Trottoirs trop étroits, rampes d’accès manquantes… Si bon nombre d’établissements du centre-ville sont aux normes, il reste impossible pour les personnes en fauteuil roulant de s’y rendre. La mairie planche sur le problème.
Régine Fuchs passe son chemin. Impossible d'entrer dans cet établissement avec son fauteuil roulant. Trois marches à gravir pour y accéder et pas de rampe.
Ailleurs, le patron d’un restaurant dit être aux normes à l’intérieur. «Mais je ne peux pas toucher à la marche du pas de porte et je n’ai pas le temps pendant le service de poser et enlever une rampe d’accès", dit-il.
De toutes les façons, j’ai très peu de clients handicapés ». Et pour cause. Dans un tout autre quartier, nous entrons dans un restaurant pour expliquer notre démarche. L’accueil est glacial. Il suffit d'un coup d'oeil rapide pour constater que les lieux n'ont pas été adaptés aux normes handicapées.
Les situations sont donc multiples. Mais une problématique est récurrente. L’étroitesse des trottoirs dans le centre-ville de Bordeaux où il y a la plus forte concentration de bars et restaurants. Cela complique les déplacements de personnes en fauteuil roulant et empêche parfois l’accès à certains bars et restaurants.
Pour pouvoir installer une rampe d’accès, le trottoir doit avoir une largeur minimum.
Obligée de passer son chemin
Sur les trottoirs, Régine Fuchs fait comme elle peut. La quinquagénaire vit au quotidien avec une sclérose en plaque et ne se déplace qu’en fauteuil roulant.
Après avoir longtemps vécu à la campagne, elle a fait le choix de vivre en ville. Si les déplacements en tram et en bus sont "faciles", dit-elle, certains parcours en revanche peuvent s'avérer pénibles voire impossibles tant les trottoirs sont semés d'embûches.
Le menu d’un restaurant posé contre une chaise, un parcmètre, quelques mètres plus loin un camion garé n’importe comment, des travaux qui empiètent jusqu’à la voirie… Les obstacles sont aussi nombreux que variés. Et si les trottoirs n’étaient pas si étroits, Régine Fuchs ne serait pas obligée de faire rouler son fauteuil sur la rue et de cohabiter avec les vélos et voitures.
Mais ce qu’on ne réalise pas toujours c’est que ces trottoirs trop étroits ont une autre conséquence. Impossible d’y installer une rampe d’accès aux bars et restaurants. Pour entrer dans ce restaurant, une, deux, trois marches. « Cela fait huit ans que j’ai fait un établissement avec des toilettes et des accès qui permettent un aux handicapés de venir mais sur cette partie-là très précisément, malheureusement c’est le domaine public », explique Vincent Moll gérant d’un restaurant sur la place du marché des Chartrons. « Je ne peux donc rien faire à cause de la règle qui dit qu’il faut minimum 1,50m de trottoir (pour installer une rampe, ndlr), ce qui n’est pas le cas ici ».
300 rues qui sont considérées comme prioritaires
« Il peut y avoir des établissements accessibles, mais se pose la question de l’accessibilité de l’espace public » concède Olivier Escots, adjoint au maire chargé du handicap et de la lutte contre toutes les discriminations. « Donc on travaille la ville de Bordeaux en lien avec la Métropole sur le plan de mise en accessibilité de la voirie et de l’espace public (le PAVE).
Aujourd’hui il y a à peu près 300 rues qui sont considérées comme prioritaires, cela concerne environ 25km.
