PORTRAIT. "Les gens ne supportent plus l'autorité" : qui est Frédérique Porterie, la procureure qui a dédié sa vie à la justice ?

Ce 10 janvier, Frédérique Porterie, procureure de la République à Bordeaux, vient d'être nommée procureure générale de la cour d'appel de Poitiers, l'une des plus hautes fonctions du monde judiciaire. Violences intrafamiliales, prévention, peines alternatives, durant ces cinq années, elle a marqué le parquet de Bordeaux de son empreinte.

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Une vie, au pas de course. Dans les couloirs du tribunal judiciaire de Bordeaux où se situent les locaux du parquet, la procureure de la République Frédérique Porterie enchaîne les réunions, salue ses collègues, sans jamais s'arrêter. Depuis 2019, elle est à la tête de cette énorme machine judiciaire qui traite en moyenne 120 000 affaires par an.

Ce 10 janvier, elle a été nommée procureure générale de la cour d'appel de Poitiers, l’une des plus hautes fonctions de la magistrature en France.

Sept jours sur sept

Son écran d’ordinateur affiche 7 h 00. Encore dans la pénombre de ce matin d’hiver, Frédérique Porterie est déjà à son bureau. La procureure de Bordeaux prépare son “point d’action publique”, une réunion hebdomadaire avec les 33 magistrats qui composent le parquet départemental. “Un procureur n’est pas tout seul. C’est tout un collectif solidaire, indivisible”, explique celle qui a choisi, en 1986, ce métier. 

Un quotidien au rythme effréné qu’elle partage notamment avec Sébastien Baumert-Stortz, vice-procureur de la République chargé du secrétariat général. “Tous les jours, c’est réunion après réunion, des entretiens, des audiences. Elle est à la fois magistrate, cheffe d’établissement, conseillère. Elle doit pouvoir se rendre disponible sept jours sur sept, à toute heure”, explique-t-il. Si l’emploi du temps de la procureure est rempli, Sébastien Baumert-Stortz retient sa “capacité à prendre le temps”. “J’ai appris la mesure. Elle sait prioriser et être à l’écoute des gens. De nombreux collègues vont facilement se confier à elle”, assure son vice-procureur.

Ce lundi matin, seize gardes à vue font partie de l’ordre du jour. “Il y en a donc eu douze cette nuit”, récapitule-t-elle, après un point des procureurs de permanence. Parmi elles, certains se transformeront en affaire, avec l’ouverture d’une information judiciaire. “Quand vous faites du droit pénal, vous êtes tous les jours avec des victimes, des auteurs et des situations très humaines”, résume Frédérique Porterie.

"Défendre et protéger"

Loin de l'image du procureur persécuteur des séries policières, elle s’est attachée, depuis cinq ans, à incarner une justice “pragmatique”. “On fait toujours passer le procureur pour un méchant, mais notre rôle, c'est celui de défendre l’intérêt de la société, défendre et protéger les personnes violées, volées, violentées, escroquées", rappelle Frédérique Porterie.

Ce rôle, elle l’incarne notamment lors des audiences. Malgré ses multiples casquettes de cheffe d’équipe, de représentante ou encore de coordinatrice de l’action judiciaire sur le territoire girondin, Frédérique Porterie revêt sa robe, toujours la même depuis 37 ans, une fois par mois. “C’est le cœur du métier de magistrat et j’espère pouvoir l’exercer le plus longtemps possible”, confie-t-elle.

Je souhaite que les gens essaient de comprendre eux-mêmes pourquoi ils sont passés à l’acte.

Frédérique Porterie,

Ancienne procureure de la République de Bordeaux

Aujourd'hui, six dossiers sont au programme : conduite sous stupéfiants avec refus d’obtempérer, transport de 4 kg de cocaïne, vol avec violence, appels téléphoniques malveillants sur une ex-conjointe. “On essaie de comprendre qui est la personne derrière les actes, avec ce principe fondamental de la personnalisation de la peine. C’est ce qui fait la grandeur de notre droit pénal", avance Frédérique Porterie.

