L'avocate de Chahinez Daoud, Me Solène Roquain-Bardet, revient sur l'accumulation des dysfonctionnements qui ont conduit à la mort de sa cliente, brûlée vive en pleine rue à Mérignac le 4 mai dernier.
Le 4 mai 2021, un homme de 44 ans, Mounir Boutaa, déjà emprisonné pour violences conjugales en 2020, avait poursuivi sa femme, mère de trois enfants, dans la rue à Mérignac en Gironde. Il lui avait tiré deux coups de feu dans les jambes, avant de l’asperger d’un liquide inflammable, alors qu’elle était encore en vie, et d’y mettre le feu. Le 6 mai, trois ministres ont demandé une enquête pour faire la lumière sur ce drame. Le rapport a été remis à Jean Castex le 9 juin. Il est accablant et pointe de nombreuses défaillances notamment dans la communication entre les services de police et le parquet de Bordeaux.
Des défaillances à chaque étape
Me Solène Roquain-Bardet a pris connaissance de ce rapport de 27 pages qui décrit de manière chronologique le déroulé des faits et relève des dysfonctionnements à tous les niveaux. "C'est choquant et on a froid dans le dos car, à plusieurs étapes, le processus aurait pu être arrêté", selon l'avocate bordelaise qui défend aujourd'hui les parents de Chahinez Daoud qui vivent à Alger.
Chahinez Daoud avait déposé plainte une première plainte le 7 août 2020 contre son conjoint l’accusant de la harceler par des appels téléphoniques répétés ( le rapport mentionne 36 appels entre fin juillet et début août) alors qu’il était incarcéré et avait interdiction de la contacter. Mounir Boutaa avait été condamné pour des violences en récidive sur sa femme à 18 mois de prison, dont neuf de prison ferme, le 25 juin 2020, par le tribunal correctionnel de Bordeaux.
Suite à cette plainte, il est auditionné en prison par la police, le 2 octobre. " Le parquet n’est informé que le 10 décembre de cette procédure" déplore l'avocate qui pris connaissance de cette information dans le rapport. "Ce délai est très long et le juge d'application des peines n'a pas eu connaissance de cette information qui aurait pu peser sur la remise en liberté accordée à monsieur Boutaa le 5 octobre. Des précautions auraient pu être prises pour protéger ma cliente".
Dans ce rapport, Me Solène Roquain-Bardet a pris également connaissance des échanges téléphoniques entre les services de police et le service pénitentiaire d’insertion et de probation. "Ce qui m'étonne, c'est l'absence d'interpellation mise en place pour empêcher monsieur Boutaa de nuire à sa victime. "La stratégie de la police était de procéder à une interpellation en flagrant délit pour s'assurer que le dossier serait béton et que monsieur Boutaa serait à nouveau placé en détention pour de nouveaux faits de violences sur conjoint et violation de ses obligations. Mais c'était prendre un risque très important pour la victime".
On savait que monsieur Boutaa était dangereux pour son ex-compagne et qu'il était multirécidiviste. On aurait pas dû prendre ce risque.
Chahinez aurait du avoir un téléphone grand danger
L'avocate a aussi découvert dans le rapport que lors d'un comité de pilotage le 18 mars 2021 pour le suivi des femmes dotées d'un téléphone grand danger et leur attribution, "le nom de sa cliente Chahinez Daoud a été rajouté sur la liste des dosssiers sensibles mais on n'est pas aller plus loin..."
Dès la première plainte, il y a eu des défaillances. On aurait dû prendre plus de précaution à la sortie de prison. Le 15 mars, madame Daoud a déposé une nouvelle plainte. Mais cette plainte n'a pas été correctement transmise au parquet de Bordeaux par la police. Le parquet a demandé que la plainte soit à nouveau envoyée, mais c'est resté sans réponse. Le parquet n'a pas été mis au courant de la situation et de la nouvelle agression de Chahinez Daoud et n'a pas pu peser sur le choix de stratégie de flagrant délit adopté par la police. Encore un dysfonctionnement.
Les parents de Chahinez Daoud qui vivent en Algérie, à Alger, sont représentés par Maître Roquain-Bardet. "Ils apprécient que l'Etat français fasse une enquête et reconnaisse que les services ont fait des erreurs. Ils trouvent que cette démarche fait honneur à la mémoire de leur fille. Ils veulent que Mounir Boutaa soit jugé pour le meurtre de Chahinez".
L'instruction est en cours et devrait durer entre 12 et 18 mois. Le chef d'accusation n'est donc pas encore connu à ce stade. "On ne sait pas si l'assassinat avec préméditation sera retenu ou bien les violences volontaires sur conjoint ayant entraîné la mort avec la circonstance aggravante du feu. Mais par rapport à ces manquements inscrits dans ce rapport, mes clients devront décider s'ils envisagent de poursuivre la responsabilité administrative de l'Etat ou pas".
Sur les préconisations du rapport, l'avocate estime qu'il y a de très bonnes choses. "Il faut prévenir systématiquement les victimes de violences conjugales de la sortie de prison de leur ex-conjoint. Les agresseurs conjugaux doivent être équipés de bracelet anti-rapprochement et les victimes dotées de téléphone grave danger tant que l'auteur des faits est en sursis probatoire".