La journaliste d'investigation deux-sévrienne et la comédienne aux 68 films se sont associées pour le tournage d'un documentaire qui veut alerter sur l'urgence de protéger la biodiversité. Elles nous ont accordé un entretien en exclusivité.
Elles ont chacune d'impressionnants parcours. La première est l'une des comédiennes françaises les plus connues à travers le monde, distinguée aux Césars ("Trois couleurs : bleu") et aux Oscars ("Le Patient anglais"), récompensée dans les plus grands festivals (Cannes, Berlin, et Venise), très engagée en faveur de l'écologie.
La seconde est une journaliste d'investigation réputée pour son exigence, lauréate du prix Albert-Londres, réalisatrice de dizaines de reportages et documentaires ("Le monde selon Monsanto", "Les moissons du futur"), auteure de plusieurs livres aussi. Le dernier, intitulé "La Fabrique des pandémies" qu'elle vient d'adapter en film, sonne l'alerte générale sur notre responsabilité face à l'émergence de nouvelles maladies.
Marie-Monique Robin et Juliette Binoche auraient pu ne jamais se rencontrer, mais leur première collaboration sur grand écran ne passe pas inaperçue. L'avant-première mondiale de "La fabrique des pandémies" a fait salle comble le 22 avril dernier à l'Unesco à Paris, avant une série de projections en France et à l'étranger. Une fierté et une source d'espoir pour la réalisatrice deux-sévrienne comme pour la comédienne qui prête bénévolement sa notoriété au film.
Elles nous ont accordé un entretien exclusif.
France 3. Comment en êtes-vous venues à travailler ensemble sur ce projet ?
Juliette Binoche. Je connaissais certains documentaires de Marie-Monique sur des sujets très importants pour la survie de l’humanité et de la vie sur terre. J’ai vu par exemple, "Le Monde selon Monsanto" et j’ai trouvé ça tellement bien documenté, bien expliqué et passionnant. Et puis, dans un festival sur l’environnement que je présidais, j’ai dit au directeur qu’il nous fallait absolument un journaliste d’investigation sérieux, quelqu’un qui soit capable de nous emmener sur un terrain du savoir. C’est là qu’on s’est rencontrées. À ce moment-là, Marie-Monique écrivait son livre "La fabrique des pandémies", et moi tout de suite, j’ai eu envie d’être dans le film. Je dois dire qu’elle a un peu résisté parce qu’elle ne savait pas trop où me placer vu qu’en général, elle se met à l'image dans ses documentaires. Mais au fur et à mesure, elle s’est laissée convaincre. Et on est parties comme ça à l’aventure avec les moyens possibles, entre le Covid, mon planning de tournage et les impératifs de bouclage. Mais on y est arrivées.
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C’est vrai qu’au début j’ai résisté parce qu’on devait aller dans 7 pays et j’avais peur qu’elle ne puisse pas se libérer.
MM Robin
Marie-Monique Robin. Quand j'ai reçu son message, j'ai cru que c'était un gag. J’étais en train de faire du sport et j'entends : "Bonjour, c’est Juliette Binoche". Imaginez que Juliette est l'une de mes comédiennes préférées ! Donc, elle me parle de ce festival, elle m’explique qu’elle veut travailler avec moi, etc. Et puis, il y a eu une rencontre. Et j’ai été touchée par sa sensibilité, son envie d’apprendre, sa curiosité et sa modestie de dire : "moi je n’y connais rien en sciences". C’est vrai qu’au début j’ai résisté parce qu’on devait aller dans 7 pays et j’avais peur qu’elle ne puisse pas se libérer.
Juliette Binoche. Il faut y croire pour que ça marche…
Marie-Monique Robin. Tu me l’as souvent répété, ça : "il faut y croire, il faut y croire". Et finalement, tu étais là en Thaïlande, aux Etats-Unis, à Madagascar, au Mexique... Sur les 7 pays où nous avons tourné, tu es venue presque partout.
France 3. Votre collaboration était donc une évidence ?
