Assurances et risques climatiques. "Aujourd'hui, on paie la non-adaptation", le système face à l'obligation d'évoluer

En raison du dérèglement climatique, les risques associés sont de plus en plus nombreux, et avec eux, les coûts des sinistres qui explosent en Nouvelle-Aquitaine et ailleurs. Un rapport préconise plusieurs mesures afin d'éviter le retrait des assureurs des zones les plus exposées et de favoriser la prévention face aux risques. Tous les assureurs n'adoptent pas les mêmes stratégies.

L'eau est montée d'un coup, elle s'est introduite dans les sous-sols puis au rez-de-chaussée, abîmant fondations et murs. Un choc pour les habitants, parfois forcés d'être relogés. Comme dans cette commune de Montmorillon, dans la Vienne, 45 communes du département ont été touchées par de fortes inondations en cette fin mars 2024. Ce mardi 16 avril, la préfecture vient d'annoncer leur reconnaissance en catastrophe naturelle. Ce système de reconnaissance leur permet d'avoir accès plus facilement aux processus d'indemnisations auprès des assurances lors de ces événements exceptionnels.

Mais aujourd'hui, ce risque de catastrophe naturelle ne semble plus ni hypothétique ni si rare. "Il y a désormais deux fois plus de chances pour que ces événements climatiques extrêmes se produisent qu’à l’ère préindustrielle", explique Gonéri Le Cozannet, géologue au BRGM et contributeur au rapport du GIEC de 2022. En France, en 2023, 239 389 arrêtés de catastrophe naturelle ont été pris, dont 42 531 (18%) rien qu'en Nouvelle-Aquitaine. Si cette nouvelle réalité est évidemment une plaie pour les populations concernées, c'est aussi un véritable casse-tête pour les assureurs. 

En 2022 : 10,6 milliards d’euros de sinistres climatiques

Dans le système d'assurance des catastrophes naturelles, la France se distingue par un système bien particulier : elle a une caisse centrale de réassurance (CCR) semi-publique. C'est-à-dire qu'une surprime est prélevée obligatoirement sur les contrats habitation et permet de financer le système des "Cat-Nat" (catastrophes naturelles). Si votre commune est reconnue en Cat-Nat, 50% du coût des sinistres seront payés par cette CCR.

Ce système de mutualisation, largement loué par les assureurs, se trouve toutefois en difficulté. Depuis 2015, il est déficitaire. C'est pourquoi, la surprime qui finance ce régime a été augmentée de 12% à 20% en décembre 2023 (application le 1ᵉʳ janvier 2025). Un rapport sur l'assurabilité des risques climatiques, remis début avril, entend même augmenter progressivement cette surprime afin qu'elle suive "l'inflation climatique".

Il faut dire que le nombre de catastrophes naturelles a augmenté et le coût de ces sinistres a épousé cette courbe. En 2023, les sinistres climatiques (inondations, sécheresse, tempêtes et grêle) ont coûté 6,5 milliards d’euros en 2023 aux assureurs, soit la troisième année la plus coûteuse après 1999 (16,6 milliards d’euros pour les tempêtes Lothar et Martin) et 2022 (10,6 milliards d’euros principalement pour cause de sécheresse et de grêle). En Poitou-Charentes, on se souvient aussi de la tempête Klaus en 2009 (1,680 milliard d'euros) et de Xynthia en 2010 (1,2 milliard d'euros).

Jean-Philippe Dogneton, directeur général de la Macif, a vu une multiplication des sinistralités. "Toute l'histoire des assureurs est jalonnée de relations avec le climat, on a eu l'habitude des grands sinistres avec les tempêtes de 1982 et 1997 en Bretagne, par exemple, ou les sécheresses et les épisodes de grêle. Mais depuis 10 ans, c'est plus pervers, nous voyons une augmentation des événements de moyenne intensité qui aggrave fortement les charges." Il note également que le coût des sinistres a aussi augmenté, car les valeurs assurées sont plus importantes (les maisons sont plus chères en 2024 qu'elles ne l'étaient en 1980).

Et cette tendance va continuer de façon exponentielle. La CCR estime que cette hausse pourrait varier de 27% à 62% d'ici à 2050, selon les différents scénarios de réchauffement climatique. Face à ces explosions du coût des sinistres se pose alors la question qui fâche : peut-on toujours s'assurer quand le risque n'est plus un aléa, mais quasiment une certitude ? 

Aux États-Unis, le problème a été réglé sans prendre de pincettes. De nombreux groupes d'assurance ont littéralement fui les zones à risque comme la Californie, la Louisiane ou encore la Floride, frappées par des feux, des tempêtes et des inondations à répétition. Cette évasion assurantielle est la bête noire des assurés, mais ne serait pas à l'ordre du jour pour le moment en France. "En France, les assureurs ne se retirent pas, assure Baptiste Denis, chargé de plaidoyer ESG à AXA. Ce n'est pas la même culture sociale qu'aux États-Unis et nous avons ce régime Cat-Nat qui offre une assurance supplémentaire."

Exception faite pour le secteur particulier de l'assurance aux collectivités dont le système est en proie à un déficit quasi structurel. Le marché, peu rentable, est globalement concentré dans les mains de deux acteurs qui peinent à supporter les coûts. Plusieurs assureurs étrangers qui s'étaient mis sur le marché mi-2010 se sont retirés les uns après les autres.

