Ce jeudi 6 avril 2023, 47 "Enfants de la Creuse" décolleront vers leur île natale, La Réunion. Un retour aux sources, après avoir été arrachés à leurs parents entre 1963 et 1982. Un exil forcé, source de traumatisme pour ces hommes et ces femmes déchirés par l'histoire.
Derniers préparatifs pour Simon A-Poi. Cet ancien cuisinier s’apprête à retourner à La Réunion, accompagnée de 46 autres personnes déracinées contre leur gré entre les années 60 et 90, ceux qu’on appelle “Les enfants de la Creuse”.
"Ça nous fait beaucoup de bien, on sait qu’on part et on arrive là-bas avec la famille qui nous attend, c’est important. Vous vous rendez compte, on arrive avec autant de monde, jamais on a eu autant de monde", sourit Simon A-Poi, 68 ans, président de l'association des Réunionnais de la Creuse. "Mais au bout de trois semaines à La Réunion, la métropole me manque", confit-il.
Ils sont ainsi plus de 1 600 enfants réunionnais à avoir été transférés dans 64 départements de métropole, pratique sidérante, justifiée pourtant, à l'époque, par des arguments démographiques afin notamment de "repeupler les zones rurales". Enlevés à leurs parents par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, ces enfants étaient "transplantés" en métropole. La Creuse est le département qui en a accueilli le plus grand nombre.
Responsabilité de l'État reconnue
Le ministère des Outre-mer prend en charge les billets d’avions et une partie du coût de l'hébergement, au titre de la "responsabilité morale" de l'État reconnue par les députés en 2014.
Pour Simon et son ami Jacques, arrivés en Creuse à l'adolescence, ce retour vers l'île de leur enfance ravive un passé difficile. “Ça fait toujours quelque chose tous ces souvenirs de quand on était gamin. Je suis content d'y retourner, on va bien profiter. À chaque fois qu'on y va, l'émotion est la même. Ma vie est à moitié ici, à moitié là-bas”, déclare avec émotion Jaques Dalleau, 71 ans.
Sur le chemin de la résilience
"C'est un passé que j'ai digéré, il faut tourner la page, on a pris sur nous et c'est fini, maintenant, on est apaisés, on a quelques regrets, mais il faut avoir la résilience" affirme Simon, qui va rencontrer pour la première fois sa petite fille à l'atterrissage.
À 9 000 kilomètres de là, Valérie Andanson, porte-parole de la FEDD (Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-mer), s’apprête à accueillir le groupe de 47 "Enfants de la Creuse”, aujourd'hui majoritairement retraités, sur leur terre natale.
Pour savoir qui l’on est il faut savoir d’où l’on vient. On n’est pas là pour chercher les coupables, on est là pour nous réconcilier avec nos familles, peu importe ce qu’il s’est passé. Maintenant ce qu’on veut c’est aller sur le chemin de la résilience. Et surtout être considérés comme des victimes mais aussi comme des Réunionnais. Un pardon de l'Etat serait quelque chose d'exceptionnel, ça nous aiderait à nous apaiser.
Valérie Andanson, porte-parole de la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-Mer (FEDD)
Cinq jeunes du collectif montpelliérain V.1 joueront pour l'arrivée du groupe une pièce de théâtre, "Tous nos ciels", sur les "Enfants de la Creuse", se concentrant plus particulièrement sur l'histoire de Valérie Andanson. "C'est important que la jeunesse porte cette histoire", dit-elle.
Une cellule d’aide psychologique accompagnera le groupe sur l’île. Ceux qui le souhaitent pourront avoir accès à leur dossier administratif afin de tenter de mieux comprendre leur installation forcée en métropole.
Écrit avec Arnaud Richard-Ferraro.