"On est en burn out ferroviaire", du Médoc à Bordeaux, la colère des usagers du TER 42

Annulations, retards, les usagers du TER 42 sont à bout. Depuis deux mois, impossible pour eux de savoir s’ils pourront prendre leur train. Entre covoiturage et horaires aménagés, ils alertent les pouvoirs publics sur leur quotidien déstructuré.

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Frédérique Couvidou est en gare de Pessac. Comme chaque jour, elle attend son train pour rentrer chez elle. Un coup d’œil au panneau d’affichage. Son train est bien prévu dans quelques minutes. Puis, il disparaît soudainement. Pas d’explication en gare, l’usagère du TER 42 doit trouver une autre solution, ou patienter près d’une heure pour grimper dans un autre train.

"Il ne faut surtout pas dire qu’on prend le train"

Cette ligne TER 42 est connue dans toute la Gironde. “Dans les entreprises, il ne faut surtout pas dire qu’on habite dans le Médoc et qu’on prend le train, sinon on n’aura pas le travail”, sourit ironiquement Frédérique. Cette ligne, elle la prend depuis sept ans. “Nous avons toujours eu des problèmes, mais depuis quelques mois, c'est devenu un enfer.” 

Ces dysfonctionnements, Frédérique Couvidou est loin d’être la seule à les subir. “Nous sommes près de 300 au sein de l’association Mobilités Parempuyre Médoc”, explique celle qui en est devenue la porte-parole. Sur le groupe Facebook, les usagers deviennent des informateurs du trafic. “Nouvelle annulation pour ce soir”, “attention une nouvelle grève est prévue demain”. Une pétition est ouverte depuis plusieurs mois désormais. Elle rassemble plus de 280 signatures.

Il y a des perturbations au moins deux fois par semaine. Les raisons sont multiples : des grèves, un manque de matériel ou de personnel, des obstructions des voies…

Frédérique Couvidou

porte-parole de l'association Mobilités Parempuyre Médoc

Parmi ces usagers, Aurélie, enseignante à Pauillac, qui habite à Parempuyre. “Nous sommes une dizaine de professeurs à prendre tous les jours le train”. Et tous les jours, il faut faire preuve d’adaptation. “On fait du covoiturage quand on le sait à l’avance. Sinon, on est en retard, les élèves sont dans la cour. On doit rattraper notre heure de cours à un autre moment, sans totalement perturber le planning de l’établissement”, souffle-t-elle, épuisée.

Car quand les rames, notamment aux heures de pointe, fonctionnent, elles sont "bondées". "Parfois on nous refuse l'accès, parce qu'il y a déjà trop de monde", explique Frédérique Couvidou.

"Ça peut être retiré de ma paie”

L'enseignante, se dit chanceuse d’avoir un employeur compréhensif. Ce qui n’est pas le cas des ouvriers agricoles ou des postes en administration. Ni des élèves "qui ont plus de mal à être crus en cas de retard”, ajoute Aurélie. “Quand je suis retard, selon la situation, ça peut être retiré de ma paie”, explique Sylvie Bernos.

La gymnastique s’opère aussi le soir, “lorsqu’il faut récupérer nos propres enfants avec 45 minutes de retard et autant de dépenses supplémentaires pour ceux qui paient des nounous ou des assistantes maternelles”, glisse Aurélie. 

Enclavés, isolés, ces usagers sont “en dépression, en burn out des transports”, selon Frédérique Couvidou. “J’angoisse dès que j’ai un rendez-vous médical sur Bordeaux”, confirme Jessica. “Je n’ai pas le permis, sans le train, ma seule solution est mon conjoint lorsqu’il sort du travail”.

Une ligne accidentogène

Le dossier est bien connu au sein de la SNCF. "C'est une voie près du littoral, bordée par des forêts qui ne nous appartiennent pas forcément. Elle est donc particulièrement accidentogène. On traite avec la même attention toutes nos lignes, mais cette ligne nécessite ainsi une exploitation plus complexe", détaille Cyril Chanu, directeur territorial de SNCF Mobilités.

