Pénurie de logements pour les saisonniers : "Si je n’ai pas un bon lit, je n’accepte même pas le poste"

Chaque année, la problématique du recrutement des saisonniers se fait de plus en plus forte. Le manque de logement se fait ressentir et les prix grimpent. Pour faire face à la problématique qui met en péril l'activité touristique, primordiale dans le sud ouest, collectivités et employeurs se saisissent de la question. Mais il y a fort à faire.

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En plein centre de Sarlat, en Dordogne, Genesio Pity profite d’une superbe vue sur la vieille ville : "Voilà le décor que j’ai ! Comment ne pas accepter un travail dans ces conditions ?"
Hébergé gratuitement par son employeur, le saisonnier travaille dans un restaurant à deux pas de son logement. Une pratique de moins en moins rare. Depuis quelques années, le secteur du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration, peine à trouver de la main d’œuvre pour faire les saisons. Et les difficultés de logement n’y sont pas étrangères. 

À l’initiative des collectivités ou des employeurs, de plus en plus de solutions voient le jour afin de rendre les emplois saisonniers plus attractifs. Mais de nombreux travailleurs peinent à se loger, d’autant plus dans de bonnes conditions. Un véritable frein à l’emploi dont risque de pâtir le tourisme, une des activités économiques principales en Nouvelle-Aquitaine comme dans le reste de la France.

Des difficultés accrues depuis quelques années

Forte de ses atouts naturels variés, la Nouvelle-Aquitaine attire chaque année de nombreux touristes. Une activité économique déterminante pour la région, notamment en saison estivale. Une période où, du fait de l’afflux touristique, les entreprises ont plus que jamais besoin de travailleurs saisonniers. Tous les ans, dans la région, ce sont plus de 200 000 emplois saisonniers qui sont pourvus par 152 000 salariés, sans compter les 191 000 contrats saisonniers intérimaires, d'après les données de l’Insee.

Parmi ces saisonniers, un tiers n’habite pas à proximité de son lieu de travail. Trouver un logement durant la période estivale, pris d’assaut par les touristes, devient alors un véritable défi.
"Cela fait plus de 15 ans que l’on alerte sur ce sujet, on sillonne les côtes tous les ans pour sensibiliser et discuter. La situation est telle que l’an dernier sur la côte basque, certains restaurants n’ouvraient pas, par manque de personnel", pointe Michel Larralde, de la Cfdt Pays basque. Cette pénurie fait réfléchir les employeurs ainsi que les élus et les pousse à agir.

"La problématique de l’hébergement des saisonniers existe sur l’ensemble de la région, sur le littoral comme à l’intérieur des terres, assure Michel Durrieu, conseiller régional en charge du tourisme. Sur le littoral, il y a une capacité de logement mais c’est très, très cher et ailleurs il n’y a pas assez de logements." La région Nouvelle-Aquitaine vient de dévoiler son plan - issu d’une politique nationale sur le tourisme - pour répondre à la problématique : un appel à projet accompagné de 1,5 million d’euros pour subventionner 300 lits à destination des travailleurs saisonniers d’ici 2024.

Quand tu passes devant les agences et que les loyers sont de 800, 900 euros par mois, sans compter les courses qui augmentent avec l'inflation, l'essence que je paye pour traverser la France... Le calcul est vite fait. Si tu es saisonnier et que tu n'es pas logé, tu ne rentres pas dans tes frais.

Anaïs, saisonnière

France info

Car depuis l’arrivée des plateformes de location immobilière, la location mensuelle n’est plus tellement attractive, louer à la semaine devient beaucoup plus rentable. Et avec l’augmentation de l’offre de logements touristiques, vient celle de la demande de main d’œuvre saisonnière. Un cercle vicieux qui tire les prix à la hausse, notamment sur le littoral et qui peine à être endigué. "C’est déterminant pour moi d’être logé, car on peut laisser dans notre logement un quart, voire la moitié de notre salaire", témoigne Genesio Pity.

