De nombreux cas de refus d'accès aux chiens guides d'aveugle sont encore fréquemment relayés par leurs maîtres, dans les hôtels, les restaurants ou les taxis, et ce, malgré la loi. Témoignage de Pascale Olivar, malvoyante qui vit à Marcheprime en Gironde, et qui parcourt la France pour faire de la sensibilisation.
"Hors de question de vous recevoir avec votre chien !" Les personnes atteintes de déficience visuelle entendent encore malheureusement cette phrase trop fréquemment. Parmi elles, Pascale Olivar, 45 ans. Accompagnée par un chien guide depuis douze ans, elle ne sort jamais sans lui.
Réservation d'hôtel annulée
Le 1er avril dernier, elle a essuyé un refus dans un hôtel du centre-ville de Châtellerault, dans la Vienne. Un non catégorique. "Cela m'a franchement blessée. Ce n'est pas honnête de leur part, quand on parle par ailleurs d'inclusion. Cela l'a mis un coup au moral. J'ai dû annuler mon déplacement", raconte Pascale Olivar.
Cette Girondine est éducatrice pédagogique pour l'association Chiens guides Grand sud-ouest Aliénor-Bordeaux. À ce titre, elle parcourt la France pour intervenir dans les écoles, auprès des enfants et lors d'évènements caritatifs, pour défendre la cause malvoyants et des chiens guides d'aveugle.
Le 1er avril en question, Pascale Olivar était invitée par le Lions club de Châtellerault. Elle a effectué une réservation dans un hôtel via la plateforme en ligne Booking, en précisant, comme elle le fait toujours, qu'elle était malvoyante, et à ce titre accompagnée par son chien guide.
"J'ai reçu un mail de refus dans la seconde qui a suivi, un refus motivé par le règlement intérieur de l'hôtel qui interdit les animaux de compagnie ! J'ai expliqué que j'étais malvoyante, que j'avais une carte d'invalidité, et que je me déplaçais pour le travail. Et aussi, que mon chien était très bien élevé et très propre. Mais cela n'a servi à rien.
L'hôtelier a fait intervenir la plateforme de réservation qui m'a également signifié un refus catégorique", rapporte-t-elle.
J'ai hésité à porter plainte, mais j'ai renoncé, car cela peut desservir la cause. En revanche, j'ai signalé le refus d'accès de mon chien à l'association nationale des chiens guides d'aveugle qui a pris le relais.
Pascale Olivar, malvoyante et membre de l'association Alienor Bordeauxà France 3 Aquitaine Web
Ce n'est pas la première fois que Pascale et son chien sont refusés dans un lieu public. "Les taxis, n'en parlons pas, c'est l'enfer ! Ils nous passent devant le nez sans s'arrêter", déplore l'éducatrice, dépitée.
"Il y a un an et demi, un restaurant chinois de La Teste-de-Buch sur le bassin d'Arcachon, a refusé que je rentre avec mon chien. Les clients ont pris ma défense et un des membres du personnel est venu me dire finalement de m'asseoir dans un coin".
Le serveur m'a dit de m'asseoir dans un coin avec mon chien et de ne plus bouger ! Je n'ai pas trop apprécié car je suis une cliente comme les autres ! Alors, je suis partie.
Pascale Olivar, malvoyanteà France 3 Aquitaine Web
"Je n'en ai pas l'habitude, mais pour la première fois, j'ai relayé mon histoire sur les réseaux sociaux. Il y a eu beaucoup de commentaires. Du coup, le restaurant m'a rappelée pour m'inviter avec mes enfants."
Ce que dit la loi française
Depuis une loi de 1987, l'accès aux transports, aux lieux ouverts au public, ainsi qu'à ceux permettant une activité professionnelle, formatrice ou éducative est autorisé aux chiens guides d'aveugle ou d'assistance, accompagnant les personnes titulaires de la carte “mobilité inclusion”. Et l'accessibilité a été renforcée en 2005, dans le cadre de la Loi pour l'égalité des droits et des chances : le refus d'accès aux chiens guide d'aveugle accompagnant une personne en situation de handicap visuel peut valoir une amende de 150 à 450 euros.
Pour autant, des cas ont également été constatés dans les transports aériens. Récemment, Timothée Adolphe, sprinter paralympique, a dénoncé le refus de la compagnie aérienne EasyJet de lui réserver une place à bord d'un vol Paris-Toulouse avec son chien guide.