"Je passe ma journée dans les crimes"

Un amour de la justice qui anime la Gersoise d’origine jusque dans sa sphère privée. Adepte depuis son enfance des polars, elle confie regarder “un épisode par jour” de séries policières. Dans ses coups de cœur : le Bureau des Légendes, Engrenages ou encore l’émission Faites entrer l’accusé. “Mes enfants me disent souvent que je suis timbrée parce que je passe ma journée dans les crimes et délits et le soir, je replonge dans ces histoires. Derrière, c'est l’envie de comprendre pourquoi des vies basculent, pourquoi des gens tombent dans la délinquance”, sourit-elle.

Pour mon papa, ça a toujours été une évidence. Petite, je venais toujours prendre la défense de celui qui était maltraité.

Frédérique Porterie,

Procureure générale de Poitiers

Sa passion, Frédérique Porterie l’a vécu sous diverses casquettes. D’abord substitut du procureur à Pau, elle est devenue tour à tour procureure adjointe à Bayonne, conseillère de la Cour d’appel de Bordeaux en 2008, avant un passage à Paris puis à Madrid, comme magistrat de liaison. “J’ai également été présidente de correctionnelle pendant cinq ans. Je sais aussi ce que c’est d’être de l’autre côté”, indique-t-elle. Une riche expérience qu’elle a d’ailleurs transmise, durant quatre ans, aux élèves de l’École nationale de la magistrature (ENM) à Bordeaux, située à quelques mètres du tribunal.

"Tout sauf la fainéantise"

Pour cet amour de la justice et du service public, Frédérique Porterie ne “compte pas ses heures”. “Il n’y a pas un jour qui passe où je ne me dis pas que c’est un honneur de faire ce métier”, assure-t-elle. Un choix de vie qui ne l’a pourtant jamais empêché de maintenir une vie de famille. “Je suis une mère attentive, parfois trop. J’ai une relation privilégiée avec mes enfants, qui m’ont beaucoup soutenue. Ils sont très moqueurs, mais je sais qu’ils sont fiers de leur maman”, reconnaît l’ancienne procureure de la république de Bordeaux.

Avec ses deux enfants comme dans son métier, Frédérique Porterie a toujours érigé le travail comme une valeur essentielle. “J’ai toujours été exigeante. Je leur ai toujours dit que je supportais tout sauf la fainéantise.” Des principes qu’elle confie avoir hérités de ses parents, arboriculteurs dans le Gers. “Ils nous ont élevés avec le sentiment qu’il fallait travailler et être attentifs aux plus démunis. Mon frère est médecin, ma sœur professeure de lettres, je crois qu’on a tous ce sens du service public", indique-t-elle.

120 000 affaires par an

Des salles d’audience aux rendez-vous avec la police, la gendarmerie ou encore la préfecture, Frédérique Porterie a tenu, durant cinq ans, le parquet de Bordeaux, malgré des effectifs insuffisants. “Nous sommes 29,8 équivalents temps pleins, il en faudrait 33. D’ici à 2027, nous devrions être 36”, calcule-t-elle.

En moyenne, une affaire sur deux est classée sans suite, parce qu’on ne retrouve pas les auteurs, qu’on ne peut caractériser le délit ou le crime.

Frédérique Porterie,

Ancienne procureure de la République de Bordeaux

Avec 120 000 affaires par an et 95 audiences pénales par mois, la charge de travail est considérable. “C’est rageant parce que toutes les juridictions sont confrontées aux mêmes difficultés. Le problème de la pyramide des âges n’a pas été anticipé et maintenant, il faut attendre les effets des recrutements parce que ce n’est pas un métier que l’on prépare en quatre mois”, regrette la procureure. Un constat renforcé, cette année, par un partenariat avec le parquet de Munich. “Ils traitent environ le même nombre d’affaires que nous. Eux, sont 200”, glisse-t-elle dans un sourire évocateur.

