Le nombre de boutiques dédiées à la vente de produits à base de CBD explose. Et depuis juin dernier, celles-ci ont les coudées franches d’un point de vue législatif pour avoir pignon sur rue. En conséquence, ce sont donc de nombreux commerces qu’il va falloir approvisionner.
Si la culture du chanvre est en train de se structurer en ex-Aquitaine, la filière dédiée à la production pour en faire des produits à base de CBD est encore peu étoffée sur le territoire. Mais les lignes bougent vite. La législation aussi. Alors, y-a-t-il une place à prendre en terme de production de CBD ?
En Gironde, une exploitation a vu le jour il y a un an. La récolte vient de s’achever : 30 000 pieds ont ainsi été ramassés sur les 6 hectares cultivés. Ces plantes n’ont aucun effet psychotrope. « Ce qui change, cela va être le taux de CBD, et le taux de THC », explique Alex Mak, le responsable communication de l’exploitation devenue une véritable entreprise.
Aucun effet euphorisant
« Dans les plantes dites illégales, vous allez avoir un taux de THC et de CBD bien plus élevé, alors que dans cette plante totalement légale le taux de THC est faible c’est-à-dire à 0,2% », explique Raphael De Pablo, co-fondateur de l'entreprise. C’est-à-dire 75 fois moins que dans le cannabis utilisé comme drogue. Le CBD, le cannabidiol, est une molécule qui n’est pas euphorisante. Elle n’a pas de vertu thérapeutique, en revanche elle apporte un certain « bien-être ». « Le CBD n’a pas de propriétés addictives et n’agit pas comme une drogue qui vous transforme », explique le docteur Delile, addictologue à Bordeaux.
Cette exploitation n’existe que depuis un an. Si l’année dernière la production a à peine permis à l’entreprise de rentrer sans ses frais, celle-ci espère atteindre l’équilibre cette année grâce à une production supérieure. Après trois semaines de séchage, les plants vont partir en Allemagne où ils seront transformés en huile. L’entreprise commercialisera alors elle-même sa récolte. Direction le e-commerce, des pharmacies et des boutiques spécialisées dans la vente de CBD. Des commerces qui depuis juin dernier profitent enfin d’un cadre législatif clair. La Cour de cassation a en effet tranché après plusieurs années de flou en France.
Ne pas confondre avec le thérapeutique, c’est-à-dire médical
Bon nombre de commerces jouent sur l’aspect médical que peut revêtir le CBD. Hors ces boutiques ne vendent que du « bien-être ». Le CBD permet de se détendre, de mieux dormir, voire de calmer certaines inflammations. Mais on ne peut pas parler d’usage thérapeutique pour autant.
En France, l’utilisation du CBD est assez rare dans le cadre médical. « A ce jour, il n’est utilisé que pour soigner certaines formes d’épilepsies pédiatriques », explique Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addition.
« Il s’agit d’un médicament appelé l’Epidyolex, dont la prescription est restreinte. C’est la seule pathologie pour l’instant mais cela devrait envoluer notamment pour les inflammations, les cancers mais aussi en psychiatrie concernant les troubles délirants. A l’heure actuelle, on expérimente les mélanges THC et CBD et dans d’autres cas uniquement du CBD. Mais dans le cannabis médical, on associe les deux la plupart du temps ».
Un cadre légal enfin trouvé
Il aura donc fallu de nombreuses années à la justice pour trancher sur cette question du CBD vendu en boutique pour apporter du « bien-être ». Cinq ans pour être précis.
Tout remonte à la condamnation en 2016 d’une boutique marseillaise accusée de commerce illégal de stupéfiant. En cause : elle vendait du CBD produit en République Tchèque (pays membre de l’Union Européenne) dans des conditions différentes de la France. Condamnée, la boutique avait fait appel. La Cour européenne de justice avait alors été sollicitée sur le sujet. Dans un arrêt, celle-ci avait donné raison aux commerçants marseillais.
Et en juin dernier, la question a été définitivement tranchée par la Cour de cassation. Elle a pris un arrêté le 23 juin dernier allant dans le sens de celui de la Cour européenne de justice : la vente est légale en France du moment que le CBD a été produit dans un pays membre de l’UE selon les règles fixées par la justice européenne. Bref, c’est le droit européen qui prime.
Un soulagement pour toutes les boutiques qui avaient ouvert ces dernières années et qui craignaient d’être condamnées à l’image de ce commerce marseillais. A Bordeaux, plusieurs d'entre elles avaient été poursuivies par la justice.
Quel avenir pour la production ?
Difficile de dire combien ils sont à produire du CBD en France et plus particulièrement dans la région. La filière chanvre est installée en Nouvelle-Aquitaine, notammment dans les Deux-Sèvres et dans le Lot-et-Garonne. Mais combien sont-ils à produire du CBD à partir de cette plante ? "On n'a pas de recensement exhaustif", explique Stéphanie Sauvée. La jeune femme a été mise à disposition par la Chambre régionale d'agriculture pour structurer la filière chanvre dans sa globalité. Elle a participé à la création d'une association nommée "Chanvre Nouvelle-Aquitaine". "Cela va très vite. L'association a été créée en février dernier, et on a déjà 50 adhérents en six mois, pour du chanvre alimentaire, dédié au bâtiment, mais aussi au CBD. Certains font des parcelles mais sont aussi sur d’autres productions".
En ex-Aquitaine, il existerait quatre ou cinq exploitations en Gironde produisant du CBD. Certains se sont également lancés dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques avec parfois des formes différentes comme des granules ou infusions. A Fauillet, dans le Lot-et-Garonne, Jean-Pierre Roumat a quitté l’agriculture conventionnelle il y a 22 ans pour se lancer dans le bio et plus particulièrement dans le chanvre. Il a ainsi produit de l’huile alimentaire. Mais depuis peu, son fils, a décidé de se lancer dans l’huile de CBD à partir de chanvre. La relève est assurée.
Ils ne sont donc pas encore très nombreux, mais pour combien de temps ? Là aussi tout est une affaire de législation. "La France permet la culture du chanvre et la commercialisation des graines et des fibres", explique Philippe Mouquot, spécialiste de la filière chanvre à la Chambre d'agriculture de la Gironde. "Par contre, à l'échelle européenne, la loi est différente. Du coup, si on peut produire du chanvre en France, il faut en revanche l’envoyer en Allemagne par exemple pour y extraire le CBD et le faire rerentrer ensuite en France. Pour l’instant en France, on ne peut pas faire le CBD. Alors oui, effectivement, si les règles étaient très claires aujourd'hui on aurait beaucoup plus d’entrepreneurs autour du chanvre".
Pour Stéphanie Sauvée, " le CBD peut être une production d'avenir mais à certaines conditions". "Pour l’instant, on peut cultiver et vendre mais pas transformer. Il faudra aussi savoir qui aura une licence pour produire. Est-ce que des petits producteurs auront la main sur la maîtrise du process ? Une filière agricole locale peut-elle garder la main sur la culture du CBD ? On n'en sait rien. Le risque, c’est que de grosses structures recupèrent le marché et que cela nous échappe au final. Il y a une bulle spéculative sur le CBD et les sociétés étrangères sont arrivées sur le marché avec des produits moins cher".
Transformer à l'étranger coûte cher et cela se reporte sur le prix de vente. Pour se faire une place sur le marché du CBD, les producteurs français devront donc obtenir l'autorisation de transformer leur chanvre sur place. Sans quoi, ils ne seront pas suffisament concurrentiels.