Le 8 mars marque la journée internationale du droit des femmes. Un combat inachevé, porté sous de nouvelles formes : publications sur Instagram, sketches ou occupations de l'espace public, et qui s'inscrit dans la continuité du mouvement des militantes d'hier.
Dans les couloirs du château de Versailles, L'hymne des femmes résonne ce lundi 4 mars. Le chant féministe, écrit en 1971, hautement symbolique, accompagne ce moment historique. La France est le premier pays à inscrire le droit à recourir à l'interruption volontaire de grossesse dans sa Constitution. Une victoire largement saluée par les militantes contemporaines. "Mais il reste encore tellement de combats à mener", relativise Fabienne Doux, coprésidente de l'association féministe lot-et-garonnaise La Mèche.
Les violences faites aux femmes comme fil rouge
Depuis #Metoo, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles s'ancre comme l'une des principales revendications féministes. Mais en réalité, la libération de la parole des femmes était déjà au cœur des mobilisations de la deuxième vague du mouvement. En 1970, la revue “Libération des femmes : année zéro” acte la création du MLF et vient décanter la parole des femmes qui se réunissent en groupes de paroles pour partager des récits de violence. "Mais ça restait encore confidentiel", pointe Viviane Albenga, maîtresse de conférence à Bordeaux, spécialisée dans les mobilisations féministes contemporaines.
La sociologue note en revanche une véritable évolution dans "le niveau de diffusion sociale" du féminisme et un renouvellement des modes d'action. "Internet et les réseaux sociaux ont permis une diffusion plus large de ces espaces de témoignages, jusque-là réservés à des cercles politiques ou intellectuels", détaille-t-elle. Les réseaux sociaux justement sont aujourd'hui véritablement devenus des terrains de lutte. "On y fait beaucoup de sensibilisation, on diffuse des communiqués de presse et on parle des évènements qu'on organise, illustre Fabienne Doux de l'association La Mèche. Il faut encore beaucoup communiquer sur le féminisme pour la prise en compte de tous les problèmes actuels."
Des actions coup de poing
De plus en plus, des collectifs de "colleuses" se développent, partout en France, multipliant les messages de soutien aux victimes de violences sexuelles ou dénonçant les féminicides, par le biais d'affiches artisanales placardées sur les murs. "C'est un investissement de l'espace public qui s'inspire de techniques de communication", observe la sociologue Viviane Albenga, spécialiste des mouvements féministes contemporains. "Mais les actions coup de poing ont toujours fait partie du combat, comme lorsque les féministes déposaient une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu pour rendre hommage à sa femme."
Je pense que c'est désuet de ne pas être féministe, une incompréhension du monde.
Morgane Melihumoriste stand-up
"L'humour et les slogans chocs sont de tout temps utilisés par les féministes", ajoute la sociologue. Morgane Meli est humoriste, spécialiste du stand-up à Bordeaux. Longtemps, à ses débuts notamment, elle utilise la scène comme terrain vecteur de messages féministes. "L'humour fédère et c'est important de rassembler sur une réflexion", explique-t-elle. Pour autant, elle ne souhaite pas que le féminisme devienne un sujet omniprésent dans ses spectacles. "Tu peux vite tomber dans quelque chose de moralisateur." Elle regrette l'opposition qui pèse parfois "entre les sexes".
#sciencesporcs (merci aux colleuses ✊) pic.twitter.com/cI88RPah0V
— sortir des ronces (@souslebitume) February 9, 2021
Un féminisme intergénérationnel et intersectionnel
Si le mouvement touche désormais toutes les classes sociales, il atteint également des territoires ordinairement moins sensibilisés. "Le Lot-et-Garonne est un département dans lequel il y a beaucoup de violences sexistes et sexuelles", illustre la coprésidente de La Mèche, association implantée à Agen depuis 2021. Le département compte, par exemple, parmi les dix connaissant la plus forte hausse de signalements pour violences conjugales. "Au début, on sent qu'il y a un peu de réticence, admet Fabienne Doux. On pourrait penser que ça bouge moins dans les zones rurales, mais nous, on veut changer ça et visibiliser les problèmes."
Et cette lutte s'élargit, jusqu'à même devenir plus "inclusive". "Le féminisme ces derniers temps touche tous les âges et prend davantage en compte toutes formes de discriminations, précise la coprésidente de La Mèche. On ne peut pas comprendre le féminisme sans tenir compte, par exemple, que des femmes migrantes, racisées, subissent de multiples oppressions." "C'est une marque forte d'engagement et d'expertise qui témoigne d'un féminisme encore plus avancé", ajoute la sociologue Viviane Albenga qui remarque, en France, une forte présence de "jeunes sensibilisés" et ce "dès leur entrée à l'Université".
La bonne et la mauvaise féministe
En janvier 2024, la sénatrice Laurence Rossignol réagissait aux propos du député Aurélien Pradié qui accusait les féministes "d'hystériser le débat" sur la constitutionnalisation de l'IVG."On adore les féministes d'hier et on déteste celles d'aujourd'hui", déclarait-elle alors au micro de Public Sénat. "On se réjouit de toutes les avancées d'hier, mais ce que les féministes d'hier défendent aujourd'hui dérange", rebondit la sociologue Viviane Albenga.
Cette idée de féministe extrémiste c'est très ancien, ça vise à diviser les féministes entre elles.
Viviane Albengasociologue spécialiste des mouvements féministes contemporains
Cette méfiance du féminisme, Fabienne Doux l'a souvent ressentie. "Il y a un manque de conscience de beaucoup de personnes du fait que la société patriarcale régit les relations entre les sociétés, regrette-t-elle. Mais quand on leur parle d'inégalités, de salaires, de consentement, de l'insécurité des femmes dans la rue, là, ils comprennent ce qu'on veut porter."
Mais la militante insiste. Malgré les réfractaires, "tant de sujets sont encore à défendre." En France, en 2023, les associations décomptaient 134 féminicides sur l'année. "C'est un combat qui reste très actuel."