Utilisée contre les ligues fascistes dans les années 30, et les organisations de lutte armée dans les années 70, la possibilité pour l'Etat de dissoudre une association est aujourd'hui étendue. Elle pourrait s'appliquer au collectif les Soulèvements de la Terre, opportunément qualifiés d'"écoterroristes" par le ministre de l'Intérieur, et les priver d'existence légale.
"Cette procédure va-t-elle être menée à son terme ?", s'interroge Julien Talpin, sociologue au CNRS et coordinateur de l’Observatoire des libertés associatives.
La procédure de dissolution du groupement Les Soulèvements de la Terre, annoncée ce mardi par le ministre de l'Intérieur lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le laisse sceptique : "Cette annonce n'est peut-être qu'un coup politique, une riposte de M.Darmanin face à la dénonciation des violences des forces de l'ordre. On est encore dans le temps politique, plus que dans le juridique.", estime-t-il.
Les conditions légales d'une dissolution administrative
Apparue initialement dans une loi de 1936, la possibilité pour l'Etat de dissoudre une association a été élargie récemment par la loi dite Séparatisme du 24 août 2021. Une disposition législative du code de la sécurité intérieure qui étend son champ d'application à toute association ou groupement de fait "qui provoque à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens."
"C'est une disposition vaste et vague, explique Antoine Claeys, professeur de droit public à l'Université de Poitiers, à laquelle s'ajoute un deuxième article qui prévoit qu'une association peut être mise en cause pour l'agissement de ses membres. C'est le fondement qui va être utilisé pour engager la dissolution des Soulèvements de la Terre."
Une procédure contradictoire rapide
La loi oblige à une procédure contradictoire avant d'acter la dissolution : les observations de l'association mise en cause doivent être recueillies avant la rédaction du décret de dissolution, signé par le président de la République. "C'est une procédure relativement rapide, précise Antoine Claeys. En général, ça prend une quinzaine de jours."
Des procédures qui n'ont pas été respectées lors des dissolutions annoncées par Gérald Darmanin du média Nantes Révoltée, et du Groupe antifasciste Lyon et environ (Gale) en 2022, et ont conduit à leur annulation.
Quels recours possibles ?
Les associations visées par un décret de dissolution ont la possibilité de déposer un recours devant le Conseil d'Etat. Recours qui n'est pas suspensif.
"On n'en est pas là, tempère le coordinateur de l'observatoire des libertés associatives Julien Talpin. Mais sur la centaine de dissolutions prononcées depuis les années 1930, 90 % ont été validées par le Conseil d'Etat".
"Sur la forme, le Conseil d'Etat va s'assurer que l'acte est motivé et la procédure contradictoire respectée. Sur le fond, il va aussi contrôler la proportionnalité de la sanction" explique le professeur de droit public Antoine Claeys.
Il rappelle que la dissolution est la sanction la plus sévère qui peut être prise à l'égard d'une association, puisqu'elle signifie la fin de son existence légale. "C'est une décision qui est attentatoire à la liberté d'association, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République".
La dissolution, une mesure efficace ?
La procédure annoncée par le ministre de l'Intérieur à l'encontre des Soulèvements de la Terre "ne me semble pas totalement infondée sur le plan du droit" déclare Antoine Claeys, qui s'interroge toutefois sur son efficacité. "Dans les faits, les groupements dissouts se reconstituent autrement, et il est très difficile à l'Etat d'empêcher ça."
Pour exemple, le groupe d'extrême droite radicale Génération identitaire, dissous en mars 2021, est réapparu par le biais de ses militants au sein de collectifs existants ou créés depuis.
Une reconstitution qui n'est toutefois pas sans incidence : elle est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Dans le cas d'une dissolution, le collectif Soulèvements de la Terre ne serait pas affecté par la privation de subventions ou de locaux publics qui en découlent. "Là où ça pourrait avoir une incidence, c'est sur les regroupements à venir, qui pourraient être associés à une reconstitution de groupe dissous" confirme Julien Talpin.
Le rapport de force se poursuit
En attendant de savoir s'il sera vraiment dissout, le collectif Les Soulèvements de la Terre a qualifié l'annonce de "tentative crapuleuse par le ministre de l'Intérieur de faire baisser l'attention sur les violences meurtrières qu'il a déchaînées contre les manifestant.es de Sainte-Soline".
Il appelle, avec Bassines Non Merci et la Confédération Paysanne, à se rassembler ce jeudi 30 mars à 19 heures dans toute la France devant les préfectures pour les blessé.es de Sainte-Soline, du mouvement des retraites et pour la fin des violences policières.