"Ils ne supportent plus qu'on leur dise non"

La charge de travail vient également du territoire, très attractif. “Elle a dû faire face au changement de Bordeaux, la croissance de la démographie et donc de la délinquance”, résume Sébastien Baumert-Stortz. Pour la procureure, plus que le nombre d’affaires relativement stable, ce sont les passages à l’acte qui ont évolué. “Ils sont bien plus violents, notamment due à l’absorption de psychotiques, d’alcool ou de médicaments qui perturbent l’esprit des gens. C’est un constat que l’on dresse tous depuis la covid, détaille-t-elle. Et on voit parallèlement une délinquance de mineurs de plus en plus jeune.”

On constate une intolérance à la frustration de beaucoup de personnes. Les gens ne supportent plus l’autorité, qu’on leur dise “non”.

Frédérique Porterie,

Procureure générale de Poitiers depuis le 10 janvier 2025

Elle évoque ainsi le meurtre de Chahinez Daoud, brûlée vive par son conjoint en mai 2021. Un drame suivi quelques mois plus tard par le féminicide de Sandra Pla, tuée en juillet 2021 par son ex-conjoint. “Je me suis rendue sur les lieux. À chaque fois, la situation nous impacte, mais il faut continuer à agir. Comme un médecin, il faut prendre la distance nécessaire, se remémore-t-elle. Ce métier m’a abîmée, mais il ne m’a jamais profondément altérée.”

Prévention et peines alternatives

De ce triste constat, la procureure en a fait son cheval de bataille. “La justice, c'est le dernier rempart d’une société qui ne va pas bien. On vient vers nous quand les barrières élémentaires ont été brisées”, explique Frédérique Porterie. Ces barrières, pour l’ancienne procureure de Bordeaux, résident dans l’éducation des plus jeunes. “Il faut savoir éduquer les enfants, leur dire non, inculquer le respect de l’autre, des filles et des garçons, résume-t-elle, consciente des difficultés de certains schémas familiaux. Il y a de plus en plus de familles monoparentales avec des mamans en situation de précarité qui ont du mal à faire face à des enfants turbulents dans des quartiers où les fréquentations sont souvent toxiques.”

► Le portrait de Frédérique Porterie, réalisé par C. Albo-Reichert et L.Bignalet

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Ce 10 janvier, Frédérique Porterie, procureure de la République à Bordeaux, vient d'être nommée procureure générale de Poitiers, l'une des plus hautes fonctions du monde judiciaire. Portrait réalisé par C. Albo-Reichert et L. Bignalet ©France 3 Aquitaine

Cette éducation, lorsqu’elle fait défaut en amont, Frédérique Porterie tente de l’inculquer au travers de peines alternatives : des stages ou des travaux non rémunérés, sous surveillance et en lien avec leur délit. “Une sanction n’est comprise que lorsqu’elle est exécutée. Ces peines sont des réponses immédiates pour des faits de bas ou moyen spectre”, explique-t-elle.

C’est une vision de la politique pénale, efficiente. Une vision pragmatique de la situation et des attentes de la société.

Sébastien Baumert-Stortz,

Vice-procureur de la République de Bordeaux

Une autre façon d’appliquer la justice qui permet également de désengorger les tribunaux. “Il faut que la justice puisse s’occuper des choses importantes, de personnes présentes pour des faits graves, avec des enjeux de peines, notamment des récidivistes”, détaille Frédérique Porterie. Une justice “en circuit court" qui permet aussi de ne pas faire de la prison la seule réponse pénale.

Le 10 janvier 2025, l'ancienne procureure de Bordeaux a entamé ce qui semble être la dernière étape de sa carrière. Avant de prendre sa retraite, et de renouer “plus amplement” avec son amour pour la cuisine ou celui de l’opéra, Frédérique Porterie, remplacée à Bordeaux par Renaud Gaudeul, a été nommée procureure générale de Poitiers. Une fonction, rattachée à la Cour d’appel qui couvre les juridictions de Poitiers, Niort, les Sables-d’Olonne, Saintes, la Roche-sur-Yon ou encore La Rochelle. Sa carrière, saluée par la profession, est un exemple pour de nombreuses femmes. Si elles représentent 80% de la profession, elles ne sont qu’une poignée à atteindre ces hautes fonctions.

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