L'avis favorable du rapporteur public du tribunal administratif de Toulouse, recommandant l'annulation de l'autorisation du projet de l'A69, suscite surprise et interrogations. Pour Dorian Guinard, enseignant-chercheur en droit public, il souligne les risques juridiques significatifs liés à ce projet controversé et appelle à une réflexion approfondie avant de poursuivre les travaux.
L'annonce a fait l'effet d'un véritable choc : le rapporteur public du tribunal administratif de Toulouse se prononce en faveur d’une annulation de l’autorisation du chantier de l’autoroute A69, dans des conclusions transmises aux parties mercredi 20 novembre. Pour Dorian Guinard, enseignant-chercheur en droit public, face à un budget de 400 millions d'euros dont 300 millions ont déjà été dépensés, il est crucial de purger les recours administratifs avant de poursuivre les travaux. Un manque de prudence dont ont fait preuve le concessionnaire et l'Etat comme il le souligne dans l'interview accordée à France 3 Occitanie.
A titre informatif, voici la dérogation espèces protégées (DEP) du 1/03/23 demandée ATOSCA pour l'A69 (www.prefectures-regions.gouv.fr/occitanie/co...). Important : un défaut des critères de validité d'une DEP - 3 au sens de l'art. 411-2 code env. - n'est pas régularisable (CE, 30/12/21, 439766).
— Dorian Guinard (@dorianguinard.bsky.social) Nov 21, 2024 at 16:14
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France 3 Occitanie : Quelle est votre réaction suite à l'avis favorable du rapporteur public du tribunal administratif à une annulation de l’autorisation du projet de l'A69 ?
Dorian Guinard : Il faut toujours être prudent lorsque l'on lance ce type de projet. La légalité n'était jamais complètement acquise malgré la publication des arrêtés préfectoraux. Lorsque l'on a un projet de 400 millions d'euros et que 300 millions ont déjà été dépensés, il faut être prudent et purger les recours. C'est le premier enseignement que l'on peut en tirer. De plus, l'ordonnance en référé suspension qui n'établissait pas de doute sérieux peut être questionnée au vu des conclusions du rapporteur public qui prescrit une annulation pour "défaut de raison impérative d'intérêt public majeur".
France 3 Occitanie : Qu'est-ce que justement "défaut de raison impérative d'intérêt public majeur" ?
Dorian Guinard : Pour obtenir une dérogation espèce protégée et qu'elle soit valide, il faut réunir trois critères selon l'article 411-2 du Code de l'environnement. Le premier est que le projet s'inscrive dans une raison impérative d'intérêt public majeur, ce qui fait défaut pour l'A69 selon le rapporteur public. Cela déplace le débat sur le caractère d'intérêt général majeur de ce type d'infrastructure au XXIe siècle.
France 3 Occitanie : Est-ce que cette position du rapporteur public donne une légitimité aux opposants du projet ?
Dorian Guinard : La question n'est pas celle de la légitimité, mais celle de la validité des actes administratifs préfectoraux qui ont autorisé un projet, ayant comme conséquence la destruction de 162 espèces protégées. C'est la vraie question juridique. La question politique de la légitimité est très subjective.
France 3 Occitanie : En 2016 la justice administrative a jugé le projet de Sivens (Tarn) comme illégal. Peut-on comparer l'actuelle situation avec le projet d'A69 ?
Dorian Guinard : Pas tant de Sivens que la déviation de Beynac, censurée six fois par les juges administratifs. Cela rappelle que les actes administratifs sont exécutoires dès leur publication, ce qui peut coûter cher à la collectivité publique quand des fonds ont été investis.
France 3 Occitanie : Que se passera-t-il si le tribunal suit l'avis du rapporteur public ? Risque-t-on de se trouver dans une situation comme à Caussade où une retenue a été déclarée illégale mais toujours pas détruite. ?
Dorian Guinard : Si le jugement suit les conclusions du rapporteur public, il y aura annulation de l'A69 pour invalidité de la dérogation espèce protégée. Le chantier s'arrêtera. Un appel sera possible, et la Cour administrative d'appel décidera de suspendre ou non l'exécution du jugement. Le juge administratif enjoint généralement une remise en état, comme à Beynac. C'est pourquoi il est plus prudent de purger les recours administratifs avant d'investir des sommes importantes, même si cela dure 5 ans. Ne pas en tenir compte c'est investir 300 à 400 millions d'euros dans un chantier et prendre le risque d'être en plus dans l'obligation de réparer les dommages causés et déclarés illégaux. Caussade est un bon exemple. Cette retenue aurait dû être détruite. Elle a été déclarée illégale de nombreuses fois. Les pouvoirs publics n'ont pas appliqué cette décision. C'est une preuve de l'inaction de l'Etat par rapport à l'exécution d'une décision de justice et cela questionne d'un point de vue démocratique.
France 3 Occitanie : Pensez-vous que les pouvoirs publics devront revoir la réglementation si le tribunal va dans le sens du rapporteur public ?
Dorian Guinard : Je ne comprends pas qu'avec des sommes aussi énormes engagées et des impacts environnementaux si importants, nous en soyons encore à se poser la question de savoir s'il faut purger les recours administratifs. C'est ça la question. Il n'y a pas besoin de changer le droit, mais d'avoir une évolution des mentalités.