Le parquet de Bordeaux vient de signer la mise en place d'un protocole de prise en charge des enfants de victimes de féminicide. L'objectif est que ces enfants bénéficient d'un encadrement coordonné, permettant un accès aux soins médicaux dans le cadre d'un placement provisoire. Une avancée saluée par les avocats et associations.
Qu'advient-il des enfants des victimes de féminicides ? Quand le père tue la mère, avant de se donner la mort ou d'être incarcéré, qui prend soin des enfants ? Matériellement, médicalement, psychologiquement ?
"Je ne pense pas que ces enfants aient, jusque-là, été oubliés par la justice", assure Frédérique Porterie. La Procureure de la république de Bordeaux vient de mettre en place un protocole sur leur prise en charge. Une façon "d'inscrire dans le marbre le modus operandi que nous pratiquions déjà". Ce protocole vient gérer l'urgence de la prise en charge des mineurs. Le but est d'assurer une coordination entre les services de la justice, des secours, du soin afin de protéger les enfants qui sont des victimes directes ou indirectes de ces drames.
Ce modus operandi résulte d'un partenariat nombreux acteurs : le Parquet de Bordeaux, le département avec sa double casquette d'aide sociale à l'enfance et de présidence du SDIS 33, le CHU de Bordeaux, Charles Perrens, la Police et la gendarmerie.
Un protocole systématique
Le processus suivra donc un même schéma; Dans un premier temps, "une ordonnance de placement provisoire (OBP) du parquet qui est prise pour les enfants mineurs, victimes directes ou collatérales d'un féminicide ou d'un homicide", de manière à ce que l'enfant soit "pris en charge psychologiquement parlant par le CHU et le CHS (psychiatrie) de Charles Perrens". C'est le SAMU ou le SMUR (le SDIS si besoin) qui est responsable de la prise en charge du mineur jusqu'au centre hospitalier.
On parle ensuite de la constitution d'un trousseau "qui va être faite par les services de police ou de gendarmerie pour récupérer un doudou, des affaires, etc... pour que l'enfant soit conduit à l'hôpital".
L'ordonnance de placement provisoire du procureur "s'accompagne d'une saisine du juge des enfants qui, dans les huit jours va, en fonction de l'enquête sociale effectuée par l'Aide Sociale à l'Enfance, essayer de déterminer l'endroit le plus favorable pour le placement ultérieur de l'enfant".
Ne pas ajouter du traumatisme
Dans les premières heures après le drame, il s'agit d'apaiser l'enfant et de ne pas ajouter du trouble voire de nouveaux traumatismes. Ce qu'on veut éviter après un drame comme celui-là, dans les heures qui suivent, c'est de remettre l'enfant à la famille paternelle ou maternelle parce qu'au-delà du traumatisme des enfants il peut y avoir celui de la famille. On ne veut pas qu'il y ait une influence ou de prise à partie".
Un féminicide signifie que l'enfant a perdu sa maman et que son père,"soit s'est suicidé, soit va être incarcéré... C'est un peu la double peine pour ces enfants. Il faut absolument qu'ils soient préservés".
Parce que c'est un énorme traumatisme pour des enfants... On perd deux parents en même temps !
Frédérique Porterie, Procureure de la République de Bordeauxà la rédaction web de France 3 Aquitaine
La prise en charge médicale est primordiale, "à la fois psychologique et physique, voir s'il n'y a pas eu de problèmes physiques sur l'enfant".
Enfin considérés comme des victimes
"Ce qui est très important, c'est qu'il y ait une bonne prise en charge et un suivi" et qu'on tienne compte "des conséquences de tels drames !" assure la batonnière de Bordeaux Me Christine Maze. "Je trouve que c'est fondamental". Elle rappelle qu'à Bordeaux, un institut de droit des enfants fonctionne "depuis près de 30 ans maintenant", et prend en charge toutes les situations autour des enfants "qui ne sont plus considérés comme "témoins" mais comme "victimes"".
Depuis deux ans, la véritable avancée sur le plan juridique, c'est la reconnaissance de ces enfants en tant que victimes dans le cadre de violences intra-familiales. Et ce statut permet à ces mineurs d'être défendus et protégés en tant que telles.
Le juge des enfants demande "qu'un avocat soit désigné dans le cadre d'une administration ad hoc lorsque nous sommes devant ces situations tragiques". C'est le bâtonnier, et donc Me Maze à Bordeaux, qui désigne un avocat du Centre de recherche, d’information et de consultation en droit des mineurs (CRIC) dans le cadre de ces missions d'assistance juridique de ces jeunes enfants. Il prend alors en charge la défense de cet enfant.
Le CRIC est un institut, une émanation de l'ordre des avocats, qui regroupe plus de 200 avocats qui travaillent totalement sur la situation de l'enfant, soit victime de violences, soit placé, soit des enfants de victimes de féminicides dont, parfois, le père s'est suicidé. Donc des situations lourdes et spécifiques, qui nécessitent une expérience particulière.
Un avocat pour l'enfant
Ces avocats du barreau de Bordeaux assistent les enfants sur le territoire. "Ils sont très mobiles très engagés et connaissent tous les aspects du retentissement psychologique, du stress post-traumatique, la difficulté qu'ont les enfants, parfois, à verbaliser et expliquer les faits. Ils sont très formés à la défense de l'enfant ".
Me Maze explique que c'est une véritable progression dans la prise en charge de ces enfants pour les protéger mais aussi pour les aider à se reconstruire selon leurs souhaits qui n'étaient peut-être avant pas toujours entendus. L'avocat qui intervient dans le soutien de l'enfant "n'est attaché qu'à l'enfant ! Il n'a pas de contact avec les parents, et notamment le père si ce dernier a commis l'irréparable. On a des règles très strictes autour de l'enfant pour asseoir sa place au sein de ce parcours judiciaire qui est quand même extrêmement lourd ".
Le décret de 23 novembre 2021 a renforcé les droits de l'enfant qui est considéré comme une co-victime de violences conjugales.
Me Christine Maze, batonnière au Barreau de Bordeauxà la rédaction web de France 3 Aquitaine
Souvent, l'administrateur ad hoc qui est désigné, qui peut être une association va mettre autour de ces enfants les acteurs nécessaires pour la prise en charge du psychotraumatisme.
Le protocole signé ce 6 novembre permet donc d'organiser cette prise en charge de l'enfant au plus tôt.
"Deux ans après, il était temps"
"C'est une très très bonne nouvelle que ce protocole, sur le modèle de ce qui se faisait en Seine Saint Denis, puisse être enfin effectif sur le département de la Gironde", se réjouit Naïma Charaï, directrice de l'Association Pour l’Accueil des Femmes en Difficulté (APAFED). Il faut dire qu'elle garde à l'esprit les féminicides de Sandra Pla à Bordeaux et Chahinez Daoud à Mérignac. Concernant cette dernière, elle rappelle, amère qu'il y avait "quand même eu un impensé qui avait mis en grande difficulté les enfants suite à l'assassinat de leur mère ! Ces victimes n'ont pas pu être prises en charge comme il aurait fallu dans ce type de situations dramatiques".
". Deux ans après, il était temps ! Espérons qu'on n’ait pas à le mobiliser...", poursuit-elle. Selon Naïma Charaï, ces dispositions permettraient "d'anticiper la prise en charge des petites victimes, de les placer de manière provisoire dans un lieu protégé avec l'ensemble de leurs objets leur permettant d'être sécurisés le temps qu'il y ait une prise en charge par la famille".
La prise en charge pouvait varier d'une situation à l'autre. Des loupés, il y a forcément dû y en avoir. Malheureusement, ces manquements involontaires ont sans doute ajouté du traumatisme au traumatisme. C'est pourquoi Mme Charaï souhaiterait qu'on généralise cet accompagnement. "Il y a quand même eu 118 féminicides l'année dernière (en France, ndlr). En grande majorité, ces femmes avaient des enfants. Je souhaiterais que ce protocole expérimental en Gironde puisse être généralisé et essaimé pour éviter que ces enfants soient laissés, soit à l'abandon, soit à la famille de l'auteur du féminicide... Ça peut arriver et je trouve cela malheureux".
De son côté, l'APAFED a créé "un Pôle Enfance soutenu par le département de la Gironde, la CAF et la délégation régionales aux droits des femmes" qui dispose d'une psychologue pour enfants, une psychomotricienne et une éducatrice de jeunes enfants. Le pôle prend en charge ces enfants victimes de violence intra familiales. "Notre travail est de venir soutenir le développement de l'enfant qui a été victime de violence". Car les enfants développent souvent des troubles du langage, de la motricité, de l'attachement, de l'apprentissage. "Lorsque vous les accompagnez, les soutenez, les prenez en charge par des professionnels qui ont cette connaissance du psychotraumatisme et du développement de l'enfant, on se rend compte assez vite que l'enfant va beaucoup mieux", souligne Naïma Charaï.
Une juste prise en charge de ces enfants vers le chemin d'une reconstruction personnelle pour reprendre le cours de leur vie, c'est ce que souhaitent tous ces acteurs engagés dans leur défense. Et aussi, dans un deuxième temps comme le souligne Naïma Charaï, "une manière de prévenir", pour ne pas reproduire le cycle infernal de la violence.