Médoc, St-Emilion, Sauternes... derrière ces noms prestigieux, voici une plongée dans un monde caché, celui des ouvriers saisonniers vivant dans la précarité sur ces territoires connus pour leur richesse et leur beauté. On y loge pourtant dans la misère et on mange grâce à l'aide des associations.
À l'ombre des châteaux du Bordelais, la face cachée est moins brillante. Auteure du livre "Les Raisins de la misère", Ixchel Delaporte, journaliste à l'Humanité, a elle-même été surprise de ce contraste visuel lors de son enquête. Se retrouver dans un territoire magnifique, au milieu des vignes et de beaux châteaux et un peu plus loin tant de pauvreté. Le constat est rude.
Le couloir de la pauvreté
Le point de départ c'est une note de l'INSEE en 2011. Elle fait apparaître un couloir de la pauvreté qui pour l'auteur n'a jamais été vu ailleurs en France sur un si petit territoire. Et pas n'importe quel territoire justement : celui des grands crus, qui exposent une richesse. Alors pourquoi tant de pauvreté au milieu de ces fortunes ? Ixchel Delaporte veut mettre ceci en lumière :
Une extrême pauvreté qui n'est pas connue du grand public.
Tous les détails de la note de l'INSEE 2011 sont ici :
Le quart monde aux portes de certains châteaux
Ixchel Delaporte a rencontré des familles qui ne mangent pas tous les jours à leur faim, qui vivent dans des logements de misère. Une misère qui se cache dans les bois, au bord de la Garonne ou la Dordogne, sous des tentes. Dans des logements peu salubres ou loués à prix d'or par des marchands de sommeil.
Elle témoigne de cette femme rencontrée qui vit avec sa fille, son petit-fils. Elle fait les poubelles des supermarchés dans le Sauternais pour se nourrir. Décidément, travailler dans les vignes comme petites mains n'empêche pas la grande précarité. "Ce ne sont pas gens en CDI, ils ne sont pas employés d'un château. La majorité travaillent en contrat à durée déterminé, des petites missions d'interim ou avec des prestataires de service. "
Les châteaux n'embauchent plus, les prestataires se chargent de former les équipes et de donner les services clés en mains.
D'après l'auteure de l'enquête, cette évolution est marquante "depuis une dizaine d'années."
Des prestataires qui font le lien avec des étrangers marocains, latino-américains qui arrivent par exemple à Pauillac car ils ont entendu dire qu'il y avait du travail.
Là ils sont inféodés aux prestataires de service, qui fixent eux-mêmes le taux horaire, parfois ne les payent pas.
Avant, les châteaux savaient ce qui se passait sur leur exploitation, maintenant avec les prestataires, il y a comme un voile.
Financièrement, c'est bien pour les châteaux, le coût du travail baisse.
Un héritage de l'histoire
Les châteaux ont toujours fonctionné avec des petits mains. "Ce n'est pas une coïncidence car historiquement dans le Bordelais, il y a toujours eu une mainmise des châteaux par les grands propriétaires, ça existe depuis le 17e siècle quand le port bordelais prend son essor. Le territoire s'enrichit du commerce avec les Antilles, commerce triangulaire."
Silence au château
Ixchel Delaporte a contacté les châteaux prestigieux via leur service de presse car il est difficile d'approcher directement les grands noms, les grands propriétaires qui sont parmi les plus grandes fortunes du pays. Pas de réponse.
Elle ne met pas pour autant tous les châteaux dans le même panier. " Certains se sont adaptés comme Rothschild en mettant à disposition des terrains pour que les saisonniers installent leur campement" note l'auteure.