Les maires de plusieurs communes alertent depuis au moins l'été 2023 sur les difficultés récurrentes auxquelles ils font face pour trouver des assureurs à des prix respectables. Dans le Grand Poitiers, un maire a même dû se passer de contrat d'assurance, car personne ne voulait se positionner après la résiliation de la part de son assureur. Deux missions interministérielles différentes ont été dépêchées pour trouver des solutions. 

>> Lire aussi : "Aucun assureur n'a voulu se positionner sur notre contrat" : la galère des maires face à la flambée des tarifs des assurances

Sans parler de retrait des assureurs, on note une forte augmentation du poids de l'assurance sur le budget des ménages. Les assurances multirisques habitation ont augmenté de 5 à 8% cette année (alors que l'inflation devrait être à 2,6% en 2024 selon l'Insee).

Si la France ne voit pas de mouvement massif d'exode des assureurs, on observe des phénomènes d'exclusion de certains risques au fur et à mesure, dénonce Hélène N'Diaye, directrice générale adjointe de la MAIF en charge de l'assurance de personnes. C'est ce qu'on appelle de l'anti-sélection. Pour la directrice de cet assureur mutualiste, il faut trouver un mode de répartition équitable afin de continuer à assurer le risque climatique qui a "un coût colossal". "Il faut que chaque assureur prenne sa part. Sinon les assureurs qui restent dans ces zones les plus à risques, pour des raisons sociales, vont avoir tous les 'mauvais risques' tandis que les autres assureurs n'auront plus que les 'bons risques'." Un assureur avec beaucoup d'assurés à risques et donc un coût élevé de sinistres... les calculs ne sont pas bons. 

Même son de cloche du côté de Jean-Philippe Dogneton, directeur général de la Macif. Cette sélection potentielle est dangereuse, selon lui. "La tentation est grande de segmenter les risques. Par exemple, certains nouveaux entrants décident de ne plus assurer qu'à partir du deuxième étage ou bien de ne plus assurer que les locataires, mais pas les propriétaires. On doit préserver la mutualisation, sinon la société peut se fragmenter."

En réalité, cette segmentation a déjà lieu de façon claire dans le monde de la réassurance privée. La réassurance, c'est, de manière simplifiée, l'assureur des assureurs : une manière pour les acteurs de répartir le risque dans le temps et l'espace. Le plus gros poisson du secteur de la réassurance a décidé de ne plus assurer les risques sécheresse en France. "Heureusement que l'on a le système de réassurance public !", réagit Jean-Philippe Dogneton de la Macif. 

Pour éviter cela, le rapport Langreney paru au début du mois d'avril propose des pistes de réflexion pour "sauver le système d'assurance et de réassurance français", comme l'explique Gonéri Le Cozannet qui était l'un des coauteurs du rapport. Pour éviter une évasion des assurances et cette anti-sélection, le rapport Langreney propose une modulation de la surprime selon le territoire. Pour Hélène N'Diaye de la MAIF, cela risque de ne pas suffire, elle appelle à plus de mutualisation pour avoir une meilleure répartition des risques.

Un autre axe majeur est celui de la prévention. 

Aujourd'hui, on paie la non-adaptation des trente dernières années. Il ne s'agit pas de dire qu'on va tout assurer et que tout ira bien : nous devons cesser les esquives et, en contrepartie, de cette solidarité nationale qu'est l'assurance, il faut que l'on s'expose à moins de risques.

Gonéri Le Cozannet

S'exposer à moins de risques, d'accord. Mais comment ? Pour les assureurs, une question primordiale est celle de l'information et de l'acculturation au risque. Plusieurs assureurs ont déjà mis en place des outils. La MAIF met à disposition une cartographie des risques. Tandis que d'autres assureurs mettent en place des aides à la rénovation, par exemple après un sinistre comme AXA et sa garantie verte.

Ariel Le Bourdonnec, chargé de campagne assurance à Reclaim Finance, estime, lui aussi, que les assureurs ont toute leur place pour faire de la prévention, mais note une hypocrisie. "Ils augmentent les primes des assurances de leurs assurés exposés à des périls climatiques toujours plus grands alors que certains continuent d'assurer des projets qui alimentent ces mêmes risques climatiques auxquels font face leurs assurés. AXA par exemple continue d'assurer de nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié malgré leur impact sur le dérèglement climatique : c'est le pompier pyromane." AXA France précise ne plus assurer de nouveaux champs pétroliers depuis le 1ᵉʳ janvier et ne plus couvrir de champs gaziers à partir du 1ᵉʳ septembre 2025, "à l'exception des entreprises ayant un plan de transition crédible et ambitieux".  

Si les assureurs acceptent, avec plus ou moins de latitude, qu'ils ont un rôle à jouer dans la prévention des risques climatiques, tous s'accordent pour dire qu'ils ne sont qu'un acteur parmi d'autres, et que l'État doit coordonner et mettre les financements nécessaires. "Le risque climatique est assurable sous trois conditions, défend Baptiste Denis d'AXA : la prévention (via l'atténuation et l'adaptation), fixer le bon prix, et les partenariats publics privés."

Par exemple, pour le trait de côte grignoté par l'érosion, dont la Nouvelle-Aquitaine fait les frais, "ce n'est pas aux assureurs de dire aux assurés que leur maison n'est plus habitable", juge Hélène N'Diaye de la MAIF. "C'est une question politique et démocratique d'aménagement du territoire."

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité