Manifestation des jeunes contre le racisme : une mobilisation inédite à Bordeaux qui poursuit son travail de mémoire

Ils étaient environ 3500 mercredi à marcher dans les rues de Bordeaux pour dénoncer le racisme et les violences policières. Un rassemblement organisé par quelques collégiens qui a pris une ampleur inespérée. La ville de Bordeaux pour sa part poursuit son travail de mémoire sur son passé négrier.
 

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"Nous n'essayons de copier aucune manifestation" écrivent d'emblée les jeunes organisateurs sur la page Instagram qu'ils ont créée pour l'occasion. Ils expliquent vouloir sensibiliser au racisme ordinaire, "unir des jeunes comme nous(...)qui ont envie de se battre contre les injustices des abus policiers".

 

 

Rendez-vous a donc été donné mercredi à 15 heures place Pey-Berland à Bordeaux, devant l'hôtel de ville. Pour un rassemblement pacifique. "Le message sera bien plus fort si le rassemblement se fait dans un message de paix et de désir de justice". 

L'appel au calme est clairement mis en avant : "pas de casse, pas de bagarre, d'altercation violente ou encore de message haineux".
 

Des milliers de jeunes répondent à l'appel

 

A la surprise générale, ce ne sont pas quelques dizaines, ni même quelques centaines de jeunes qui se retrouvent ensemble place Pey-Berland mais plusieurs milliers.

Le clap 33, collectif contre les abus policiers, ne s'attendait pas à un tel succès. Myriam Eckert, elle-même victime de violences et militante au sein du collectif, se réjouit d'une telle mobilisation de la part de la jeune génération.

"Au départ ce sont cinq jeunes collégiens, même pas lycéens, qui ont eu envie de se mobiliser et ils ont contacté le clap pour un petit coup de main en terme d'organisation" explique t-elle tout en reconnaissant être surprise par l'ampleur du mouvement.

"Regardez ça ! Ca n'arrête pas ! C'est un flot continue de jeunesse" dit-elle dans une vidéo postée par "Bordeaux en luttes", le mouvement du candidat aux municipales Philippe Poutou, alors que le cortège passe derrière elle place de la Comédie.

L'ancien syndicaliste de chez Ford Blanquefort et candidat NPA à la présidentielle de 2017 évoque "un grand moment".

"C'est surprenant, il n'y a aucune organisation derrière, seulement les réseaux sociaux, ça montre qu'il y a une prise de conscience" se réjouit-il, "une volonté de se prendre en main sur la question du racisme et des violences policières. Il y a de l'espoir qui va naître de ça, de cette capacité à s'opposer à ce qu'il se passe et d'essayer de changer la donne".

 

Des Tags anti - policiers sur le commissariat

 

Les jeunes, masqués pour la plupart dans le respect des mesures sanitaires, crient "Pas de justice, pas de paix", "Justice pour Adama"ou encore "Police raciste, Etat complice" quand certains arrivent devant le commissariat central comme le montre cette vidéo postée par AB7 media (un média qui se présente comme "indépendant (autonome, dispose de sa liberté d'action) et militant (lutte pour une cause, une opinion)").

Ce même média a mis en ligne un montage de 5 minutes sur sa page Youtube montrant les moments forts du rassemblement.

 

Ce jeudi, au lendemain de la manifestation, l'inscription "Police raciste, Etat complice" est retrouvée sur l'un des murs de l'hôtel de police.

Le syndicat policier Alternative 33 dénonce des "aboyeurs de toutes parts qui veulent laisser penser que les policiers seraient racistes et violents". Il se dit "profondément choqué devant un tel déferlement de haine anti-flic".


La ville de Bordeaux veut souligner son travail de mémoire sur son passé négrier

 

Alors que les voix anti-racistes se font de plus en plus fortes, à travers des manifestations mais aussi des actes symboliques forts comme le déboulonnement de statues à l'image de qu'il s'est passé à Bristol en Angleterre, la ville de Bordeaux veut se montrer transparente quand à son lourd passé négrier.

Cette semaine, cinq nouvelles plaques explicatives ont été posées dans les rues portant les noms d'anciens acteurs de ce commerce d'esclaves. 

Voici des extraits de ce que l'on peut y lire :

- Rue (Pierre et Paul) Desse :  

Pierre Desse (1760-1839), marin bordelais, a été capitaine de quatre expéditions négrières entre 1789 et 1818 et s’est aussi illustré comme capitaine corsaire. Il connut la gloire pour avoir sauvé 92 hommes d’un navire hollandais en perdition (le Colombus). La Chambre de commerce de Bordeaux fait frapper en 1823 une médaille en son honneur. 

- Passage Feger :

Il s’agirait des Feger-Latour. Entre 1742 et 1783, ils ont expédié 6 navires pour la traite sur 121 armements coloniaux. C’est dans les années 1770 que des Feger-Latour sont associés aux diverses facettes du négoce transatlantique et caribéen dont la traite des Noirs. Les membres de la famille font partie des notables de la ville et sont membres de la Chambre de commerce de Guyenne. 

- Rue David Gradis :

La firme David Gradis et Cie a armé 221 navires pour les colonies de 1718 à 1789 dont 10 pour la traite des Noirs. La firme gérée par la même famille depuis l’origine se maintint jusqu’au XXe siècle. 

- Rue Gramont :

Jacques-Barthélemy Gramont (1746-1816) a financé 3 expéditions de traite : une en 1783 et deux autres en 1803. Il devient consul de la Bourse de Bordeaux en 1784. Il est conseiller général de Gironde entre 1800 et 1807, président de la Chambre de commerce de Bordeaux de 1806 à 1809. Il est nommé adjoint au maire de Bordeaux en 1806 puis maire pendant les Cent Jours le 2 mai 1815. Il est l’un des cinq négociants qui font partie de la commission de neuf membres qui représente Bordeaux auprès de Napoléon Bonaparte lors du débat sur le rétablissement de la traite des Noirs en 1801-1802 dont le rapport plaide en faveur de la « liberté de commerce » et donc de la traite. 

- Place Mareilhac :

Jean-Baptiste Mareilhac (1756-1838) a été maire de Bordeaux en 1796 et conseiller général de 1800 à 1807. Ce riche armateur était membre de la Chambre de Commerce et délégué du Conseil de commerce de Bordeaux. Mareilhac a investi dans le système de production et d’échanges transatlantique. Il est désigné comme l’un des neuf délégués du Conseil du commerce de Bordeaux devant rédiger un rapport en réponse à l’enquête lancée par le gouvernement à propos du devenir de la loi contre l’esclavage en 1801-1802. Il s’associe le 15 février 1802 à ses conclusions favorables à son rétablissement outre-mer. Il aurait organisé une expédition négrière en 1792. 

 

 

Une campagne d'affichage cet été contre la discrimination raciale

 

Après les plaques, le maire Nicolas Florian, candidat allié au LREM Thomas Cazenave pour le second tour, a décidé de réexposer l'événement proposé l'an dernier dans le cadre de la journée mondiale pour l’élimination de la discrimination raciale.

"Elle met à l'honneur différents portraits de citoyens, porteurs d’un message de promotion de l’égalité dans la diversité et le vivre ensemble " explique la municipalité.

Les portraits seront affichés à partir du 17 juin sur les quais.

Aujourd'hui, à moins de 20 jours du second tour des municipales, ce sujet très fort d'actualité autour du racisme et du souvenir s'invite résolument dans la campagne électorale.

Ainsi le candidat écologiste Pierre Hurmic a lui aussi tenu à exprimer sa position. "Je souhaite faire appliquer une politique municipale ambitieuse sur ces sujets d'égalité et sur la prise en compte de l'histoire de notre ville" écrit-il dans un communiqué où il détaille les mesures que son équipe compte mettre en oeuvre.

Par ailleurs, des personnalités renommées de la gauche ou extrême gauche bordelaise viennent de publier un ouvrage intitulé "le guide du Bordeaux colonial" aux éditions Syllepse. Le livre nous mène dans les 28 communes de l'agglomération où des noms de voie publique honorent "ceux qui ont contribué à la construction de la France coloniale". 

L'ouvrage vient en complément de l'émission hebdomadaire du même nom diffusée chaque mercredi après-midi sur la Clé des Ondes.

Il faut rappeler que Bordeaux fut le premier port colonial et troisième port négrier de France entre le 17ème et le 19ème siècle.

Ce n'est qu'en 2006 qu'elle a commencé à se pencher ouvertement sur ce passé peu glorieux avec la pose de plaques commémoratives, puis en 2009 l'installation d'une exposition permanente dédiée à l'esclavage et à la traite négrière au Musée d'Aquitaine.

En 2019, une statue à l’effigie de Modeste Testas, esclave déportée à Saint-Domingue par des Bordelais, a été inaugurée sur la rive gauche le long de la Garonne.

 

 

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