Ils ne sont plus qu'à une centaine de kilomètres de Paris, et la tension monte dans le convoi d'agriculteurs qui part faire le siège du marché de Rungis. La gendarmerie accentue la pression sur des manifestants de plus en plus fatigués, mais aussi de plus en plus déterminés
Rémi Dumaure est exténué. Il vient, pour la troisième nuit consécutive, de dormir chez un agriculteur, à Salbris cette fois. "On est quatre ou cinq à dormir dans la bétaillère, on se débrouille", commente-t-il. Ce quadragénaire, éleveur de volaille en Périgord, à Limeyrat est membre de la Coordination Rurale. Il se retrouve aujourd'hui dans ce convoi parti à l'assaut de la capitale. Mercredi matin, Rémi Dumaure a repris la route de Montargis dans le Loiret.
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L'objectif avec ses autres collègues de la Coordination Rurale et des Jeunes Agriculteurs, c'est d'arriver à Paris, à 500 km de Périgueux, et faire le siège du marché de gros de Rungis, "le plus grand marché de gros du monde".
La bataille de la Loire est gagnée
Un trajet exténuant pour arriver là, après plus de 400 km chaotiques, entrecoupés d'arrêts, de déviations imposées par la gendarmerie, dans une pression sans cesse augmentée.
Normalement on devait pas passer la Loire, et on a passé la Loire, donc c'est la première victoire !
Rémi Dumaure, agriculteur de Dordogne
"On a été bloqués pour passer la Loire.Les gendarmes s'étaient mis devant le pont, et on leur a dit qu'on allait passer. Il a fallu qu'on terrasse le talus pour pouvoir passer, mais on est passés", triomphe l'agriculteur. "On a passé la Loire, et on leur a dit qu'on irait à Paris, et on ira à Paris !", conclut-il.
Sauts de puce et blocages de gendarmes
Mais la route est encore longue, même si le convoi peut compter sur le réseau d'agriculteurs sympathisants en cours de route. "On a les coordinations rurales de chaque département qui viennent en soutien, qui nous pilotent parce qu'on est retardé en permanence.", poursuit Rémi Dumaure
Ces confrontations à répétition ont fini de consommer la rupture avec la gendarmerie. Une tentative particulièrement tendue au nord de Limoges a même failli tourner à la confrontation musclée face aux blindés de la gendarmerie." Ils ne veulent pas qu'on monte, donc ils nous amusent ! " s'énerve Rémi Dumaure, "Et nous, avec la Coordination Rurale, on a repris le commandement du convoi : ils font ce qu'ils veulent, et nous, on fait ce qu'on a à faire !".
Un convoi qui grossit
À chaque avancée, le convoi grossit. Parti à une trentaine de tracteurs, ils sont maintenant dix fois plus "On en a récupéré den Haute-Vienne, dans la Creuse, dans l'Indre, dans le Loir-et-Cher, et chaque fois qu'on s'arrête, il y en a qui nous rejoignent," se réjouit l'agriculteur. "Il y a les gens du coin qui se rallient à nous. Ça grossit un petit peu, il n'y a pas beaucoup de tracteurs qui se joignent à nous à chaque fois, mais ne serait-ce que 4 ou 5, ça fait vite du monde !"
Ravitaillement itinérant
Côté carburant, c'est une citerne qui assure le ravitaillement en gasoil non routier. "On a eu une citerne qui est venue nous ravitailler hier, on a refait le plein hier soir, ceux qui avaient besoin. Donc là, on a de l'autonomie."assure le Périgourdin.
Moins d'autonomie au niveau sanitaire par contre. "Moi je n'ai pas pris de douche depuis trois jours", confie l'éleveur. "Mais on ne peut pas faire autrement. On se lave quand même, je vous rassure, on se fait la toilette du chat. Mais c'est compliqué, il faut être déterminé." Pour les repas, aucun problème, grâce aux agriculteurs locaux solidaires et aux nombreux autres soutiens.
La Caravane du Tour de France !
Ils nous applaudissent et ils sont avec nous !
Rémi Dumaure
C'est d'ailleurs ce soutien populaire qui réjouit Rémi Dumaure. Quand on lui demande quel accueil a le convoi parmi la population, il s'extasie. "C'est la Caravane du Tour de France ! Vous êtes bien accueilli. Dans un village, il y avait même un conseil municipal qui nous attendait sur le bord de la route avec les écharpes ! Les gens nous applaudissent même si on les bloque une heure, même si on leur met la panique et tout, ils nous applaudissent, et ils sont avec nous !"
Un "gros mal-être" plus général
Mais si l'agriculteur se réjouit de cet élan de sympathie populaire, il y constate aussi une source d'inquiétude plus profonde, partagée avec le milieu paysan. "C'est énorme parce que ça prouve qu'il y a un gros mal-être dans ce pays. Les gens comprennent, et je pense qu'ils attendent le déclic pour nous rejoindre, parce qu'il y a un gros malaise, même hors du monde agricole.
On sent que les gens en on marre de cette politique de toujours restreindre, de toujours prendre plus alors que ça va pas mieux. C'est que des mesurettes de pacotille, les gens en ont plus que marre de tout ça. Ce Gouvernement, c'est que du rafistolage", dénonce-t-il, alors que Karine Duc et Serge Bousquet-Cassagne, tous deux membres de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne sont reçus ce mercredi à Matignon.