Un critère désormais essentiel pour attirer les saisonniers

Face à ces difficultés de logement les saisonniers sont poussés à trouver où se loger quelles que soit les conditions. Parfois, celles-ci sont plus que limite. "En tant que syndicat, on a vu des gens logés dans des conditions déplorables, des remises que les employés faisaient payer aux saisonniers", dénonce Michel Larralde. Un problème dont à conscience le conseil régional qui indique s’en saisir.

Mais si la problématique du logement des travailleurs saisonniers est présente partout en France depuis de nombreuses années, depuis la pandémie de Covid-19 a marqué un tournant. Avec une longue inactivité touristique, beaucoup de saisonniers se sont questionné et ont fini par se reconvertir en se rendant compte qu’il était possible d’obtenir un salaire similaire avec de meilleures conditions et des horaires plus communes, des week-ends.

Les restaurateurs se plaignent de ne pas avoir de personnel. Mais il manque tellement de saisonniers, que ces derniers ont le choix. S'il n'y a rien pour les accueillir, ils choisissent autre chose. Le salaire non plus, n’est pas forcément à la hauteur, même si c’est en train de changer.

Michel Larralde, Cfdt Pays Basque

"Certains métiers récoltent aussi un petit peu ce qu’ils ont semé, considère le représentant de la Cfdt Michel Larralde. Ils ont mal payé, ont laissé leurs saisonniers dans des conditions très difficiles pour le logement, etc. Depuis le Covid, les gens ne veulent plus vraiment faire ça tant que ce n’est pas plus attractif. Si les employeurs ne s’en donnent pas les moyens, cela va être très difficile."

En témoigne le taux de démission des CDI dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Avec 31 % en 2022, c'est le plus fort taux de démission, loin devant tous les autres secteurs, selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Si certains commencent à en prendre la mesure, pour le syndicaliste, beaucoup d’employeurs se plaignent de ne pas trouver de main d’œuvre sans pour autant faire d’effort.

Ce manque de personnel, qui plus est qualifié, a permis aux saisonniers d’être plus exigeants sur leurs conditions. Depuis la pandémie, les salaires augmentent et les annonces de job saisonniers logés sont de plus en plus fréquentes. Jusqu’à devenir une condition pratiquement obligatoire. "Si je n’ai pas un bon lit où on peut dormir convenablement, je n’accepte même pas le poste", avoue Genesio Pity.

Démuni face à la pénurie de saisonniers, son patron Franck Mathieu, restaurateur à Sarlat, haut-lieu du tourisme dans le Périgord, a alors entrepris de gros travaux afin d’offrir un logement à ses salariés saisonniers.

On a fait plusieurs chambres avec salle de bain. Les gens restent et reviennent. C’est grâce à cela qu’on a du personnel.

Franck Mathieu, restaurateur à Sarlat en Dordogne

France 3 Périgord

15 euros par mois

À Montignac-Lascaux, en Dordogne, la société Semitour, qui dépend du conseil départemental et gère le site de Lascaux, vient de racheter des gîtes pouvant héberger 25 personnes d’ici quelques années. Elle demandera une contribution mensuelle de 15 euros par saisonnier, seulement.

Un investissement nécessaire pour le directeur général, André Barbé : "Un saisonnier qui ne trouve pas de logement, je ne vais pas le mettre dans un camping. Quand il aura passé une semaine sous la pluie, il n’aura pas envie de rester sur le territoire. Donc il faut trouver des solutions. Répondre à ce besoin, c’est juste faire sa part."

Les collectivités locales se saisissent également de la question

Mais toutes les entreprises ne peuvent pas se le permettre. À Lège-Cap Ferret, cette commune littorale très fréquentée en Gironde, les difficultés sont telles que la municipalité a également décidé d’agir.

Elle a réinvesti un camping fermé depuis 2002, depuis que le terrain est classé zone naturelle sensible. Il est inconstructible, mais la mairie a obtenu une dérogation de l’État pour en faire une aire d’hébergement des saisonniers. Entre 120 et 130 saisonniers vont pouvoir être logés contre une participation de 300 euros pour une tente et 350 euros pour un camping-car, des prix "raisonnables" pour un des sites les plus prisés de la côte. 