La compagnie aérienne a depuis expliqué que son service client avait commis une "erreur d'appréciation". Elle prévoit "des séances de travail spécifiques", pour sensibiliser ses équipes.
Des améliorations malgré tout
Stéphane Boutemy est le directeur de l'ANM Chiens guides, une association nationale qui intervient directement auprès des structures et des fédérations pour défendre la cause Cette association a été à l'origine de la loi de 1987 et travaille en partenariat avec la délégation ministérielle de l'accessibilité (DMA). Son directeur constate "qu'il y a malgré tout des améliorations, notamment à la RATP, à la SNCF et à Disneyland Paris, qui communiquent beaucoup sur le sujet."
L'association préfère désormais agir directement auprès de la structure qui a émis un refus. Il s'agit le plus souvent d'une méconnaissance de la loi, et parfois, de bêtise humaine. "Quand on intervient, on fait d'abord un rappel à la loi et cela suffit. Cela peut aller jusqu'au dépôt de plainte, mais il n'existe pas de jurisprudence pour les cas de refus d'accès des chiens guides, explique Stéphane Boutemy. Avant, les personnes portaient plainte pour discrimination. Aujourd'hui, il faut porter plainte pour refus d'accès du chien guide.
Depuis, le début de l'année, nous avons connaissance de quatre plaintes, notamment avec des taxis et des VTC", ajoute le responsable associatif.
Bientôt une application
En 2022, l'association ANM Chiens guides a recensé 93 incidents, des cas de refus signalés directement par les personnes concernées. "Chaque refus est vécu comme une humiliation", constate le directeur. "Nous sommes en discussion avec Uber et d'autres sociétés de taxis, et les compagnies aériennes pour progresser sur la formation des personnels pour limiter les cas de refus, surtout avec les JO 2024 qui se préparent à Paris".
En 2023, une application pour smartphone devrait voir le jour. Elle permettra d'avoir accès très facilement aux textes de loi en cas de refus d'une personne.
Par ailleurs, un logo universel pour les harnais des chiens guides a été créé pour identifier et prouver que l'animal est bien répertorié, comme un accompagnateur d'une personne en situation de handicap.
"Sans mon chien, je ne suis rien"
Méconnaissance de la loi, mais aussi des chiens, expliquent ces incidents, selon les associations. Les gens ne se rendent pas compte du rôle essentiel du chien guide. "On apprend à ses chiens à prendre des initiatives. Parfois, ils peuvent même désobéir si c'est pour le bien de son maître, pour le sauver d'une situation dangereuse par exemple", raconte Pascale.
J'ai beaucoup plus confiance en mon chien qu'en l'être humain.
Pascale Olivar, malvoyanteà France 3 Aquitaine web
"Sans mon chien, je ne suis rien. Suite à une maladie de la rétine, je perçois seulement la lumière du jour, mais je ne discerne que des tâches. J'ai également perdu la vision des couleurs donc je vois en noir et blanc. Je me déplace rarement avec une canne blanche. Avec le chien, je suis beaucoup en sécurité. Il est éduqué pour identifier les risques pour son maître", poursuit l'éducatrice pédagogique, qui rappelle que son chien n'a jamais causé aucun désordre.
Quand je suis dans un hôtel, mon chien a son tapis et il est brossé tous les jours. Aucun problème avec lui. Les chiens guides d'aveugle sont très bien éduqués.
Pascale Olivar, malvoyanteFrance 3 Aquitaine web
Ces douze dernières années, Pascale Olivar, qui sort tous les jours avec son "labradoodle", baptisé Loustic, dit avoir essuyé une dizaine de refus d'accès. "Je ne veux pas dissuader les malvoyants de prendre un chien guide, car c'est formidable et c'est une aide irremplaçable en extérieur pour se déplacer. Mais c'est vrai que cela arrive".
Marches solidaires
Pascale Olivar organise par ailleurs des marches solidaires pour récolter des fonds, afin d'offrir un chien guide à une personne malvoyante. La prochaine marche solidaire aura lieu dans le quartier Saint-Augustin de Bordeaux le 23 mai prochain.
Un chien guide d'aveugle coûte 25 000 euros. L'association Aliénor-Bordeaux prend en charge l'animal de sa naissance à ses deux ans. Puis, le chien revient à 200 euros par mois durant dix ans.