Marie-Monique Robin. Mes films ont souvent beaucoup d’impact dans le monde entier mais c’est vrai qu’il y a toujours un plafond de verre. Parfois, je me dis que je ne m’adresse peut-être qu’à des gens qui sont déjà convaincus. Moi, je veux vraiment toucher un public plus large. Le problème c'est que dans ce film, les héros ce sont les scientifiques et que leur parole fait peur parfois. Là, ce qui est bien c’est que Juliette fait le lien entre le public et les scientifiques.
Juliette Binoche. Les scientifiques apportent aussi un regard nouveau ; ils inventent une façon d’avancer pour comprendre l’écologie. Comment notre environnement est relié à notre santé. Comment nous, les animaux et la nature, sommes interconnectés. L’ONU appelle ce concept One Health (NDLR : une seule santé) et c’est formidable parce que ça réunit plein de gens différents. Anthropologues, scientifiques, humanistes et virologues travaillent ensemble pour mettre en commun leurs connaissances.
Il n’y a pas, d’un côté la médecine, de l’autre les vétérinaires, et les écologues. Ça permet d’expliquer à ceux qui doutent pourquoi et comment les pandémies émergent.
J. Binoche
France 3. Au cours du tournage, vous avez dormi dans des hamacs, vous vous êtes baignées dans des trous d’eaux, vous avez vu des rats, des chauves-souris, des moustiques, des tiques… C’était assez roots, rien à voir avec la vie à Paris ou sur un plateau de cinéma…
Juliette Binoche. L’équipe technique a été géniale. Mais ce qui m’a surtout marquée, c’est de voir tous ces scientifiques du monde entier se rejoindre dans leurs observations et leurs connaissances. Et ça, ça fait du bien. Il n’y a pas, d’un côté la médecine, de l’autre les vétérinaires, et les écologues. Ça permet d’expliquer à ceux qui doutent pourquoi et comment les pandémies émergent. Moi qui suis une artiste, je peux me contenter d’avoir une intuition sans avoir à prouver quoi que ce soit. Le scientifique, lui, doit prouver ce qu’il avance.
Marie-Monique Robin. Les scientifiques parlent à notre raison et à notre esprit, les artistes, à notre cœur. Là, il y a les deux. Et c’est grâce à toi, Juliette. Tu nous aides à comprendre les mécanismes, le spectateur est touché personnellement. C’est aussi pour ça que ce film est vraiment très particulier pour moi. Et le présenter ici à l’Unesco c’est incroyable : c’est quand même l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture ! J’aimerais qu’il devienne un outil éducation.
France 3. Votre ambition à travers ce film, c’est d’adresser une mise en garde planétaire ? "Si les animaux disparaissent, nous disparaissons tous", pour reprendre les mots de Rodophe Gozlan, professeur à l'Institut de recherche pour le développement.
Marie-Monique Robin. Clairement, oui. Les scientifiques nous alertent depuis longtemps. Il faut qu’on arrive à comprendre ce qui nous arrive. Une pandémie n’est pas une fatalité. Si on comprend qu’il y a des causes à tout cela, quelque part c’est rassurant : on se dit qu’on peut agir. Mais il faut aussi qu’on soit touché. Qu’on réalise qu’on fait tous partie du même monde. On est lié. On est interconnecté. Et il faut que nous les humains acceptions de reprendre notre juste place dans cette chaîne du vivant qu’on a beaucoup maltraitée, qu’on a voulu dominer. Aujourd'hui, on est bout de l’impasse.
Juliette Binoche. Même si j’avais conscience de ces évidences, j’ai appris tous les mécanismes scientifiques au fur et à mesure du tournage. Il me fallait être vierge de tout savoir pour avancer pas à pas avec le spectateur, pour l’accompagner dans la découverte et interroger, m'assurer que j'avais bien compris. Du coup, à ce moment-là, le spectateur est pris dans ce voyage qui devrait être largement montré, pas seulement dans les écoles. On a tous une éducation à se faire. On ne peut plus vivre en aveugle. La pandémie de Covid-19 nous a tous retournés, on l’a pas vu passer ce truc-là. Mais qu’est ce qui vient après ? C’est toute la recherche du film.
