L'inquiétude grandit dans le vignoble aux portes de Bordeaux, sur l'appellation Pessac-Léognan. La faute à un projet géant d'installation de panneaux solaires et la coupe de 1000 hectares de forêt de pins.
Ils se présentent comme le berceau des grands vins de Bordeaux. Mais un berceau sur qui pèse aujourd'hui une menace d'après les viticulteurs de ce terroir, installé aux portes de la métropole bordelaise. L'objet de leurs inquiétudes s'appelle Horizeo, à quelques kilomètres de là.
C'est un parc solaire, d’une puissance de 1 GW. Enorme donc. Horizeo pourrait être le plus grand d’Europe en termes de capacité installée et de surface, et s’étendre sur plus de 900 ha sur la commune de Saucats, au sud de Bordeaux. C'est ainsi qu'il a été présenté lors du débat public qui a eu lieu durant des semaines dans les communes du secteur, passage obligé pour envisager cette implantation. Mais voilà, pour y arriver, il faut couper 1 000 hectares de forêt de pins.
De quoi soulever nombre de questions chez les viticulteurs voisins. "En deux mots, c'est trop grand, trop près. Le parc s'installe à Saucats, à 5 ou 6 kilomètres de l'appellation Pessac-Léognan. Certaines propriétés sont à moins que cela. Nous, au Domaine de Chevalier, on se trouve à moins de 5 kilomètres de ce gros projet de 1000 hectares de panneaux photovoltaïques, de data-center, avec aussi production d'hydrogène." s'inquiète Olivier Bernard, propriétaire du Domaine de Chevalier, représentant le Syndicat Viticole de Pessac-Léognan.
Danger pour la vigne ?
L’électricité produite sur ce site aurait vocation à être commercialisée à des industriels. Une part de l’électricité pourrait éventuellement être vendue à des collectivités ou des particuliers. La puissance de 1 GW pourrait couvrir environ 20 % des besoins annuels en énergie du secteur de l’industrie du département de la Gironde.
Pas d'opposition de principe du côté des viticulteurs à l'égard du photovoltaïque. Mais la coupe du massif forestier et la proximité de cette installation XXL représentent pour eux un danger que la vigne pourrait ne pas supporter selon les professionnels.
Car il s’agit de 1000 hectares de forêt qui génèrent des conditions climatiques particulières. En forêt, il fait plus froid en fait et pour nous les vins blancs ont énormément besoin de fraîcheur et c'est un sujet majeur. Alors que le réchauffement est un vrai sujet, là on enlève 1000 ha de bois….
Olivier Bernard - syndicat viticole de Pessac-LéognanFrance 3 Aquitaine
Risque de modification du climat
Le climat est la clef de leur production et donc l'altération notable du climat est dans toutes les têtes sur le vignoble. Leur crainte se fonde aussi sur un précédent. Olivier Bernard rappelle les retours d’expérience de l’autre implantation sur la commune voisine de Cestas.
"A Cestas, il y a déjà 300 hectares de panneaux et il y a des couloirs d’air chaud qui montent de cet endroit l’été. La forêt a été installée aussi pour des raisons hydrauliques. Chaque pin pompe plusieurs mètres cube d’eau, on nous demande aussi de faire des bassins de rétention d’eau chez nous et là je n’ai pas vu de dossier de gestion de l’eau dans le projet. Les forêts par ailleurs nous épargnent lors des épisodes de grêle et ont aussi cette utilité."
C'est donc la modification de la couverture nuageuse et du régime des pluies, l'augmentation de la température locale, le risque de voir apparaître de nouveaux couloirs de grêle qui est à l'origine de la mobilisation des viticulteurs.
Et ils appuient ainsi leur démonstration : "Il reste que l'équilibre hydrique des sols, tributaire de la présence de la forêt plantée à l'origine pour assainir les terrains, faut-il le rappeler - ne manquerait pas de subir un infléchissement dommageable".
Quel avis scientifique ?
