiens fuient le fascisme de Mussolini pour venir tailler le granit en Creuse. Jusque dans les années 70, ils ont mis leur savoir-faire au service de cette industrie et la plupart d'entre eux ne sont jamais repartis.
C'est une histoire méconnue des limousins et pourtant fondatrice du patrimoine culturel et architectural de la région. En 1922, Mussolini, l'un des plus grands dictateurs de l'histoire, prend le pouvoir en Italie. Les tailleurs de pierre refusant d’adhérer au parti fasciste ont l’interdiction de travailler en Italie. Ils sont alors plusieurs centaines à migrer vers la Creuse jusque dans les années 40.
Une pierre incassable
C'est dans le quartier du Maupuy, sur les hauteurs de Guéret, que l'histoire prend racine. Si la nature efface progressivement les traces du passé, il ressurgit toujours : derrière la végétation, on aperçoit encore le granit bleu, convoité et redouté au siècle dernier. "Le granit du Maupuy a un grain très fin et c'est pour ça qu'il est très dur et compact. Quand les tailleurs de pierre faisaient les bordures de trottoirs dans cette pierre, vous pouvez être sûr qu'elles ne pouvaient pas casser" raconte Daniel Delprato, le fils de l'un des tailleurs de pierre italiens venus en Creuse.
"L'acceptation par les Creusois n'a pas été toujours facile"
Personne n’osait s’attaquer à ce granit, alors on fit appel à une main d'œuvre étrangère, en profitant de la crise politique que traverse l'Italie de Mussolini dans les années 1920. Lorsque Benito Mussolini arrive au pouvoir, il interdit aux tailleurs de pierre italiens de travailler s'ils se soulèvent contre le fascisme en refusant d'adhérer à son parti.
Plusieurs centaines d'entre eux migrent alors vers la Creuse jusque dans les années 1940. "Ils sont arrivés en Creuse et ce n'était pas une vie très facile. Ils vivaient dans des villages et l'acceptation des Creusois n'a pas été toujours facile au départ, et bien sûr la Creuse les a adoptés ensuite grâce à leur travail. Ils ont montré aux Français comment il fallait pratiquer pour avoir une bonne taille et du bon granit débité avec le bon fil" se souvient Daniel Delprato.
Un travail de tâcheron
Certaines pierres sont encore marquées par les stigmates de l’époque. "À l'origine, ils perforaient à la main, ils tapaient à deux avec la masse et mettaient une mèche lente. Une fois allumée, ils allaient se cacher derrière d'autres pierres et après, quand ça explosait, ça faisait un souffle..." énumère méthodiquement, comme ci c'était hier, Daniel Delprato.
Un véritable travail de tâcheron : le père de Robert Marchio, lui aussi tailleur de pierre italien, cognait le granit dix à quinze heures par jour pour faire des bordures de trottoir.
A deux ans, j'étais à la carrière avec lui, mais la première chose que j'ai faite, c'est d'utiliser ses outils. Mon père taillait deux bordures par jour alors que moi, à douze ans, il me fallait une semaine pour en tailler une seule !
Robert MarchioFils de tailleur de pierre italien immigré en Creuse
Quitter l'enfer du Maupuy
Épris de liberté, ceux que l’on surnomme les « casse-cailloux » quittent progressivement l’enfer du Maupuy pour gagner les bois environnants où ils seront entourés de "boules" de granit par centaines. "On voit des familles qui se répartissent des secteurs et vont de secteurs en secteurs. Autour de Sardant par exemple, sur un rayon d'une quinzaine de kilomètres, ce n'est quasiment pas possible de passer dans un bois sans voir, ici où là, des traces de ce que l'on appelle des « chantiers ». Ce sont des boules qui sont, soit entières, ou dont on voit qu'il en manque une partie" témoigne Jean Métégnier, musicien et co-auteur du livre "Cogner le granit : Italiens tailleurs de pierre en Creuse".
Sardent, grand témoin des tailleurs de granit
Non loin du Maupuy, à l'entrée du bourg de Sardent, trône un précieux témoignage du passage des tailleurs de pierre italiens. "Il y a sûrement une volonté de reconnaissance, à ce lieu et à cette communauté, pour donner de la place à ces étrangers qui sont arrivés. Ils ont gagné le respect de la population, car c'étaient les tailleurs d'une pierre qui jusque-là n'était pas utilisée" décrypte Jean Métégnier alors face à la sculpture.
Dans les années 1970, l’exploitation du granit s’est achevée. Les derniers acteurs de cette histoire ont tous disparu, mais leur mémoire, quant à elle, reste à jamais gravée dans ce granit.