"Ce plan, ce PAVE, va être révisé dans les prochains mois, à partir du second semestre de l’année 2021, justement pour cibler peut-être des endroits, des lieux, des rues qui n’apparaissaient pas comme prioritaires dans la première ébauche du plan", poursuit l'élu. "Ce travail est fait notamment avec nos maires adjoints de quartier et je compte aussi beaucoup sur la commission communale pour l’accessibilité. On a une délibération cadre qui va passer au prochain conseil municipal. Une commission communale qui permet de travailler avec des associations et des usagers pour pointer aussi des difficultés qui pourraient être considérées comme les plus prioritaires sur l’espace public. »
« Le chantier est colossal » (Mairie de Bordeaux)
Bon nombre d’établissements sont donc inaccessibles du fait de trottoirs étroits manquant de « bateaux », de places de stationnement réservées aux handicapés en nombre insuffisant. Alors que faire ? « Le chantier est colossal », affirme Olivier Escots, « on a aussi l’histoire de cette ville ». « Ce PAVE, c’est pas en 5 ou 6 ans qu’on va réussir à tout régler".
On a ce qu’on appelle un fond d’intervention communal, c’est 50 millions d’euros sur 6 ans. Plus deux millions d’euros par an qui sont consacrés à lever des dysfonctionnement qui sont constatés.
"Je suis en train de travailler avec l’ensemble de mes collègues de la majorité municipale à un nouveau plan d’action handicap (…)", explique Olivier escots. "Dans ce plan il y a une soixantaine d’actions qui sont prévues. On devrait le voter au conseil municipal du mois de décembre. Il va y avoir justement un travail qui va être mené autour des commerces accessibles. On souhaite travailler sur un guide du commerce accessible avec les associations représentant les personnes handicapées, avec les associations de commerçants. Et bien évidemment que chacun a ses responsabilités là-dedans. Les gérants d’établissements par rapport à leur propre accessibilité, et nous aussi sur l’aménagement de l’espace public ».
Vers plus de piétonisation
« Dans le centre-ville l’augmentation de la zone bornée va faciliter l’accès à la chaussée », poursuit l’élu. Le 15 septembre dernier Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, a présenté son projet de « ville apaisée ». Il a ainsi annoncé l’agrandissement de la zone piétonne du centre-ville. « Sa superficie passera d’ici à 2023 de 40 à 65 hectares, tout en améliorant le confort des usagers », a-t-il expliqué.
« On a souvent des trottoirs dans les petites rues qui posent problème et qui ne sont pas assez larges. On va aussi travailler la piétonisation de manière générale de certains quartiers et de certaines rues.
"Concernant la place du marché des Chartrons il y a un projet autour de cette place de piétonisation", précise Olivier Escots. "Cela va donc rentrer dans ces travaux que j’évoquais liés au PAVE. Le plan actuel se concentre beaucoup sur des grands axes. Donc c’est pour cela qu’il y a besoin de le retravailler, de le réviser, pour aller voir si sur des axes plus petits il y a besoin de travailler davantage dans la dentelle".
« Je n’ai pas la force pour changer les choses »
Alors en attendant que ce travail de dentelle se fasse, les personnes vivant avec un handicap continuent de devoir faire des choix dans leur quotidien là où les autres ne sont pas amenés à en faire. Régine Fuch, elle s’appuie sur une chose, la patience qu’elle dit avoir acquise « grâce » à son handicap. Alors évidemment les terrasses restent la solution. Mais l’hiver ? « On veut bien rentrer », sourit Régine Fuchs. « C’est compliqué, oui. Mais la vie d’un handicapé c’est compliqué. Malheureusement on doit vivre avec. Ce n’est pas grave, même si c’est compliqué. Il faut choisir. On ne peut pas dire « oh je veux aller là » si on sait bien que ce n’est pas possible".
Je n’ai plus la même liberté mais moi j’ai compris. Il faut accepter je pense.
"On peut essayer de faire changer les choses, bien sûr", poursuit Régine Fuchs. "Mais honnêtement moi je n’ai pas la force pour changer les choses ». Comment faire pour éviter que la résignation ne prenne le pas. « Il faut aussi nous alerter, nous sensibiliser sur des problématiques particulières dans certaines rues », rappelle Olivier Escots, adjoint au maire chargé du handicap et de la lutte contre toutes les discriminations. « On ne pourra pas répondre à toutes les demandes en même temps mais si ces informations la remontent cela peut nous aider à prioriser où on va mettre l’argent public pour l’aménagement de cet espace public».