Le 27 septembre, Elisabeth Borne, la Première ministre, a annoncé la mise en place de plusieurs mesures pour lutter contre le harcèlement scolaire. “Une lutte implacable” que saluent les acteurs qui œuvrent en ce sens depuis des années.
“100% prévention, 100% détection et 100% solution”. C’est le slogan du plan de lutte contre le harcèlement scolaire, dévoilé mercredi 27 septembre par Elisabeth Borne. L’opération “électrochoc” avancée par le gouvernement, se veut transministérielle : outre le ministère de l’Éducation, y sont associés ceux de la Santé, de la Justice, mais aussi des Sports.
“C’est important que tous les ministères soient mobilisés, parce que le harcèlement ne se limite aux murs de l’école. Il se trouve partout où les enfants évoluent : dans les cours de sport, dans la rue et sur les réseaux sociaux", se félicite Wilfried Issanga, président de l’association ALCHM, à Bordeaux.
Un pas de géant
Au cœur de ces mesures, le nouveau ministre de l’Éducation, Gabriel Attal. “En quelques mois, il a fait un pas de géant. Cela faisait des années que nous attendions que les choses changent et on sent qu’il y a enfin une prise de conscience”, sourit Maxime Jouet, réalisateur de "Je te faisais confiance", engagé dans la lutte contre le harcèlement et parrain de l’association La Vague, à Poitiers.
Ces situations de souffrance, Margaux les a vécues lorsqu’elle avait 14 ans. “C'étaient mes amis. Ils m’ont insultée, intimidée. Il y a même eu des agressions physiques”, se souvient celle qui, à 31 ans aujourd’hui, garde encore des cicatrices invisibles de cette période.
Elle, n’a pas porté plainte, mais elle en a parlé à ses parents, “sans qui je ne serai plus en vie aujourd’hui”. Pour elle, ce plan, c’est une vraie avancée pour libérer la parole. “C’est ça qui m’a sauvée. Pouvoir en parler à des proches, ne plus en faire un tabou. Grâce à ça, mes parents ont pu m’accompagner au collège, faire un signalement et m’ont soutenue jusqu’au bout”, martèle-t-elle.
Justice plus ferme et réactive
Avec aujourd’hui un million d’élèves harcelés chaque année, la cheffe du gouvernement a annoncé plusieurs mesures judiciaires. Désormais, les procureurs seront systématiquement saisis en cas de signalement de harcèlement.
Les harceleurs se verront également confisquer leur téléphone portable et pourront être exclus des réseaux sociaux. “Jusqu’ici, en Aquitaine, aucune plainte n’a mené à des condamnations. Là, on sent qu’il y a une volonté de marquer les esprits”, se réjouit Wilfried Issanga. Ces peines pourront par ailleurs être assorties de stage de citoyenneté ou de travaux d’intérêts généraux selon la situation.
Autre mesure judiciaire, la confiscation des portables de harceleurs, voire, leur exclusion des réseaux sociaux. “Positif” selon Maxime Jouet, “à voir” répond Wilfried Issanga. “Comment va-t-on pouvoir l’appliquer ? Les harceleurs pourront se rendre sur les réseaux via le compte d’un ami, il pourra recréer de nouveaux comptes… Les seuls à pouvoir agir en ce sens, ce sont les GAFAM eux-mêmes et on sait aujourd’hui que ce combat est loin d’être gagné”, avance le président de l'ALCHM, rappelant que cela représenterait 300 000 harceleurs à juger.
Pour lui, il faut plutôt mettre l’accent sur les parents. “Papa-Maman, c’est le facteur principal. Il faut que la police puisse aussi convoquer les parents et qu’elle soit associée aux peines des enfants, si ces derniers ne les respectent pas”, affirme-t-il.
Enfin, des brigades anti-harcèlement seront également créées afin de limiter et alerter en cas de harcèlement. Pilotées par le rectorat, l’association bordelaise craint une inaction. “Aujourd’hui, on le sait, les rectorats préfèrent étouffer les affaires que de les régler. Il n’y a pas de bâton magique qui va les faire changer demain. Il faut que les brigades soient gérées par les préfets et constituées de parents, d’élèves et d’associations pour qu’elles aient un véritable pouvoir d’action. L’école ne peut pas juger l’école”, envisage Wilfried Issanga.
