Santé publique France et l'Agence nationale de sécurité sanitaire lancent une étude nationale sur l'exposition aux pesticides des riverains des zones viticoles. En Gironde, le projet remporte l'adhésion des associations de défense de l'environnement, mais rencontre l'opposition d'une partie des professionnels du vin.
C'est en Haute-Gironde que la question de l'exposition des riverains aux pesticides a émergé. En 2014, une vingtaine d'élèves d'une école de Villeneuve et une institutrice sont soudainement pris de malaises. En cause : les pesticides, épandus dans les vignes qui encerclaient l'école.
Six ans plus tard, deux châteaux de la commune étaient condamnés par la cour d'appel de Bordeaux, reconnus coupables de ne pas avoir respecté les règles qui encadrent l'utilisation de produits phytosanitaires, permettant sinon d'éviter, de limiter leur propagation en dehors des parcelles.
Une première étude à l'échelle de la France hexagonale
A l'époque, l'affaire avait eu un écho national. Et partout en France, les riverains des zones viticoles se sont interrogés. Etaient-ils réellement plus exposés que les autres aux pesticides ? Cette question, en suspens depuis plusieurs années, faute de données scientifiques sur le sujet devrait enfin trouver une réponse.
Lancée par Santé publique France et l'Agence nationale de sécurité sanitaire, l'étude PestiRiv' se penche sur l'exposition aux pesticides des personnes vivant en zone viticole.
En 2019, une première phase test a permis de mettre en place un protocole. Dès ce mois d'octobre, l'étude portera sur 3 350 enfants et adultes, tirés au sort; dont 500 ménages en Aquitaine. Leur exposition aux pesticides et celle de leur environnement sera mesurée jusqu'en août 2022. Les participants devront également répondre à des questionnaires afin d'identifier les sources de leur éventuelle exposition aux pesticides.
"Des enquêteurs participeront à des prélèvements biologiques, d'urines et de cheveux sur les participants, mais aussi sur les poussières de leur domicile, l'air ambiant dans leur habitation et à proximité; ainsi que pour ceux qui en ont, les fruits et leurs légumes de leur potager", explique Sébastien Denys, Directeur Santé environnement et travail à Santé publique France.
L'étude se concentrera à la fois sur les populations dites exposées, localisées à moins de 500 mètres d'une parcelle de vigne et à plus d'un kilomètre de toute autre culture agricole, mais aussi sur celles considérées comme moins exposées, habitant à plus de cinq kilomètres de toute parcelle de vigne.
On s'est rendu compte que dans la littérature scientifique; on n'avait très peu de données concernant l'exposition objective de populations riveraines de différents types de culture. L'intérêt de PestiRiv', c'est qu'on a une étude innovante qui va permettre d'apporter des informations, à la fois sur l'imprégnation biologique des populations, et sur la contamination de leur environnement.
Sébastien Denys, Directeur Santé environnement et travail à Santé publique FranceFrance 3 Aquitaine
"Cette étude va permettre d'enrichir le corpus de connaissances sur les pesticides, se réjouit Cyril Giraud, le relais en Gironde de Générations Futures. L'association de défense de l'environnement, qui a toujours milité pour une agriculture durable et contre les pesticides et engrais de synthèse, était notamment partie civile dans l'action intentée contre les deux exploitants de Villeneuve.
Pour le militant girondin, l'étude, "qui aurait pu être lancée plus tôt", devrait confirmer certains soupçons que l'association n'a pas les moyens d'étayer scientifiquement. "On se doute bien que certaines molécules sont volatiles et voyagent plus que d'autres", lance-t-il.
Dans son bilan annuel 2018, l'observatoire régional de la qualité de l'air (Atmo) relevait des traces de folpel, un fongicide utilisé dans la lutte contre le mildiou dans les vignes, dans l'air de Bordeaux, à plusieurs dizaines de kilomètres des vignes.
Quand on voit que des personnes s'installent encore dans des belles maisons au milieu des vignes en pensant être plus à l'abri de la pollution! Cette étude pourra permettre à certains de sortir du déni ou de la méconnaissance.
Cyril Giraud, Générations FuturesFrance 3 Aquitaine
Un sujet sensible en Gironde
La Gironde, premier département viticole français compte plus de 115 000 hectares de vignes. Et le département est régulièrement en tête du classement des achats de produits phytosanitaires. Et si l'étude satisfait les associations, les acteurs économiques, eux, se refusent à y prendre part. Le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), contacté par France 3 Aquitaine a refusé de s'exprimer sur le sujet. Mais le 1er octobre, son président Bernard Farges a adressé un courrier à la préfète de la Gironde et de Nouvelle-Aquitaine Fabienne Buccio, dans lequel il s'inquiète "de la politique de diffusion des résultats à venir".
"Nous avons été avertis par nos instances nationales de la disparité de la localisation des échantillons, avec plus de la moitié de l'étude qui se déroulerait en Gironde", écrit le président du CIVB, qui précise avoir constaté "que les résultats de telles études sont rarement tranchés et toujours à considérer avec le recul nécessaire".
Nous considérons que ce focus sur le vignoble bordelais constitue un biais majeur dans le protocole de PestiRiv'. (…) Nous ne sommes pas convaincus que l'ANSES et Santé publique France, une fois le travail d'analyse et de diffusion réalisé, feront l'effort de pédagogie et de contradiction nécessaire pour éviter des conclusions hâtives et faisant fi de toute rigueur scientifique.
Bernard Farges, président du CIVBLettre à la préfète Fabienne Buccio
Dans sa conclusion, le président du CIVB indique que le comité n'accompagnera pas la démarche "ni auprès des entreprises viticoles girondines, ni auprès des maires des communes concernées". Et ne se rendra pas à une réunion planifiée sur le sujet, programmée le 10 novembre.
Une position du représentant des professionnels du vin qui n'étonne aucunement les militants, et défenseurs de l'environnement. "Monsieur Farges, qui s'interroge, au nom des viticulteurs, sur les risques qu'il y aurait à ce que les résultats scientifiques d'une étude soient communiqués… Mais où habitons-nous ? Depuis quand les entreprises privées peuvent dicter à la science ce qu'elle doit faire ?", s'étrangle Sylvie Nony.
Représentante d'Alerte pesticides en Haute Gironde, cette dernière attend désormais que des "mesures de protection de la santé publique immédiate soient prises."
Un objectif partagé : le but de l'étude est d'identifier des sources d'exposition, pour ensuite préconiser des mesures de prévention pour protéger la population précise Santé publique France. Les résultats ne devraient pas être connus avant 2024.