L'association Cerader 24 a mené 20 ans de bataille pour faire reconnaître les responsabilités dans les maladies professionnelles, souvent mortelles, liées à l'utilisation, de l'amiante. En France, des milliers de familles ont été confrontées à ce drame
Les chiffres sont vertigineux. Quatre-vingts adhérents à l'origine, 450 aujourd'hui. Et sur les 419 dossiers de victimes qu'ils ont eu à défendre, 139 sont aujourd'hui décédées. Le Collectif pour l’Élimination Rapide de l’Amiante et de défense des exposés aux Risques est né en Dordogne il y a un peu plus de vingt ans. Quatre-vingts adhérents s'étaient regroupés à l'époque pour défendre une cause juste, mais alors encore trop mal prise en compte, celle des victimes de maladies liées à l'utilisation de l'amiante dans le cadre professionnel.
De l'amiante partout
Pendant des années, le minerai d'amiante a été considéré comme un produit miracle (et continue malheureusement parfois à l'être dans certaines parties du monde). Une matière isolante, résistante au feu et bon marché qui s'est retrouvée partout, dans les instruments de cuisine, les tenues de travail, les pièces automobiles, et surtout dans les matériaux de construction, les conduites, le ciment, les revêtements de murs, les plafonds...
Produit hautement dangereux
Son impact négatif sur la santé humaine était pourtant connu depuis la fin du 19ᵉ siècle. En France en particulier, on ne pouvait plus l'ignorer dès les années 70. Les fibres d'amiante, très fines, cancérigènes, sont capables de pénétrer profondément dans l'organisme, principalement dans le système respiratoire, où elles déclenchent de graves maladies, asbestose, cancer du poumon, mésothéliome. Liée à la consommation de tabac par exemple, l'exposition à l'amiante multiplie par 50 le risque de survenue d'un cancer.
Travail de lobbying face à l'hécatombe
Le principe de l'intérêt financier primant sur la santé humaine, encore accablant aujourd'hui, faisait déjà rage à cette époque-là. Les lobbies des industriels œuvraient à fond pour étouffer le drame sanitaire et faire durer les profits. Ils y parviendront pendant près d'un demi-siècle. Le scandale devenait cependant de moins en moins facile à cacher. Avec environ 3 000 décès chaque année en France, l'exposition à l'amiante représentait la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de décès liés au travail. Là aussi, les chiffres font froid dans le dos : 35 000 décès survenus entre 1965 et 1995 en France, et une estimation à 65 000 à 100 000 décès entre 2005 et 2025-2030.
Difficultés de reconnaissance
Il aura fallu le combat de nombreux particuliers, souvent regroupés dans des associations de victimes, pour qu'au 1ᵉʳ janvier 1997, l'amiante soit enfin interdit en France. Combat d'autant plus difficile et douloureux pour les familles, que les symptômes peuvent se déclarer tardivement, 20 à 40 ans après le début de l'exposition et que de faibles expositions suffisaient à rendre le terrain propice au développement de graves maladies respiratoires. Une pneumologue évoque ainsi le cas d'une patiente atteinte d'une maladie caractéristique de l'amiante... simplement pour avoir repassé pendant des années les vêtements professionnels de son époux exposé à l'amiante.
Le Cerader 24, né en 2003
L'une des associations de victimes s'est créée en Dordogne, à Bergerac en 2003. Leur cause a été cependant de mieux en mieux entendue dans les tribunaux, et dix millions d'euros d'indemnité ont été obtenus, pour les victimes ou leurs descendants.
Cette association est née suite au décès de mon père
Christiane Vincent, co-fondatrice de Cerader 24
Une satisfaction et une consolation personnelle pour Christiane Vincent, co-fondatrice avec son mari de Cerader 24. "Cette association est née suite, malheureusement, au décès de mon père, qui est décédé d'un mésothélium du péritoine, une maladie typique de l'amiante" se souvient-elle. "La problématique de reconnaissance de maladie professionnelle, on s'est rendu compte que c'était très compliqué. Et pour aider ma mère dans ces démarches, on a créé cette association".
La bataille de l'anxiété
Depuis, les dossiers se sont succédé pour faire reconnaître la faute des employeurs, et permettre aux victimes d'avoir accès aux fonds d'indemnisation. Combat souvent âpre du pot de terre contre le pot de fer face à des sociétés puissantes. Avec parfois de grandes victoires. "Il y a eu cette bataille de l'anxiété que nous avons gagné, pour la première fois en France", se souvient René, le mari de Christiane. "Est-ce que je vais développer, est-ce que je ne vais pas développer cette maladie ? C'est cette peur qui a été reconnue !"
Pesticides, agents chimiques, la nouvelle bataille des CMR
Depuis 2016, le Cerader a élargi son combat aux victimes d'autres agents chimiques, les CMR. Des produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (toxiques pour la reproduction). "Il y a le trichloréthylène, il y a les pesticides, et il n'y a pas d'autres associations, comme nous, qui prenons en compte l'amiante, qui prennent en compte les produits CMR," explique Jean-Marc Sedurel, le président de Cerader 24, "On s'est dit, on va les prendre en charge pour aider les gens, parce qu'ils sont souvent démunis". Un autre combat de David contre Goliath, salutaire, mais encore une fois mené par quelques bénévoles motivés contre de puissants intérêts industriels.