Anthony Martaux et sa compagne Alicia Dabrio, agriculteurs en Gironde, interpellent les instances agricoles et les pouvoirs publics sur l'impossibilité d'acheter une exploitation agricole en 2023. En effet, les banques ne veulent pas s'engager dans l'agriculture d'élevage, trop risquée.
Anthony Martaux ne baisse pas les bras et reste motivé. Depuis trois ans, ce jeune agriculteur de 32 ans et sa compagne de 33 ans, ont entamé des démarches pour acheter une exploitation. Une vraie galère alors que de nombreux agriculteurs peinent à trouver un repreneur pour prendre leur retraite.
"Personne ne propose rien"
Anthony Martaux et Alicia Dabrio vivent à Salles en Gironde. Ils ont trouvé des emplois "d'attente" pour payer les factures : lui dans les transports, et elle dans le secteur hospitalier. Tous deux ont des formations agricoles et rêvent de s'installer ensemble à leur compte.
"On a trouvé en février dernier une exploitation laitière de 90 vaches, et quarante vaches Limousine pour la viande, à Saint-Félix-de-Boudeilles, en Dordogne. Elle appartient à un agriculteur de 63 ans qui veut prendre sa retraite".
Pour acheter les bâtiments d'élevage, le cheptel et le matériel, il faut 450 000 euros.
Anthony MartauxAgriculteur
Le couple a sollicité deux banques, La première a carrément émis un refus. "Elle ne veut pas s'engager dans une exploitation laitière : pas de garantie, avenir incertain, prix du lait instable, personne ne propose rien... La laiterie qui récupère le lait, se portait pourtant caution à hauteur de 150 000 euros, mais sans garantir le prix du lait, dont le cours change tous les jours", précise Anthony Martaux.
La deuxième banque propose au couple un prêt de 270 000 euros, pour l'achat du cheptel et du matériel, à un taux de 2,70 % sur dix ans. Insuffisant. Le vendeur, conscient de leur situation, avait pourtant accepté de baisser le prix de vente à 350 000 euros. "C'était le plus bas où il pouvait aller, il ne peut pas brader non plus. Donc, on a échoué. C'est foutu pour cette exploitation", déplore-t-il.
Incompréhension
Anthony Martaux et Alicia Dabrio ont relancé leurs recherches pour trouver une nouvelle exploitation en Gironde en Dordogne "et pourquoi pas en limite du Lot-et-Garonne". Il envisage diverses solutions : "Ce serait bien de trouver un parrainage. Ce système permet de faire un stage de 12 mois avec l'agriculteur et de faire une cession en douceur".
Anthony Martaux a également créé une page Facebook jeune agriculteur de demain, à la fois pour maximiser ses recherches et partager son parcours et ses difficultés.
Le trentenaire se dit dans "l'incompréhension", en constatant que de nombreux agriculteurs, notamment des éleveurs, n'arrivent pas à vendre, faute de candidats acheteurs.
Nous, on veut acheter et on n'y arrive pas.
Anthony Martaux,agriculteur en Gironde
"C'est très difficile d'acheter hors cadre familial. C'est fastidieux, on y a passé des journées entières, mais personne ne veut prendre le risque. C'est vrai que le problème de l'élevage, ce sont les coûts qui sont très élevés et qui sont absorbés dans une exploitation familiale sur trois ou quatre générations. Et là, on nous demande de rattraper le temps et d'amortir en dix ans", poursuit-il.
Le secteur de l’élevage le plus touché
Le président du syndicat des Jeunes agriculteurs de Dordogne est bien conscient du problème. "On est plus qu'inquiet quand on voit que ce couple n'y arrive pas, car son étude économique est solide !", lance Guillaume Testut.
Ce sera impossible de trouver la relève en Dordogne.
Guillaume TestutPrésident du syndicat des Jeunes agriculteurs de Dordogne
"C'est très compliqué, en particulier en bovin, d'acheter hors cadre familial, car c'est très difficile d'amortir l'exploitation. Avec les taux d'intérêt qui ont augmenté, les banques sont très frileuses", déplore-t-il.
L'heure est grave : selon les chiffres du syndicat des Jeunes agriculteurs, la moitié des exploitations en polyculture élevage est à reprendre dans les cinq prochaines années en Dordogne.
"On perd nos agriculteurs"
"Quand une exploitation n'est pas reprise, bien souvent, elle s'éteint et ça part en friche. Aujourd'hui, on se vante d'avoir de beaux paysages en Dordogne, mais s'il n'y a plus d'agriculteurs pour les entretenir, ce ne sera pas la même carte postale touristique, s'agace-t-il avec le sentiment de ne pas être entendu par les élus. "C'est tous les jours qu'on interpelle les pouvoirs publics, les élus et la préfecture !".
"L'Etat n'assume ses responsabilités. On ne pèse rien face à la grande distribution, et c'est ça le problème, on ne peut pas concurrencer les produits importés.
On est en train de perdre nos agriculteurs et notre souveraineté alimentaire
Guillaume Testut,président du syndicat des Jeunes agriculteurs
Les Jeunes agriculteurs en colère ont manifesté récemment avec une action coup de poing en retournant les panneaux de signalisation, fin novembre, sur tout le territoire national.
"Nous demandons l'application de la loi EGalim de 2018*, qui dit que l'on n'a pas le droit de vendre en dessous du coût de production. Cette loi prend en compte la rémunération de l'agriculteur et les coûts de production", explique Guillaume Testut.
Le syndicat des jeunes agriculteurs annonce de nouvelles actions dans les prochaines semaines.
*Cette loi EGalim, appelée aussi loi Agriculture et Alimentation, a pour objectif de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et d'œuvrer pour une alimentation saine et durable.