Les contours du plan d'arrachage des vignes se dessinent. D'un côté, l'Etat va débloquer 38 millions d'euros pour ceux qui voudraient mettre leur terre en jachère ou planter du bois. De l'autre, le CIVB prévoit 19 millions pour ceux qui voudraient cultiver autre chose. Problème, c'est cette deuxième option qui est pour le moment privilégiée par les viticulteurs. Mais le budget n'est pas extensible.
Ils attendent le top départ mais le chemin est encore sinueux pour les viticulteurs en difficulté qui restent inquiets. D'ici quelques jours, le décret devrait paraître au journal officiel, et les premières étapes du plan d'arrachage des vignes du Bordelais devraient se mettre en place. En tout, 57 millions d'euros sont prévus pour indemniser les viticulteurs.
Pour répondre aux questions des candidats à l'arrachage, deux réunions d'information ont eu lieu cette semaine. Les viticulteurs devront s'inscrire sur une plateforme et la compensation est fixée à 6 000 euros par hectare arraché. Lors des pré-candidatures, plus de 1 000 dossiers ont été déposés, représentant l’équivalent de près de 9 300 hectares.
L'arrachage devrait permettre d'éviter le développement de maladies sur les vignes laissées à l'abandon par des viticulteurs en faillite. Indirectement, il permettra aussi de réduire les volumes pour un vignoble bordelais confronté à une crise de surproduction.
Ce plan, négocié depuis un an, comporte deux volets. L'Etat prévoit une enveloppe de 38 millions d'euros, et le CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) une somme de 19 millions d'euros. Chacun prévoit ses propres conditions.
Trop de candidats à la diversification ?
Avec l'enveloppe prévue, l'Etat pourra indemniser 6 300 hectares de vignes arrachées au maximum. Mais les terres devront obligatoirement être laissées en jachère ou plantées en bois pendant au moins 20 ans. Pour le moment, des demandes ont été déposées pour 4 000 hectares seulement. Le plafond n'est donc pas atteint.
Pour les viticulteurs qui voudraient se reconvertir ou se diversifier, il faudra se tourner vers l'enveloppe du CIVB. Elle permettra de financer 3 000 hectares d'arrachage. Cette fois, les exploitants seront autorisés à planter autre chose : des oliviers, des céréales ou toute autre culture.
Cette deuxième solution est plébiscitée. Lors des pré-inscriptions, les candidatures concernaient plutôt cette offre de diversification (5 200 hectares demandés contre 4 000 pour la renaturation). Mathématiquement, la somme prévue par le CIVB ne suffira pas.
Réduire le nombre d'hectares par exploitants
Conscient de ce déséquilibre, le CIVB rappelle qu'il s'agit pour l'instant uniquement de pré-candidatures. "Si, effectivement, il y a trop de demandes, il faudra trouver un moyen de servir tout le monde et de faire en sorte que les choses soient équitables", explique le vice-président du CIVB, Bernard Farges.
Pas question de baisser la somme allouée par hectares (6 000€), mais il faudra réduire le nombre d'hectares par personne. Le CIVB envisage donc de permettre en place un coefficient, pour que chacun puisse obtenir la même proportion d'hectares subventionnés par rapport à sa demande.
Autre décision : les nouveaux dossiers ne seront pas acceptés, c'est-à-dire que ceux qui n'ont pas fait de pré-candidature ne pourront pas s'inscrire sur la plateforme qui doit voir le jour d'ici peu. Pour ceux qui s'étaient préinscrits, il ne sera pas non plus possible de demander plus de surface.
Bernard Farges prévoit également des critères de priorité, "notamment pour ceux qui veulent sortir du métier, qui ont prévu de tout arracher". Enfin, les vignerons seront encouragés à privilégier la deuxième option, la renaturation, car l'objectif de l'Etat n'est pas encore atteint.
Incompréhension de certains viticulteurs
Mais pour ceux qui ont toujours cultivé la terre, le passage en jachère ou en plantation de bois interroge. "Je ne comprends pas forcément cette mesure, surtout au moment où on parle d'autonomie alimentaire", souligne Renaud Jean, viticulteur dans l'Entre-deux-Mers.
Un changement drastique, bien éloigné de leur cœur de métier. Les candidats pourront ainsi constituer une parcelle de forêt. Dans le cadre du label bas-carbone, la forêt pourra à terme générer des revenus apportés par des entreprises soucieuses de compenser leurs émissions de CO2.
Pour Renaud Jean, il s'agit surtout de se constituer un patrimoine. "Dans 10 ans, la forêt revaudra ce que valaient mes vignes à l'époque, donc j'aurai un petit patrimoine exonéré des droits de succession à céder à mes enfants. Mais ce n'est plus de l'exploitation agricole, c'est une logique patrimoniale."
La première étape d'un travail plus large
Qu'ils choisissent la renaturation ou la diversification, les exploitants devront avancer eux-mêmes les frais d'arrachage, avant de recevoir un remboursement. Un problème pour certains vignerons, qui manque de trésorerie.
Enfin, tous les acteurs sont d'accord pour dire que ce plan d'arrachage ne suffira pas à sauver la filière. "C'est une première étape, après il doit y avoir un travail pour réinventer notre modèle", estime David Arnaud, le président du syndicat des Cotes de Bourg. "Il y a une dynamique qui est en route mais il faut l'accentuer, que la filière se remette en question, communique mieux, aille mieux vendre ses vins." L'avenir du vignoble bordelais en dépend.