Tous les scientifiques alertent : il y aura encore d’autres pandémies, bien plus dangereuses que celle-ci.
MM Robin
Les scientifiques nous parlent de cette fabrique des pandémies qui est à la fois fascinante et effrayante. On voit qu’en 20 ans il y a eu tellement de virus, tellement de bactéries qui ont émergé… Tout s’est multiplié si rapidement. Et tu as raison, Marie-Monique : on est au bout de l’impasse. Maintenant, il faut faire croître autre chose. De l’entraide et de la solidarité. Sinon, on n’y arrivera pas. Il y a un mécanisme à comprendre et ce film est clair. La révolution doit se faire individuellement mais aussi au sein des États et des sociétés.
France 3. Le film est présenté en avant-première ici à l’Unesco, ce qui n’est pas rien vous l'avez dit, puis il part en tournée dans le monde entier. Il sera aussi diffusé sur plusieurs chaînes de télévision européennes. Mission accomplie alors ?
Marie-Monique Robin. On a toujours eu le sentiment que ce film aurait un impact. Je ne sais pas pourquoi, on s’est toujours dit ça.
Juliette Binoche. Parce que le sujet est énorme. Et parce qu’on l’a vécu !
Marie-Monique Robin. Oui. Et je veux vraiment rendre hommage à ces remarquables scientifiques. Ils étaient très heureux qu’on aille les voir au fin fond de je ne sais quel endroit et qu’on les écoute. Ils souffrent de ne pas l’être. Imaginez être à leur place… Depuis des années, tu travailles patiemment sur ta bactérie, tu fais des prélèvements sur des petites souris ou autre. Tu arrives à la même conclusion que tes collègues sur les 5 continents. Tu n’es pas entendu. Et tu vois arriver le Covid et tu dis : "bah voilà, on l’avait dit". Tous alertent : il y aura encore d’autres pandémies, bien plus dangereuses que celle-ci. Et ce qu’on comprend aussi, c’est que le Covid, comparé à Ébola, c’est pas grand chose entre guillemets. Donc, c’était vraiment une aventure puissante, dans un environnement difficile, mais avec un sentiment d’urgence. Il faut vraiment faire quelque chose pour que les institutions, les autorités locales et nationales, et les citoyens bougent.
France 3. Le film s’achève d’ailleurs sur un message très personnel de votre part, Juliette Binoche. Vous demandez aux scientifiques qui vous entourent s'ils n'ont pas envie de répondre à l'inaction par un "Bougez votre cul". Tout le monde autour de la table éclate de rire, mais c'est cash.
Juliette Binoche. À un moment donné, il faut taper dans le ballon sinon on ne peut pas aller au but.
Marie-Monique Robin. Juliette peut se le permettre, puisque c’est son récit. Et ça c’est génial. Mon film est un documentaire d’investigation mais il est porté par un regard intérieur, le sien. Et c’est pour ça que je pense que le public va véritablement s’identifier à celle qui mène l’enquête.
OÙ ET QUAND VOIR LE FILM ?
"La fabrique des pandémies" de Marie-Monique Robin avec Juliette Binoche (M2R films) sera diffusé sur France TV Outre-mer le 23 mai, et en avant-première
- Le 21 mai à Niort
- Le 20 mai à Bordeaux
- Le 19 mai à Douai
- Le 18 mai à Paris (Auditorium de la Grande Galerie de l’Évolution - MNHN)
- Le 17 mai : à Paris - Auditorium de la ville de Paris
- Le 16 mai : à Paris - Salons de l’Aveyron
- Le 14 mai : à Toulouse
- Le 13 mai à Céret
- Le 12 mai à Montpellier
- Le 11 mai à Bruxelles
- Le 10 mai à Décines-Charpieu
- Le 9 mai à Paris - Collège des Bernardins
- Le 6 mai à Strasbourg
- Le 5 mai à Liège
- Le 4 mai à Genève