"Plan de sobriété" en eau : à quoi s'attendre après les annonces d'Emmanuel Macron au salon de l'agriculture

Le président de la République a annoncé un "plan de sobriété" pour l'eau lors de sa visite au salon de l'Agriculture samedi 25 février. Une annonce qui suscite déjà de nombreuses interrogations en Poitou-Charentes, territoire fortement exposé au manque d'eau depuis plusieurs années.

"C’est la fin de l’abondance." En visite au salon de l’agriculture pour la journée d'ouverture, Emmanuel Macron a repris sa formule de l’été dernier pour préparer l’opinion cette fois aux possibles conséquences de la sécheresse hivernale qui frappe la France. Appelant à un "plan de sobriété" en eau, le président de la République a fait cette déclaration. 

On va se doter d’une planification sur la sécheresse, on doit mieux utiliser nos eaux, avoir moins de fuites.

Emmanuel Macron, président de la République

Présageant les effets catastrophiques d’une canicule estivale, après un hiver sec, Emmanuel Macron souhaite "planifier tout ça", "plutôt que de s’organiser sous la contrainte au dernier moment avec des conflits d’usage".

Le gouvernement a déjà repoussé la présentation de son "plan eau", prévue à l’origine en janvier. Il sera dévoilé en mars, a annoncé Christophe Béchu, le ministre de l’écologie dans le JDD.

Pour l’instant, quatre départements sont concernés par une restriction qui entraîne notamment des limitations en matière d’arrosage, de remplissage et de vidange des piscines ou du lavage de véhicules.

Ce plan est d'autant plus attendu en Poitou-Charentes, très exposé au manque de pluie, aux cours d'eau qui s'assèchent et aux conflits d'usage notamment avec l'agriculture, grande consommatrice d'eau.

Le défi de la réutilisation des eaux usées

Parmi les pistes évoquées par l’exécutif, figure la réutilisation des eaux usées traitées. En la matière, la France "a eu une culture de l’abondance", a souligné Christophe Béchu sur Franceinfo, avec "moins de 1% de nos eaux usées retraitées", alors qu’elles "sont réutilisées 10 fois plus en Italie, 20 fois plus en Espagne".

Le directeur de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, Martin Gutton, confirme : "De ce point vue, la France, jusqu’à présent, était un peu bénie des dieux. Un climat tempéré, pas de problèmes d’eaux… nous n’avions pas de raisons d’économiser l’eau, contrairement aux pays du pourtour méditerranéen."

À tel point que les chasses d’eau sont le plus souvent alimentées avec de l’eau potable. Un tiers de la consommation d’eau par les particuliers serait englouti dans nos toilettes. Et, là encore, les investissements nécessaires pour y remédier seraient "assez lourds", observe Martin Gutton. 

Des investissements coûteux

Quant à l’agriculture, qui représente 45 % de l’eau consommée en France, des initiatives existent déjà : "Sur l’Ile de Ré, des agriculteurs utilisent des eaux usées traitées pour leurs plans de pommes de terre par exemple", explique Martin Gutton, insistant sur la "qualité" de l’eau traitée, "comparable à de l’eau potable". Reste un bémol, note l’expert : "Traiter de l’eau pour faire de l’irrigation coûterait très cher."

Le député Renaissance de la Vienne et exploitant agricole, Nicolas Turquois, insiste pour sa part sur la difficulté de faire disparaître les résidus de médicaments et les polluants, présents dans les eaux rejetées par les particuliers.

Le risque, si l’on ne s’assure pas que les protocoles sont bien respectés, c’est que nos agriculteurs en viennent à polluer sans le savoir leurs sols.

Nicolas Turquois, député Renaissance de la Vienne

Par ailleurs, ces eaux, usées puis traitées, ne sont pas non plus illimitées : "Il est envisageable de les utiliser comme des réserves de substitution par moment, explique le directeur de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, Martin Gutton. Mais, pendant les mois d’été, les cours d’eau sont alimentés par les usines de traitements des eaux usées."

Le stockage de l'eau toujours en débat

Au salon de l’agriculture, le président de la République a enfin réaffirmé sa volonté de "continue[r] d'investir dans des rétentions collinaires". S’il n’a pas précisé ce qu’il entendait par là, Emmanuel Macron pourrait faire référence aux retenues collinaires, une alternative aux "bassines" construites par exemple en Deux-Sèvres.

Semblables à de petits lacs artificiels, ces réserves d’eau sont "globalement mieux acceptées que les retenues en plaine, qualifiées de 'bassines', observe un rapport du Sénat de novembre 2022, dans la mesure où les premières sont alimentées exclusivement par le ruissellement quand les secondes le sont par pompage".

Ces retenues collinaires n’en resteraient pas moins néfastes pour l’environnement, selon France Nature Environnement, relevant des "impacts hydrologiques (interception des flux d’eau, moindre débit en aval, étiage accentué, blocage du transit sédimentaire), physico-chimiques (eutrophisation d’une eau stagnante) et biologiques (perte d’habitat en cas d’assèchement des zones humides avoisinantes, atteintes à la continuité écologique)."

60 bassines bientôt en service

Et, si les "bassines" ont semblé – un instant – s’effacer du vocabulaire présidentiel, ces projets controversés restent plus que jamais d’actualité, promet de son côté le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau : "On a besoin d’ouvrage de ce type-là pour faire en sorte que dans la période où il y a de l’eau en surplus, on puisse la stocker pour des personnes où il n’y en a pas. […] Il faut les développer dès lors que cela permet de respecter des équilibres en termes de cycle de l’eau. Il faut aussi faire évoluer les pratiques. […] Il y a des secteurs, si l’on n’a pas de réserves en eau, il n’y aura plus d’agriculture", a-t-il déclaré sur France 2.

D’ici au mois de juin 2023, 60 projets de réserves d’eau entreront en service, assure le ministre.

La députée écologiste de la Vienne, Lisa Belluco, ironisait il y a quelques jours sur l’efficacité de ces dispositifs en l’absence de pluie durant l’hiver : "N’est-ce pas justement la période où nous devrions pouvoir remplir les mégas-bassines avec l’eau « en excès » ?!", a-t-elle lancé sur Twitter.

"Ce projet n’est plus viable sur le fond", a pour sa part déclaré dans la Nouvelle République la députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho, qui réclame que le dossier soit revu de fond en comble.

Le débat sur l'eau, ses usages, ses économies voire ses restrictions, va se poursuivre avec d'autant plus d'intensité dans les mois qui viennent. 

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