"Ce n’est pas une opération sur laquelle la collectivité fait du bénéfice, explique l’adjoint à la mairie de Lège-Cap Ferret, Gabriel Marly. Le coût de l’implantation, du gardiennage 24h/24 et 7j/7, de l’entretien et de la mise en place est supérieur au revenu des locations."

La municipalité y gagne tout même pour le maintien de son activité touristique. Sur le marché de la ville, le charcutier Marc Joubert a renouvelé sa demande cette année. "C’était pas mal l’an dernier sinon mon saisonnier ne pouvait pas faire la saison. Il habitait à Paris, il ne connaissait personne donc c’était ça ou rien." 

Faute de mieux, ce type de projet reste indispensable pour répondre à la demande dans les zones les plus tendues. Pour la mairie de Lège-Cap Ferret, ce camping est la meilleure alternative possible. "La solution de facilité, c’était de préempter des terrains et de les donner à un bailleur social, mais on ne maîtrise rien", reprend Gabriel Marly.

Une problématique qui en cache d'autres

Pour le syndicaliste Michel Larralde, de la Cfdt du Pays Basque, ce n’est effectivement pas si simple de construire des logements qui soient réservés aux saisonniers. "Il y a des freins car quand on réserve des logements uniquement pour les saisonniers, le taux d’occupation n’est pas forcément bon toute l’année", déplore le représentant syndical.
Mais selon lui, il y a moyen de réfléchir collectivement pour mettre en place des solutions innovantes. Il en veut pour preuve un projet qui devrait prochainement naître à Anglet. "L’été, il sera réservé aux saisonniers et le reste du temps, les logements seront accessibles aux gens en formation, en stage ou en alternance", explique-t-il. 

Il y a aussi des hébergements saisonniers inadaptés, parfois même indécents et souvent éloignés du lieu de travail. Ce qui amène une autre problématique : celle du transport.

Michel Durrieu, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine chargé du tourisme

Pour aller dans ce sens, l’appel à projet du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine mise sur un financement tripartite entre collectivités, employeurs et saisonniers, en limitant à 12 euros par nuit la part du travailleur. "Cela commence par un diagnostic de la situation notamment la capacité des Crous et des internats de lycée qui peuvent servir. Mais c’est compliqué, car la saison estivale est aussi celle où les établissements en profitent pour faire des travaux", constate le conseiller régional en charge du tourisme, Michel Durrieu.

Si les logements collectifs ne sont pas forcément des plus confortables, pour l’élu, cela ne pose pas vraiment de soucis. "Si celui-ci est adapté et dans de bonnes conditions sanitaires, il y a beaucoup de jeunes pour qui ça ne pose pas de problème d’être 4 dans un dortoir pendant 1 ou 2 mois", affirme-t-il.

Il voit même un fort avantage dans le logement collectif en réponse à une autre problématique en lien direct avec le manque de solution d’hébergement proche des endroits touristiques : le transport. "De plus en plus de jeunes n’ont pas le permis. À partir de 10 saisonniers, on peut mettre en place une solution de transport", ajoute Michel Durrieu. Une difficulté renforcée par les horaires décalées des travailleurs de l’hôtellerie et de la restauration, qui terminent souvent leurs services à l’heure où les transports en commun ne sont plus en circulation. 

Au vu des situations très disparates d’un territoire à l’autre, à la Cfdt Michel Larralde estime que ces initiatives doivent avant tout être réfléchies au niveau local pour obtenir la réponse la plus adaptée possible. "Ce n’est pas parce que la région ou l’Etat va décréter quelque chose que cela va changer, il faut que cela se règle au plus près des territoires, au cas par cas", martèle-t-il.

Le représentant syndical appelle les élus locaux et les entreprises à se saisir du sujet urgemment : "Il y a un décalage entre discours et actions. Cela fait des années que tout le monde en parle et personne ne fait rien !" En Nouvelle-Aquitaine comme presque partout en France, selon les chiffres de la Région, entre 10 et 20 % des saisonniers peinent toujours à trouver un hébergement pour venir travailler.  

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