Eric Dupond-Moretti était à Poitiers, à l'occasion du premier anniversaire du déploiement des bracelets anti-rapprochements en France. Le ministre a lancé une expérimentation, un casque virtuel pour se mettre à la place des victimes de violences conjugales. Réactions dans la métropole bordelaise.
4 mai 2021 : Chahinez Daoud, mère de trois enfants était brûlée vive dans une rue de Mérignac en Gironde par son mari. Multirécidiviste, il avait été condamné pour violences conjugales en 2020.
2 juillet 2021, Sandra Pla, mère d'une fillette de quatre ans, était poignardée à plusieurs reprises par son ex-compagnon dans le quartier Saint-Augustin de Bordeaux.
Ces deux féminicides ont marqué l'opinion, et à Bordeaux, les déclarations d'Eric Dupond-Moretti ce vendredi 24 septembre à Poitiers ont été scrutées plus qu'ailleurs.
Le ministre de la Justice qui assistait ce matin à l'audience solennelle d'installation du procureur général près la cour d'appel de Poitiers, a lancé l'expérimentation de l'utilisation de la réalité virtuelle dans la prise en charge des auteurs de violences conjugales.
Se mettre à la place de la victime
Ce dispositif déjà testé en Espagne, prévoit une "immersion totale" grâce à un casque de réalité virtuelle dans l'histoire d'une famille, divisée en sept séquences, sur plusieurs années.
Pendant une dizaine de minutes, le spectateur se met tour à tour dans la peau de l'homme, de la femme, puis de leur enfant, dans différentes scènes de vie quotidienne. Le scénario a été élaboré en lien avec des experts spécialisés en violence conjugale.
Qualifiée de "prometteuse" par le ministre de la justice, cette expérimentation vise à "se mettre à la place de la victime". Plongé "dans une ultra réalité de violence conjugale", l'auteur est amené à "changer de point de vue". Ce film l'aidera à travailler avec les psychologues et les conseillers d’insertion sur "la perception, l’impact de ses actes, l’empathie et donc la prévention de la récidive" a affirmé le garde des Sceaux.
Le ministère de la Justice est aussi un ministère d’innovation. Début d’une expérimentation prometteuse.
— Eric Dupond-Moretti (@E_DupondM) September 24, 2021
Grâce à ce casque, les auteurs de violences conjugales se retrouveront tour à tour dans la peau du mari violent, de sa femme et de leur enfant. ⤵️https://t.co/ZkxkGFs2Wa
D'une durée de trois mois, l'expérimentation débutera en octobre à Lyon, Meaux (avec des personnes condamnées et suivies en milieu ouvert) et Villepinte (avec des détenus). 28 hommes volontaires seront concernés.
"Pas à la hauteur"
Naïma Charaï est la directrice d’APAFED, une association qui oeuvre contre les violences conjugales et la prise en charge des femmes battues en Gironde. Elle qui se dit favorable aux expérimentations quand elles servent l'intérêt des femmes estime la mesure "anecdotique".
Quand on sait que 250 000 femmes sont victimes chaque année de violences conjugales, comment peut-on lutter efficacement en proposant une expérimentation pour 28 détenus volontaires ?
Selon Naïma Charaï, "cette expérimentation n'est pas à la mesure du fléau que sont les violences conjugales. Elle n'est pas à la hauteur du décompte macabre des féminicides".
Marie Recalde, adjointe socialiste au maire de Mérignac s'était déplacée sur les lieux du drame en mai dernier. Avocate, elle défend régulièrement des femmes victimes de violences ou de harcèlement. Elle est plus nuancée dans ses propos.
Tout ce qui peut aller dans le sens d’une meilleure prise en compte de la réalité de ces femmes et de leurs paroles, d'une prise de conscience des pouvoirs publics va dans le bon sens.
Marie Récalde veut attendre les résultats de cette expérimentation qui participe à la justice réparatrice intégrée dans le code pénal depuis 2017 et favorise la reconnaissance des faits.
