Pierre Blanc est un enseignant-chercheur à Bordeaux Sciences Agro et Sciences-Po Bordeaux. Spécialiste des questions géopolitiques, il nous explique pourquoi la guerre de la Russie contre l'Ukraine pourrait avoir des conséquences sur le prix du blé et la sécurité alimentaire à l'échelle de la planète.
Et si le blé était devenu une arme ? La Russie et l'Ukraine sont des greniers à blé essentiels pour le monde. Grâce à leurs terres noires, très fertiles, les deux pays assurent 1/3 des exportations mondiales de cette céréale, indispensable à notre alimentation.
La Russie en a fait une arme d'influence géopolitique. Depuis 2015, elle a retrouvé son rang de premier pays exportateur, un siècle après l'avoir perdu. Pierre Blanc aime à le rappeler, après la chute de son empire, la Russie a disparu des marchés mondiaux. Ses choix de collectivisme agraire se sont avérés inopérants et ont entravé fortement sa production agricole.
Mais dès son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a réformé les anciennes fermes soviétiques vers une forme de capitalisme grâce à de grandes entreprises qui ont racheté ou, le plus souvent, loué le foncier. Il a également développé les infrastructures de transports ferroviaires, maritimes et routiers pour acheminer le blé.
La dépendance à la Russie
La Russie est aujourd'hui une puissance agricole en matière de céréales et de blé. Pour la saison 2020/2021, elle a produit 85 millions de tonnes et en a exporté 30 millions. Pierre Blanc insiste, la Russie cherche des opportunités commerciales mais surtout un moyen de puissance. L'or blond comme food power, pour reprendre le terme utilisé par les Américains.
Car la Russie vend essentiellement en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Indonésie. Certains pays sont très dépendants de ces importations. En Egypte par exemple, la Russie s'est substituée aux Etats-Unis et à l'Europe. En Algérie, Vladimir Poutine est entré en concurrence avec la France, complète Pierre Blanc. Et en Syrie, Vladimir Poutine a livré des navires de blé à son allié Bachar El Assad alors que les champs de blé étaient aux mains de Daesch et qu'il voulait nourrir son peuple et éviter toute rébellion.
Une mainmise russe qui s'étend à l'Afrique noire avec retour d'ascenseur de ce "food power". Pierre Blanc a étudié les pays qui n'ont pas voté pour exiger l'arrêt de l'offensive russe en Ukraine à L'ONU. L'enseignant-chercheur bordelais note une certaine corrélation même si, précise-t-il, il ne peut pas établir une causalité.
Le risque d'insécurité alimentaire
L'Ukraine, de son côté, représente 10% des exportations de blé dont une partie vers la Chine. Longtemps sous le giron soviétique, elle a, elle-aussi, mené un train de réformes pour relancer sa production de blé mais également de maïs explique Pierre Blanc.
Alors quels seront les effets d'une guerre entre ces deux voisins producteurs ? Pierre Blanc redoute une flambée des prix.
Le blé est déjà semé et devrait être moissonné cet été. Mais beaucoup d'agriculteurs ukrainiens sont partis sur le front. Et l'on ignore les dégâts dans les champs côté ukrainien comme russe. La production risque de baisser.
De même, le docteur en géopolitique évoque une incertitude sur l'acheminement des céréales.
L'incertitude engendre l'inquiétude.
Pierre Blanc - Enseignant-chercheur à Bordeaux Sciences agroFrance 3 Aquitaine
Par anticipation, les prix s'envolent. Et ils étaient déjà élevés rappelle Pierre Blanc en raison "d'un contexte mouvementé par la Covid et des accidents climatiques". Les boulangers, on s'en souvient, avaient déjà dû augmenter leur prix au quatrième semestre 21. Une tendance qui risque de s'accentuer.
En France, les éleveurs qui nourrissent leurs bêtes à base de céréales pourraient aussi payer le prix fort. Tout comme les agriculteurs qui utilisent des engrais fabriqués grâce au gaz.
Pierre Blanc "est très inquiet pour les pays dépendants qui pourraient être confrontés et à un appauvrissement des rations."
"L''accroissement de l'insécurité alimentaire semble être un scénario probable". D'autant que dans ces pays, contrairement à ceux de l'Union Européenne, les politiques publiques ne pourront pas compenser.
Pierre Blanc a contribué à l'émission d'Arte "Le dessous des cartes" sur le blé russe diffusé avant le début de l'invasion russe mais qui reste d'actualité :