Faut-il sauvegarder ou éliminer le silure, le plus gros des poissons de nos eaux douces ? Ce géant aquatique est un ravageur de la biodiversité pour les uns, un trophée naturel idéal qu'il faut protéger pour les autres. Et un sujet de polémique pour tous
Les images impressionnantes offrent leur heure de gloire aux pêcheurs sportifs, qui sortent de l'eau ces léviathans. Le silure glane adulte peut atteindre un mètre cinquante de long, mais les prises de poissons adultes dépassant les deux mètres sont de plus en plus fréquentes.
Le record français a été établi en 2017 par un pêcheur du Tarn avec un spécimen de 2,74 m. Un record qui pourrait bien tomber, car les prises spectaculaires se multiplient. En août dernier, toujours dans le Tarn, des pêcheurs ont ramené un silure de 2,67 m pour 130 kilos... avant de le relâcher.
Pêche, repêche, et photo-souvenir
Beaucoup d'amateurs de cette pêche remettent l'animal à l'eau pour qu'il survive, prospère, et puisse le cas échéant être pêché à nouveau. Leur plaisir n'est que dans la performance d'avoir réussi à capturer le géant. "C'est une pêche no-kill, une pêche où on va relâcher le poisson, où on va le prendre en photo. Généralement, ce sera la plus grosse prise, ou alors un poisson type mandarin ou albinos avec une pigmentation assez particulière. Donc oui, il y a une véritable communauté...", explique Thibaud Eytier, vendeur de matériel de pêche spécialisé dans le silure et lui-même pêcheur"... c'est un marché qui est clairement en croissance", confirme-t-il avec satisfaction.
C'est la puissance du poisson, déjà qui est très impressionnante. Il n'y a rien qui s'en rapproche pour nous, dans nos rivières.
Matthew HoltomAmateur de pêche aux silures
Un vrai sport aquatique
Et ce type de pêche exceptionnellement sportif pour de l'eau douce, nécessitant un matériel spécifique, une bonne forme physique et un savoir-faire précis, enthousiasme de plus en plus d'amateurs du genre. "Quand on entend les alarmes, on sait qu'il y aura un beau combat !", frémit Matthew Holtom, amateur de pêche aux silures.
Au point qu'une association s'est constituée pour encourager la propagation du silure en France et tenter de démontrer que le silure, victime d'un "délit de sale gueule" n'est pas cet "ogre des rivières" trop souvent décrit. Plus il y aura de silures, plus les pêcheurs sportifs pourront se satisfaire.
Le réseau du silure
Et plus les magasins spécialisés pourront se développer. La marque de Thibaud Eytier, jeune entrepreneur périgourdin, a réussi en trois ans à devenir leader français sur ce marché de niche, et la marque commence aussi à s'implanter en Belgique et en Espagne où le silure ne manque pas plus que les amateurs de sa pêche. "Ça se fait sur la longévité, c'est un travail quotidien, on est aidé par des ambassadeurs, des personnes qui pêchent, qui nous représentent au bord de l'eau lors de compétitions. C'est très important de passer par de la communication sur les réseaux sociaux, de la communication sur les moteurs de recherche..." Des réseaux sociaux qui s'enflamment toujours plus sur les performances réalisées par certains pêcheurs, devenus de véritables stars auprès des amateurs de pêche sportive.
Gros appétit
Mais si pour certains le silure est un magnifique trophée de loisir sportif, pour d'autres, c'est un dangereux prédateur dont l'appétit féroce nuit à la faune et surtout aux poissons migrateurs. Il se poste en profondeur, parfois aux pieds des barrages, où il lui est facile d'attraper ses proies stoppées par l'édifice. Une campagne de pêche expérimentale du silure menée de 2020 à 2023 en Nouvelle-Aquitaine a démontré "que l’impact des silures est important sur les poissons migrateurs". Sans être les seuls responsables, ils participeraient avec entrain à la disparition de la grande alose, de la lamproie marine, du saumon atlantique ou encore de l’anguille.
Mesures anti-silures
En septembre dernier, "devant l’urgence à agir", les résultats ont poussé la préfecture de Nouvelle-Aquitaine à lancer une campagne de limitation de l'impact du silure. 1700 spécimens ont été prélevés dans la rivière Dordogne en quelques mois. Une campagne qui n'est apparemment pas du goût de certains. En avril dernier, une quarantaine de pièges à silures posés par la préfecture sur la commune du Fleix en Dordogne ont été éventrés, comme le rapportait à l'époque France Bleu Périgord.
Le silure était présent historiquement dans les cours d'eau de Nouvelle-Aquitaine avant de disparaître, victime probablement de l'éradication progressives des autres espèces qu'il consommait. Il a été réintroduit artificiellement, notamment dans le bassin de la Garonne dans les années 80-90. Un succès dépassant toutes les espérances. Sur la rivière Dordogne, entre la Gironde et la Dordogne, on estime aujourd'hui qu'il y aurait plus de 110 silures au kilomètre.
Pas d'ennemi naturel
Les deux seuls prédateurs du silure sont l'homme et le silure lui-même. L'animal ne dédaigne pas en effet de croquer ses congénères lorsqu'ils sont de taille à passer par sa bouche. Ce qui ne suffit pas à l'autoréguler. Quant à l'homme, lorsqu'il ne le rejette pas à l'eau pour avoir le plaisir de l'attraper à nouveau, il peut le cuisiner. S'il n'a pas été pêché dans un cours d'eau pollué. Ce poisson de fond est en effet un "bio accumulateur" qui concentre les polluants et les métaux lourds qu'il aurait pu ingérer.
Silure à la casserole
Cette précaution prise, le silure est un excellent candidat à l'assiette. Encore faut-il retrouver cette habitude de consommation qui date d'avant-guerre. Et dépasser les à-priori sur cet énorme poisson à la peau lisse, sans écailles et à l'aspect peu ordinaire. Une fois enlevée la tête qui occupe une bonne partie de l'animal, a chair se tient bien, elle est ferme et tendre, comparable à celle de la lotte, et se prête à une multitude de recettes.
Sport et cuisine
La casserole comme régulateur naturel du silure, la solution est alléchante. Elle permettrait en outre d'augmenter les chances de voir réapparaître d'autres poissons, victimes habituelles du silure. Ne reste plus qu'à convaincre les amateurs de pêche sportive d'arrêter de chercher l'exploit à répétition en rejetant leurs prises, et à commencer à cuisiner leurs silures... Pas sûr qu'ils mordent à l'hameçon.