Mieux former la société
Il y a quinze ans, quand Margaux et ses parents ont alerté le collège, les réactions n’ont pas été suffisantes. “Il y a eu des avertissements, des convocations, des parents qui refusaient de croire que leur enfant était capable de harceler. On sentait qu’il y avait un vrai manque de formation et de sensibilisation à tous les niveaux. Même mes parents, dans leur rôle, étaient démunis”, regrette la trentenaire.
Dans le plan, le volet judiciaire s’accompagne également de mesures de formations. Selon le gouvernement, tous les professeurs et encadrants des jeunes du milieu scolaire ou parascolaire recevront une formation sur la gestion des cas de harcèlements. “C’est positif évidemment, mais il faut aussi et surtout inclure les familles, via les associations de parents d’élèves notamment. Il y a beaucoup de parents qui sont dans le déni ou qui n’ont pas les bonnes informations pour accompagner leur enfant harcelé ou harceleur”, regrette Wilfried Issanga.
Même constat pour Maxime Jouet. “C’est un problème d’adulte. Si on ne prend pas les victimes au sérieux ou si on ne sait pas comment les accompagner, ils ne peuvent pas résoudre la situation tout seuls, face à ce qui, généralement, devient des mécaniques de groupes.”
Margaux, elle, ne veut pas éluder l’après. “Une fois la plainte déposée, le signalement fait, le chemin est loin d’être terminé. Il faut ensuite se reconstruire, réapprendre à vivre normalement. C’est un processus lent qui nécessite une aide continue”, rappelle Margaux, qui regrette que cette étape ne soit pas mieux envisagée dans le plan du gouvernement.
Un numéro, le 3018, à l’origine réservé au cyberharcèlement, devient le numéro unique pour obtenir de l’aide en cas de harcèlement scolaire. “Il y a aussi une application, encore méconnue qui permet aux élèves de chatter avec des personnes formées”, ajoute Maxime Jouet, qui la mentionne régulièrement lors de ses interventions.
Apprendre l'empathie
Aujourd’hui, un élève sur dix est harcelé au cours de sa scolarité. Un phénomène visible particulièrement au collège, qui concentre 54% des cas. Le gouvernement veut donc s’attaquer au problème en amont, en prévoyant des cours d’empathie dès le primaire, à l’instar du Danemark.
“C’est pour moi la mesure phare de ce plan. Ces cours vont permettre aux enfants d’apprendre que leurs actes ont des conséquences et traiter le mal à la racine”, se félicite le réalisateur de "Je te faisais confiance", qui traite du harcèlement scolaire.
Lui, milite pour une prise en charge équivalente du harcelé et du harceleur. “Dans le harcèlement, il y a toujours deux victimes. Celui qui subit et le harceleur, qui soufre lui aussi de quelque chose d’autre, qui s’explique par une sphère familiale compliquée, un harcèlement passé… Quand on harcèle, l’autre devient le miroir de nos propres souffrances”, illustre Maxime Jouet.
Pour lui, c’est le “trou” de ce plan.“Il faut aussi parler du harceleur. Il ne faut pas seulement le déplacer d’établissement. Il faut un accompagnement pour résoudre ses problèmes, sans quoi il pourrait recommencer et devenir, à l’âge adulte, un manager toxique ou une personne qui n'arrive pas à s’intégrer dans la société.”
Avec quels moyens ?
Soulagées, les associations attendent désormais la mise en place de ces mesures avec une question, centrale : quels moyens ? “Il y a beaucoup d’associations qui ferment faute d’argent. L’Éducation Nationale nous dit qu’elle n’a pas d’argent, quand nous venons faire des interventions. Alors qui va former tous ces gens ? Et d’où proviendra l’argent ?”, s’interroge Maxime Jouet.
“Si c’est remonté tout là-haut, s’il y a eu des annonces publiques, c'est un grand pas. Je veux croire que ça va continuer à avancer. C’est comme la reconstruction, il faut y aller marche par marche. C’est la seule manière de recréer quelque chose de stable”, milite celle, qui se reconstruit encore, doucement, quinze ans après son harcèlement.