La loi Egalim 2 est effective depuis le 1er janvier. Après l'échec d'Egalim 1, elle oblige la grande distribution à passer des contrats avec les agriculteurs qui prennent en compte leur coût de production. Pour les éleveurs, la mise en place de ces contrats est laborieuse.
Emmanuelle Poirier passe en revue son petit troupeau. Dans la stabulation, des limousines essentiellement mais aussi quelques laitières. Elles se distinguent avec leurs robes multicolores. Chacune a son petit nom.
Emmanuelle est installée en Creuse avec son mari sur une exploitation de 129 hectares. Elle élève 85 vaches dont 10 laitières pour faire du veau de lait. Depuis le début de l'année, elle essaie de passer des contrats avec la grande distribution qui prennent en compte ses coûts de production. Sans succès.
"On arrive à pouvoir en discuter avec notre maquignon, notre marchand de bestiaux, mais dès qu'il arrive auprès des opérateurs de production et de la grande distribution, on lui dit clairement qu'il est hors de question de rémunérer l'éleveur à son juste prix, c'est à dire à notre coût de production".
Ces coûts ont bondi ces dernières années. Le carburant a énormément augmenté mais pas seulement. L'aliment via les céréales, les engrais, tous les coûts de matière premières ont explosé. Un juste prix prendrait donc ce facteur en considération. Pour Emmanuelle, il s'agirait d'une augmentation d'environ 30 centimes le kilo.
Ca paraît peu pour les gens quand on dit 30 centimes, mais pour nous ça représente une belle somme à la fin de l'année, ça représente notre revenu, un vrai revenu
Emmanuelle Poirier Eleveuse
De quoi concrètement s'approcher du SMIC alors qu'Emmanuelle et son mari en sont loin pour le moment.
Les réticences des grandes surfaces et des transformateurs à signer les contrats ont déjà conduit la FDSEA et les JA à pousser quelques coups de gueule. Des actions sont déjà envisagées. De son côté la confédération paysanne n'est pas non plus enthousiaste.
"Tant qu'ils resteront dans cette logique libérale qui consiste à importer énormément de production des pays étrangers avec les accords de libre échange, ça va être impossible de sortir un prix rémunérateur" estime Thomas Gibert, porte-parole de la confédération paysanne de Haute-Vienne.
Certains éleveurs traitent directement avec un marchand de bestiaux quand d'autres adhèrent à des coopératives qui font l'intermédiaire. De leur côté, l'application de la loi est aussi difficile.
"L'essentiel des mâles nés dans nos exploitations partent en engraissement en Italie. Là-bas c'est la loi du marché qui s'applique, pas question de réglementer les prix" explique Jean-Christophe Dufour, patron de la CELMAR.
Malgré tout les coopératives s'en sortent mieux car elles pèsent plus dans la négociation avec l'aval. En Creuse les deux plus grosses (Celmar et CCBE) représentant à elles deux plus de 1000 éleveurs actifs et 90 000 bovins viennent de s'associer pour vendre sous une unique bannière (une association d'organisation de producteurs).
Il ne faut pas tout attendre de la loi. Elle est là pour éviter les plus grandes dérives. Après ce sont aux éleveurs de s'associer pour avoir du poids et mieux négocier les prix
Jean-Christophe Dufour, président de la Celmar
La loi pousserait donc à l'adhésion aux coopératives ? Certains éleveurs en font le reproche à Jean-Baptiste Moreau rapporteur de la loi Egalim 1 et co-rapporteur de la loi 2. C'est aussi l'ex-président de la Celmar. Une position qu'il assume.
"Bien sûr qu'il faut aller vers une plus grande organisation des éleveurs. La loi ne va pas tout régler. Par contre nous allons tout faire pour la faire appliquer. Des sanctions et des contrôles sont prévus et ont déjà débuté".
Les négociations sont en cours entre les éleveurs et la grande distribution. Leur issue dira si la contractualisation a fonctionné. L'Etat est-il vraiment prêt à frapper Bigard (qui représente 60% du commerce de la viande en France) et la grande distribution au portefeuille ? Si ce n'est pas la cas la désillusion et la rancœur risquent d'être grandes dans le monde agricole.
La confédération paysanne contre-attaque
Critique du modèle agricole dominant et de la loi Egalim, la confédération paysanne souhaite s'orienter sur un modèle alternatif : l'engraissement à l'herbe. En faisant un travail sur l'amélioration des techniques de pâturage, il serait possible de ne pas avoir recours au maïs et aux céréales pour nourrir les bêtes. Cela engendrerait d'énormes économies. Plus besoin d'acheter de l'aliment, ni d'intrants en complément. Plus besoin d'utiliser le tracteur pour cultiver les céréales, donc baisse de la consommation de carburant. Les prairies stockent également le carbone et participent à la biodiversité.
"L'idée c'est de profiter du fait que beaucoup de consommateurs se posent des questions sur leur consommation de viande. Ils veulent consommer moins de viande mais de meilleure qualité. L'engraissement à l'herbe serait plus rémunérateur pour l'éleveur et plus vertueux au niveau environnemental" explique Philippe Babaudou, qui expérimente actuellement le tout herbe.
La confédération souhaite donc créer un label qui permettrait de mettre en avant l'engraissement des animaux à l'herbe localement.