Un procès aura bien lieu pour Hubert de Boüard et Philippe Castéja, deux figures influentes du Bordelais, soupçonnées d’avoir participé au processus de classement des grands crus de Saint-Emilion de 2012 alors que leurs châteaux étaient candidats.
La cour d'appel de Bordeaux a validé jeudi 2 juillet le renvoi devant le tribunal de deux figures influentes du Bordelais, soupçonnées d'avoir participé à des degrés divers au processus de classement des grands crus de Saint-Emilion de 2012 alors que leurs châteaux étaient candidats.
La chambre de l'instruction a estimé que les charges de "prise illégale d'intérêts" à l'encontre de Hubert de Boüard et Philippe Castéja étaient "suffisantes" pour justifier leur renvoi devant le tribunal correctionnel, selon son arrêt dont a eu connaissance l'AFP.
La cour avait été saisie d'un appel des deux propriétaires viticoles et du parquet qui contestaient l'ordonnance de renvoi signée par une juge d'instruction le 16 août 2019.
Très scrutée dans le monde viticole, l'affaire, aux multiples rebondissements, était partie des plaintes en 2013 de trois exploitations familiales - Croque-Michotte, Corbin-Michotte et La Tour du Pin Figeac - qui accusaient les deux hommes d'avoir été "juges et parties" dans le classement, dont elles avaient été évincées, "un combat à armes inégales" selon elles.
Un long feuilleton judiciaire
Au dernier classement de 2012, M. de Boüard, consultant viticole et copropriétaire du Château Angélus, avait été propulsé 1er grand cru classé A, tandis que le négociant Philippe Castéja, propriétaire du Château Trottevieille, était maintenu 1er grand cru classé B.
Les parties civiles ont soulevé un possible conflit d'intérêts, car ces deux professionnels siégeaient parallèlement au comité national des vins de l'Inao (Institut national de l'origine et de la qualité), établissement public sous tutelle du ministère de l'Agriculture qui révise tous les dix ans ce classement.
MM. de Boüard et Castéja ont toujours balayé les accusations de conflit d'intérêts. "Hubert de Boüard a toujours oeuvré dans l'intérêt général et (...) conformément aux règles de l'Inao, il s'est systématiquement déporté des toutes les délibérations pouvant concerner même indirectement le classement", a déclaré à l'AFP son avocat Antoine Vey.
La Cour a une autre analyse, estimant que les deux hommes ont pris une part active et préparatoire dans le processus de classement, selon sa décision, conforme aux réquisitions du parquet général. Elle relève ainsi que M. de Boüard "a été présent à une pluralité de séances du comité évoquant le règlement des vins de Saint-Emilion au cours desquelles il a pu faire connaître ses avis et suggestions (...), prendre part à des votes", à main levée, "procédé en tant que membre de la commission permamente dudit comité à la désignation des membres de la commision de classement".
C'est donc "à juste titre que le juge s'instruction a souligné l'omniprésence et l'investissement de M. de Boüard" aux diverses étapes du classement, et ce, alors qu'"il avait un intérêt personnel direct à son résultat".
Quant à M. Castéja, "si ses interventions (...) apparaissent nettement moindres (...) il n'en demeure pas moins qu'en tant que membre du comité national des vins de l'Inao et de sa commission permanente, (...) il a été noté présent à plusieurs séances de ces instances", relève encore la Cour.
"Contrairement à ce que soutiennent calomnieusement les plaignants, le classement des vins de Saint-Emilion est arrêté par une commission indépendante, selon des critères objectifs et au terme d'une procédure garantissant une impartialité totale", a souligné Me Antoine Vey, avocat de M. de Boüard.
"Le dossier change de braquet. On ne peut plus l'évacuer d'un revers de main, il existe des charges suffisantes pour qu'il y ait un procès et c'est un juge d'instruction, puis la cour d'appel qui l'ont jugé ainsi. Au bout de 8 ans il était grand temps", a réagi Eric Morain, le conseil des châteaux éconduits.