Mais les auteurs de violences conjugales, explique-elle, perçoivent leur femme "comme un objet" et "la réalité virtuelle ne peut pas être une mesure isolée" dans la déconstruction d'un processus complexe mais "un plus" dans le cadre d'une obligation de soins et d'un suivi psychologique poussé.
Marie Récalde dit croire davantage en l'éducation dès le plus jeune âge.
Des moyens supplémentaires
Afin d'accélérer le traitement des plaintes de violences conjugales en souffrance, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a également annoncé ce vendredi 24 septembre un renfort au sein des Parquets :
- 61 juristes assistants supplémentaires dans les juridictions les plus importantes pour trois ans
- 104 agents en contrat de 4 mois, renouvelable si des besoins sont identifiés
Pourtant, Naïma Charaï n'est pas convaincue :
Le projet de loi de finances est très loin de l’affirmation du Président de la République et du Garde des Sceaux de faire de la lutte contre les violences conjugales la grande cause du quinquennat, même si il y a une volonté de la justice de lutter contre, il reste le problème des moyens dédiés à cette cause.
Marie Récalde juge ces moyens supplémentaires insuffisants et soupçonne une opération de communication. Elle se réjouit, en revanche, d'une autre mesure dévoilée ce vendredi à Poitiers : l'extension à huit nouvelles juridictions du projet pilote sur le contrôle judiciaire renforcé. Testé à Nîmes et Colmar depuis un an, il permet, a détaillé le garde des Sceaux, d'aller plus loin dans la prise en charge par un placement probatoire dans une structure adaptée.
Le conjoint violent est immédiatement évincé du domicile conjugal avec un suivi renforcé de ses obligations.
3000 téléphones grand danger
A Poitiers, le ministre de la justice a également dressé le bilan des bracelets anti-rapprochements. Son déplacement a-t-il rappelé intervient un an, jour pour jour, depuis leur déploiement en France. Accroché à la cheville, le B.A.R permet de géolocaliser les conjoints ou ex-conjoints violents partout en France. Il permet aussi "à la victime d’être et de se sentir en sécurité" a insisté Eric Dupond-Moretti.
Selon le garde des Sceaux , "les juridictions se sont progressivement mais réellement approprié ce nouveau dispositif". 379 BAR ont été prononcés en un an, 268 étaient actifs au 13 septembre. Ce dispositif a déclenché 426 interventions des forces de l’ordre alertées suite à l’entrée du porteur du BAR dans une zone d’alerte. « Autant de crimes évités » a estimé Eric Dupond-Moretti.
Après le meurtre de Chahinez Daoud à Mérignac, le gouvernement avait diligenté une mission d'enquête qui avait remis le 9 juin un rapport dénonçant de graves dysfonctionnements.
Six nouvelles mesures avaient alors été annoncées dont le renfort du recours aux bracelets électroniques, mais également l'augmentation du nombre de téléphones grand danger.
Eric Dupond-Moretti a confirmé ce vendredi la mise à disposition de 3000 de ces téléphones d'ici la fin de l'année.
En deux ans, a rappelé le ministre, 2279 téléphones grave danger ont été déployés. Un "instrument de protection efficace" qui a permis 1185 interventions en 2020.
Naïma Charaï aurait aimé davantage de précisions sur le déploiement de ces outils. "S'il s'agit juste d'appeler le conjoint ou l'ex conjoint pour lui demander de sortir de la zone d'alerte, ce n'est pas suffisant", estime de son côté Marie Récalde.
Chargée d'une mission sur les violences conjugales par le département de la Gironde, la conseillère départementale socialiste indique que le Conseil départemental va demander l'expérimentation d'un Parquet spécialisé dans la lutte contre les violences conjugales en Gironde dans les prochaines semaines.
Ce sera un Parquet consacré à ces dossiers. Ça va accélérer les procédures et donc permettre de mettre à l’abri plus rapidement les femmes victimes.
L'expérimentation pourrait être présentée en novembre.