Entre explosion de la demande, hausse des prix et arrivée en force d’acheteurs étrangers, les professionnels du secteur craignent pour leur avenir.
C’était il y a un mois à Bordeaux. Au cours d’une vente organisée par l’Office National des Forêts (ONF), un acheteur lituanien de la société UAB Forestus, engagé par un industriel chinois, passait à deux doigts de remporter le gros lot : une importante cargaison de pin maritime.
Une alerte de plus pour les professionnels du bois, qui en dit long sur l’état du marché. Comme le chêne, dont un tiers est déjà destiné à l’exportation vers la Chine, les arbres résineux pourraient suivre la même trajectoire. Le pin maritime, typique des Landes, est de plus en plus sollicité à l’étranger.
En cause, la décision de la Russie d’interdire ou de surtaxer la sortie des bois non transformés de son territoire à partir du 1er janvier 2022.
Résultat : ses partenaires commerciaux, comme la Chine, doivent se fournir ailleurs, tandis que la France s’apprête à devenir le deuxième exportateur mondial. “La Chine anticipe le fait que la Russie va fermer ses portes, et comme l’Europe ne protège pas ses industriels, les Chinois viennent en masse piller tout ce qu’ils peuvent, déplore Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération Nationale du Bois (FNB).
Des Etats s’organisent pour aller prendre la matière première des autres. Ce n’est plus de l’industrie, c’est de la géopolitique.
Une situation qui a poussé la FNB à lancer début juin une pétition, aujourd'hui signée par 11 000 personnes de toute l’Europe. Car son délégué général l’assure : “Il y a un danger réel pour tous les résineux à l’échelle du continent. Tout le monde est inquiet, c’est un problème d’intérêt général qui impacte les scieurs, leurs clients et tout le reste de la chaîne.”
Un marché à flux tendu
Le secrétaire général du syndicat des sylviculteurs du sud-ouest se veut pourtant rassurant. “Il n’y a pas de flux nouveaux vers l’Asie, affirme Eric Dumontet. Qu’il y ait un intérêt tout particulier pour ce massif et une belle essence comme le pin maritime, je peux le comprendre. Mais est-ce qu’on va se mettre à vendre aux Chinois parce qu’ils vont nous proposer un euro de plus au mètre cube ? Je n’y crois pas.”
“Il y a des limites à l’appât du gain, poursuit Nathalie Lasserre, directrice des établissements Ribeyre à Linxe, dans les Landes. Déjà qu’on n’est plus très nombreux dans l’industrie... Ceux qui font cela le paieront un jour. Ils voient ce qui rentre dans le portefeuille à court terme, mais à ce rythme-là, on va manquer de bois et finir par fermer la boutique.”
Cette menace des acheteurs étrangers vient perturber une filière déjà en surchauffe. La reprise économique post-Covid, et la réorientation des fournisseurs comme l’Allemagne ou l’Autriche vers le marché américain contribuent à une explosion de la demande pour le bois français.
Mécaniquement, les prix déjà élevés de la matière première augmentent, et tous n’ont pas les moyens de s’aligner.
“En ce moment, il y a très peu de ventes. Nous avons de la chance d’avoir du stock, mais pour les gros consommateurs, c’est très tendu", appuie Nathalie Lasserre.
Aujourd’hui, je ne connais pas un industriel qui perd des marchés faute d’approvisionnement en pin maritime.
Alors, quel avenir pour le secteur ? “Le pin maritime doit être transformé au niveau local, certifié et utilisé au plus près de la ressource, estime le secrétaire général du syndicat des sylviculteurs du sud-ouest. On souhaite continuer à vendre aux industriels locaux dans le cadre d’une économie circulaire.”
En Aquitaine, région la plus forestière de France dans laquelle 95 % des exploitations sont privées, “il faut pousser la contractualisation à son maximum entre propriétaires et industriels”, conclut Nicolas Douzain-Didier.
La filière bois représente 440 000 emplois dans le pays.