Presque quatre mois après la fusillade qui a tué le jeune adolescent d’à peine 16 ans, dans la cité des Aubiers à Bordeaux, la famille de la victime s'inquiète des tensions et appelle à l'apaisement après les affrontements qui sévissent encore entre quartiers.
Abattus par la douleur depuis la mort de leur fils, la maman et le papa de Lionel se sont réfugiés dans le silence et la discrétion. Depuis le drame, c’est par la voix de leur avocat, que Rose et Thierry s’expriment. Jamais dans la colère, avec parcimonie et toujours avec la volonté d’appeler au calme.
« Ils refusent que d’autres jeunes, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent ,quel que soit le quartier, puissent être victimes de la même violence que celle qu’ils ont connue et dont ils ne parviennent aujourd’hui à se remettre. » martèle Yann Herrera .
Ces dernières semaines, les affrontements ont repris entre les jeunes des Aubiers et de Chantecrit. Les parents, qui ont perdu leur fils en début d'année, constatent avec impuissance les agressions se répéter. À chaque fois, cela réveille ce souvenir et ce traumatisme.
"Ils reçoivent beaucoup de témoignages de solidarité, mais ils vivent dans cette angoisse permanente, de se dire que si finalement cela devient une sorte de guerre entre cités, tout le monde est au milieu. Eux, les autres, les proches, les amis, les enfants et cela les inquiète." explique leur avocat.
Au mauvais endroit, au mauvais moment
Lionel, une victime collatérale d’une "escalade des tensions constatées entre quartiers depuis plusieurs semaines " avait dit le procureur de la République de Bordeaux, Frédérique Porterie au lendemain du drame.
" Un enfant comme les autres" a toujours plaidé l’avocat qui accompagne les parents depuis cette terrible soirée. Soirée, qui a plongé toute une ville dans le désarroi et la stuppeur.
Samedi 2 janvier 2021, l’adolescent, qui vient d’avoir 16 ans, tombe sous les balles, tirées en rafale par un pistolet-mitrailleur de calibre 9 mm, depuis une voiture.
Bilan : 1 mort et 4 jeunes blessés place Ginette-Neveu, aux Aubiers. Une cité construite dans les années 70, où vivent 3800 habitants dans des logements sociaux, en plein quartier de reconquête républicaine.
Une quarantaine de douilles sera retrouvée sur place. Les victimes semblent avoir été choisies au hasard. "C’est une escalade dans ce qu’on peut appeler un banditisme assez organisé et qui ressemble fort à des rixes inter-quartiers avec une escalade autour de trafic d’armes lourdes et automatiques" avait indiqué à l’époque, le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic.
Des rixes inter-quartiers
Les quartiers concernés sont notamment ceux des Aubiers et de Chantecrit, régulièrement, les théâtres de faits de violence. Un phénomène qui remonte, selon les associations des quartiers, à un peu plus de deux ans. Au départ, une rivalité classique entre rappeurs.
" À partir de là, on a eu à gérer des rixes avec battes de base-ball, bâtons et autres objets de ce type-là, il y a un an et demi environ. Et petit à petit, c’est monté en gamme malheureusement ", dira le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) de la Gironde Patrick Mairesse.
Rivalité qui va dégénérer. Ces rixes inter-quartiers vont alors connaître une autre dimension et prendre, parfois, la forme d’expéditions punitives sans que l’on connaisse l’origine des tensions.
On reste dans l'hypothèse. Aujourd'hui, pour réussir à avoir des explications précises, il faudrait avoir des aveux. Or, je ne crois pas que ce soit le cas. On constate une montée de la violence à Bordeaux, qui n'est pas le monopole des cités, qui n'est pas le monopole du rap. J'ai pour ma part, la conviction, que le confinement a aussi accentué les tensions.
Dernière soirée de violences en date: le jeudi 22 avril 2021 dans le parc Chante-Grillon dans le quartier Chantecrit.
Deux hommes, l'un de 30 ans et l'autre de 21 ans, sont grièvement blessés par balle après avoir été pris pour cible par deux individus en scooter qui ont tiré à l’arme automatique. Sur les lieux, les policiers ont retrouvé 21 douilles de cartouches de calibre 9 mm. Les auteurs sont toujours en fuite.
Selon des témoins, le passager aurait tiré en rafale sans viser une personne en particulier. "Même si les éléments de contexte peuvent faire penser à un règlement de comptes "retour" suite aux événements du 2 janvier dernier commis aux Aubiers, rien ne permet à ce stade de le confirmer", a informé le Procureur.
Plus que jamais, ils ont peur pour leurs proches
Représailles ou pas, la violence des affrontements se répète et alimente la peur chez les habitants et proches de Lionel. Des règlements de comptes auxquels ils sont, malgré eux, associés.
Et Maître Herrera de préciser : "S’il s’avère effectivement qu’il y ait des représailles, les parents de Lionel, n’ont pas envie que d’autres prennent la décision de faire, ce qu'eux ne feraient certainement pas. Ça leur est très pénible d’être associés à ce genre de circonstances. Personne n’a le droit de s’emparer de leur tristesse et de leur deuil pour légitimer d’attenter à la vie d’autrui".
Le 31 mars, un ancien élève de troisième est blessé au couteau sous les yeux des élèves et des enseignants devant le collège Edouard Vaillant, en face de la tour de Chantecrit. Le lendemain, la scène s'est répétée avec un élève de troisième, résidant aux Aubiers et scolarisé dans l’établissement.
" Il s'est fait attaquer parce qu'il venait entre guillemets du mauvais quartier" dira son professeur de mathématiques. "Je l'ai en classe, il travaille bien, il est respectueux, il réussit bien sa scolarité. Il est investi. Il est victime de cette rivalité, c'est dur parce qu'il n'est pas dans les affaires, les histoires".
Du côté des enquêtes, les investigations suivent leur cours. Moins de cinq jours après la fusillade qui a provoqué la mort de Lionel et blessé quatre jeunes dont l’un de ses amis proches, quatre jeunes, âgés de 18 à 21 ans, ont été mis en examen pour « meurtre » et « tentatives de meurtre en bande organisée », « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ".
Les suspects ont été placés en détention provisoire. Depuis cette nuit où ils ont perdu leur enfant, Rose et Thierry, mutilplient les appels au calme et condamnent avec fermeté toute escalade avec l’espoir que les tensions s’apaiseront. Un message qui visiblement est loin d'être entendu.