La question du choix du site est donc primordiale. Le spécialiste des arbres à l'INRA Bordeaux, Sylvain Delzon, encourage les panneaux photovoltaïques, mais il met en garde sur les sites choisis. "Les panneaux photovoltaïques, c’est une très bonne idée mais pas à la place d’une forêt ! Il en faut partout sauf dans un réservoir de biodiversité et de carbone. Il y a suffisamment de secteurs artificialisés, notamment à Cestas, il y a de nombreuses surfaces, des entrepôts usines, avec de grandes toitures à équiper."
Selon ce scientifique mondialement reconnu, la crainte des viticulteurs est fondée. "Déforester pour mettre du photovoltaïque, c’est une erreur majeure à double titre. Pour le stockage de carbone et pour la biodiversité. Cela aura un impact. Quel sera-t-il ? Je ne sais pas. Mais à l’évidence, le sol forestier stocke beaucoup de carbone, ( NDLR : 10 fois plus qu’un sol agricole) donc comparé avec le bilan carbone d’un parc photovoltaïque, ça ne tient pas au plan scientifique."
Pour autant, le porteur du projet, lui, avance un bilan très positif car le solaire apparait propre, comparé à la production d’énergie fossile.
Par ailleurs, Sylvain Delzon évoque l’albédo d’une forêt, c'est-à-dire le pouvoir réfléchissant d'une surface. Il est totalement différent de celui d’un parc photovoltaïque.
Il part d'une supposition. Le rayonnement des panneaux solaires qui vont réfléchir les rayons du soleil et les renvoyer dans l’atmosphère peuvent potentiellement avoir "un effet brutal sur le climat."
Difficile d'avoir un avis pour l'heure très tranché d'un point de vue scientifique sur ces conséquences. Le projet étant totalement inédit, personne ne semble avoir la réponse toute faite aux conséquences de ce déboisement massif.
Pour essayer d'y voir plus clair, et apporter éventuellement la contradiction aux arguments des viticulteurs, les porteurs du projet Horizeo, en l'occurrence Engie et Neoen, ont donc lancé une étude. Elle est confiée à l'équipe de Denis Lousteau, spécialiste des écosystèmes forestiers, à l'INRAE, institut de recherche public œuvrant pour un développement cohérent et durable de l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. Météo France fait aussi partie de l'étude.
Le projet de recherche s'appelle " IMPACT". Denis Lousteau a d'abord épluché les données existantes, mais ce n'est pas suffisamment concluant, même si... "Ce qu'on voit dans la littérature scientifique, c'est qu'il semble assez improbable qu'il y ait des effets significatifs de l'implantation de ce parc à la fois en termes de températures, de vent ou de précipitations. "
Néanmoins, sachant qu'il y a une incertitude à ce niveau-là, on a proposé à la région Aquitaine de mettre en place un projet sur trois ans pour mesurer et vérifier ces impacts-là et on va démarrer dès cet hiver un certain nombres de mesures sur le parc photovoltaïque, en forêt et sur le vignoble.
Denis Lousteau, spécialiste des écosystèmes forestiers à l'INRAEFrance 3 Aquitaine
Trois ans d'études, on arrive en 2024 et le projet doit démarrer, s'il est maintenu, en 2025/2026. Les délais sont donc très courts.
Les porteurs du projet veulent rassurer
Les porteurs du projet Horizeo sont surpris des inquiétudes des viticulteurs comme le rapporte Mathieu Le Grelle, porte-parole d'Horizeo. Surpris "eu égard aux constats qu'on peut faire sur des parcs solaires existants qui sont par exemple dans le Médoc ou le parc solaire de Cestas." nous a-t-il confié ce mardi 1er février. Le même qui inquiète justement les viticulteurs de Pessac-Léognan.
Aucun phénomène microclimatique n'a pu être constaté ni ne nous a été remonté des riverains à proximité immédiate de nos parcs.
Mathieu Le Grelle - porte-parole HorizeoFrance 3 Aquitaine
Mathieu Le Grelle confie que les études lancées par l'INRAE "devraient pouvoir rassurer, apporter un peu plus de rigueur scientifique sur d'éventuels phénomènes microclimatiques et rationnaliser la portée de ces inquiétudes " des professionnels de Pessac-Léognan. Le débat public lui est clos. Les suites à donner au projet Horizeo sont attendues d'ici juin par les opérateurs. Mais alors le travail des scientifiques sera toujours en cours.