Elle avait pris l'habitude de recevoir 2 à 3 patients par heure, en prenant le temps pour chacun. Sa maison de santé lui a demandé de passer à 4 ou 5 pour éviter un dépôt de bilan. Elle a refusé. Ses patients sont désespérés.
"J'ai été recrutée l'an dernier en avril, on est venu me chercher" raconte Angélique Roby.
Médecin urgentiste à l'hôpital de Bergerac, la jeune femme accepte la proposition de la maison de santé du Buisson-de-Cadouin, charmant village de 2000 habitants situé au cœur du Périgord noir.
Prendre le temps avec chaque patient
L'emploi est un mi-temps salarié en tant que médecin de campagne avec des consultations à assurer au sein du centre, à l'Ehpad de la commune ainsi que chez les patients ne pouvant se déplacer.
Ce qui m'a séduit c'est le rythme, je n'avais plus les gardes de nuit à ne pas dormir pendant 24 heures. Et puis j'apprécie beaucoup cette façon de faire partie du quotidien des gens. Vous devenez partie intégrante de leur famille, vous êtes leur point de repère, c'est quand même très gratifiant
Angélique Roby - médecinsource : France 3 Aquitaine
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Dans ce secteur qualifié de désert médical, où aucun médecin n'accepte de nouveaux patients, l'arrivée d'Angélique Roby est un immense soulagement.
"J'avais plus de 400 patients réguliers" assure t-elle. "J'essayais de faire au mieux pour les aider. Notamment pour leur rendez-vous avec des spécialistes. C'est notre rôle aussi de médecin traitant d'appeler des confrères et d'essayer d'avancer des rendez-vous quand c'est urgent. Il y a des choses qui ne peuvent pas attendre six mois".
Angélique voit essentiellement des personnes souffrant de lourdes pathologies. Deux ou trois par heure, pas plus. Aussi quand son employeur lui demande d'accélérer la cadence, car son poste n'est pas assez rentable, elle voit rouge.
Pas assez rentable
On m'a convoqué pour m'expliquer qu'il y avait des problèmes financiers au sein du centre et qu'il fallait que j'augmente ma cadence, je ne voyais pas assez de patients par heure. J'en voyais 2 ou 3, on m'a demandé d'augmenter à 4 ou 5. Je leur ai dit excusez-moi mais cela ne va pas être possible
Angélique Roby - médecinsource : France 3 Aquitaine
Je suis médecin, je soigne des êtres humains qui ont des problèmes de santé assez importants, qui ont aussi besoin de parler, d'avoir de l'écoute. En 5 à 10 minutes, ce n'est pas possible. A moins de n'avoir que des gens avec des angines. Mais comme il y a déjà une semaine d'attente en général, les angines ici, ils se les gèrent tout seul.
Angélique Roby - médecinsource : France 3 Aquitaine
Angélique refuse de pratiquer une médecine express. "On m'a fait comprendre que ça allait être compliqué de continuer dans ces conditions".
Fin juin, son licenciement économique est acté.
Un centre de santé associatif peut-il assumer un salaire de médecin ?
"Le trésorier de l'association avait émis un avis défavorable à la création de ce poste en avril 2021, il redoutait qu'il mette la structure en difficulté" nous explique le nouveau directeur du centre de santé Mérico Chies.
Le trésorier avait vu juste. Depuis le recrutement d'Angélique, les déficits s'accumulent.
"Ce poste est en déficit chronique tous les mois. L'année 2021 s'est avérée catastrophique" affirme Mérico Chies. "En mars 2022 on a proposé d'augmenter le temps de travail à 75% mais le déficit s'est encore plus aggravé. La productivité n'était pas là, il fallait prendre une décision".
Décision a donc été prise, le poste de médecin est supprimé. "C'était la seule solution pour éviter la fermeture de toute la structure. On n'aurait plus été capables payer les 25 autres professionnels de santé" justifie le directeur.
Le centre de santé n'a pas vocation à avoir un médecin salarié, je crois que ce n'est pas possible. Nous sommes une association, nous n'avons pas d'argent public pour combler nos déficits. Si jamais un futur directeur l'envisage, il faudra revoir les contrats de travail, les aides extérieures et la productivité du poste. Ce sont les trois critères pour installer un médecin salarié avec un budget équilibré
Mérico Chies - Directeur du centre de santésource : France 3 Aquitaine
Voici le reportage de J. Chapman et M. Genevoix :
Pétition de soutien
Les 400 patients d'Angélique se retrouvent seuls et quelque peu désemparés.
"J'ai vu des gens avec les larmes aux yeux quand ils ont su qu'elle allait partir" témoigne Véronique Beaudequain, une patiente qui a pris l'initiative de lancer une pétition en ligne pour dénoncer une situation qu'elle juge absurde.
On nous bassine à longueur de temps qu'il n'y a pas de médecins dans les campagnes, on marche sur la tête. Là on en a un qui est en plus formidable. Et voilà.
Véronique Beaudequain - une patientesource : France 3 Aquitaine
"On a plus que les urgences maintenant et tout le monde le sait, les urgences de Sarlat et Bergerac sont très très mal actuellement".
Angélique a décidé de maintenir un lien par mail avec ses patients les plus malades.
Elle cherche aussi à rester dans le secteur. "Je réfléchis maintenant à quelque chose de plus pérenne" confie t-elle.
Osera t-elle s'installer en libéral, à son propre compte, ou trouvera t-elle un autre emploi salarié ? La solution devra être trouvée rapidement, c'est ce que tout le monde espère, ici, au Buisson-de-Cadouin.