Selon ce dernier, les annulations de dernière minute sont généralement "des accidents sur la ligne, impossibles à prévoir". "Pour les autres annulations, l'application SNCF Connect permet de recevoir des alertes pour les trains que l'on a paramétrés. Cela évite de se rendre en gare pour rien", ajoute Cyril Chanu.

En attente de remboursement

En ce mois de novembre est sorti le nouvel abonnement TBM +, qui combine abonnement TBM et TER pour 45 € par mois, soit dix euros de plus qu’auparavant. Mais de nombreux usagers songent à le rendre. “On a fait ce choix des transports en commun parce que c’est plus économique, mais avec ces problèmes, quand on prend la voiture, c’est un coût supplémentaire”, indique Sylvie Bernos, une autre usagère. 

Pourtant, certains usagers ont contracté la garantie fiabilité. “Elle nous permet d’être remboursés en cas de retard des trains, mais on a beau envoyer des réclamations, on n’est jamais remboursés”, lâche Aurélie, dépitée.

"Ce dispositif, gratuit, s'applique pour les abonnements annuels seulement. Lorsqu'une certain nombre de perturbations est recensé, la SNCF rembourse une partie de l'abonnement. Il faut pour cela définir les trains concernés", rétorque la SNCF Mobilités. 

Des centaines d'arbres sur les voies

Dans le Médoc, l’association Mobilités Parempuyre Médoc a alerté les maires des communes concernées pour obtenir des avancées. “Nous n’avons, à ce jour, reçu aucune réponse”, déplore Frédérique Couvidou.

La région Nouvelle-Aquitaine, qui gère les contrats avec la SNCF se dit, elle aussi, désemparée face à la situation. “Depuis les dernières tempêtes, nous avons un taux de régularité de 85 %. C’est très bas et c’est inédit”, indique Renaud Lagrave, vice-président du Conseil régional, en charge des transports. Cinquante-deux rames de TER seraient concernées par des problèmes de matériel dans la région. "On avait fait un très bon début d'année avec des taux de régularité de 94%", rappelle pourtant le directeur territorial de SNCF Mobilités.  

Tout a dégringolé en juillet avec les fortes chaleurs de l'été, puis fin octobre, avec les trois tempêtes.

Cyril Chanu

Directeur territorial de SNCF Mobilités

Au total, en trois semaines, 113 chocs ont été recensés, liés aux intempéries et aux glissements de terrain. Des perturbations qui s'ajoutent, selon le service, aux "nombreux heurts avec des animaux".

"Plusieurs centaines d'arbres ont obstrué les voies. Quatre jours ont été nécessaires pour la remettre en l'état", indique Cyril Chanu. "Les rames, qui ne circulent pas que sur cette ligne, ont aussi été touchées : une centaine de chocs avec la végétation ont été recensés. Nous avons eu jusqu'à 50 rames arrêtées simultanément sur le réseau aquitain." 

Depuis un mois, le technicentre en charge des réparations travaille en trois-huit pour remettre les rames en état. Leur travail devrait être achevé d'ici à deux semaines.

"Rien ne bouge"

La configuration de la ligne, en voie unique, favorise ces dysfonctionnements. "Avec une quarantaine de trains qui circulent chaque jour, lorsqu'il y a un problème, les difficultés de circulation se répercutent dans les deux sens, du fait de cette voie unique", regrette Cyril Chanu.

Mobilisée aux côtés des usagers, la Région explique multiplier les courriers à la SNCF. “Nous payons 80 millions d’euros par an de péages pour que les trains circulent dans la région. Le réseau est pourtant toujours aussi vétuste", constate Renaud Lagrave.

S’il n’y a pas d’avancées, nous envisageons de ne plus payer.

Renaud Lagrave

vice-président en charge des transports à la région Nouvelle-Aquitaine

Plus petite ligne TER

La ligne TER 42 est la plus petite ligne en fréquentation du réseau aquitain. Ses usagers se sentent délaissés au profit d’autres lignes. Pourtant, le Médoc attire chaque année de plus en plus d’habitants. “Ils optent pour la voiture, parce qu’ils n’ont pas confiance dans le train. C’est le serpent qui se mord la queue. Si les trains étaient plus fiables, la ligne serait forcément plus fréquentée”, indique une jeune usagère, qui emprunte la ligne depuis une dizaine d’années.

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