Témoignage. Victimes de viols par une fausse gynécologue, elles dénoncent son emprise : "elle a détruit ma fille"

Publié le Écrit par Alicia Girardeau

Le 24 juin, une Girondine, se faisant passer pour une gynécologue, a été renvoyée devant la cour criminelle départementale de Gironde pour "viol", "exercice illégale de la médecine" et "faux et usage de faux". Quatre femmes ont porté plainte pour des faits qui se seraient produits entre 2014 et 2017. L'une d'entre elle raconte l'emprise que cette femme exerçait sur elle.

Quand elle y repense, Cathy Tome réprime son dégoût et ses envies de "vomir". Sept ans que l'affaire traîne, pourtant la sexagénaire "n'a pas versé une larme". En attente du procès, elle préfère contenir "sa rage" et se demande inlassablement pourquoi elle n'a pas cru en ses doutes. Car depuis le premier jour de sa rencontre avec Sandrine B. en 2015, la Girondine qui habite la commune de Canéjan, réfrène des soupçons sur celle qu'elle accuse aujourd'hui de viol et d'exercice illégal de la médecine, comme trois autres femmes originaires de la région.

"Elle s'immisce petit à petit dans nos vies"

Tout aurait commencé au détour de soirées, organisées via l'intermédiaire du site internet de rencontres amicales "On va sortir". Durant l'été, un utilisateur initie régulièrement des "grillades party" auxquelles Cathy et une vingtaine d'autres participants se joignent : "on était une douzaine à revenir à chaque fois". Parmi eux, Sandrine B., présente à tous les repas. L'utilisatrice de 45 ans, emprunterait le pseudonyme "Gabinette" et habite la commune de Cestas. "Je la voyais souvent au repas, elle était seule, les gens ne s'approchaient pas trop d'elle, relève Cathy Tome. À la base, ce n'est pas quelqu'un qui m'a attirée." 

Prise d'empathie, la sexagénaire décide finalement d'enclencher la discussion. Immédiatement, Sandrine B. se serait présentée comme une médecin spécialisée en gériatrie et obstétrique, travaillant pour le service d'hospitalisation à domicile de Bordeaux-Bagatelle. "J'avais du mal à y croire vu qu'elle parlait d'un français approximatif, mais elle rétorquait en justifiant par ses origines belges", précise Cathy, qui se laisse convaincre. "On acquiesce sur certaines choses bêtement parce qu'on y croit, même si au début, je trouvais ça étonnant."

Elle avait un discours bien rodé, elle revenait toujours sur l'aspect qu'elle renvoyait en disant "je sais qu'on dirait pas mais..." et ma foi pourquoi pas.

Catherine Tomé

plaignante

Au cours d'échanges, Sandrine B. se dévoilerait peu à peu sur son passé, évoquerait, par exemple, la supposée mort de son mari en Afghanistan lors d'une prise d'otage ou la mort de son frère jumeau dans un accident de voiture. Malgré de légères suspicions, les deux femmes se lient d'amitié et Sandrine B. "s'immisce petit à petit" dans l'intimité de Cathy. 

Des auscultations à domicile

Selon la plaignante, Sandrine B. prendrait alors de plus en plus de place, se faisant inviter à toutes les soirées théâtre organisées par Cathy, jusqu'à manger quotidiennement à son domicile et s'imposer lors de vacances au Maroc avec sa fille. "Tout ça à mes frais, insiste la sexagénaire. Elle chouinait sans arrêt, se plaignait de problèmes de santé... C'est une spirale, et on ne s'occupait que d'elle."

Sandrine B. propose ensuite de prescrire des ordonnances à Cathy, qui sont acceptées par la pharmacie. Les remboursements par la Sécurité sociale suivent, dissipant les doutes concernant sa profession. Pourtant, pendant un an et malgré l'insistance de son amie, Cathy Tome refuse les auscultations gynécologiques. Jusqu'à craquer, "culpabilisant presque" de douter d'elle. "Un jour, en me palpant le ventre, elle décèle un problème à l'ovaire et voulait aller plus loin", pointe Cathy. Plusieurs consultations auraient suivi à son domicile, nécessitant l'utilisation d'un spéculum.

Elle me faisait des piqûres tous les dimanches et me faisait baisser mon slip intégralement alors que c'était pas nécessaire. Ça me broie l'estomac d'y repenser.

Catherine Tome

plaignante

Sa fille, âgée de 17 ans, à l'époque, aurait, elle aussi, était examinée."Elle lui a dit qu'il fallait se mettre au régime, l'a prévenue de problèmes de santé, lui a dit qu'elle souffrait d'endométriose et qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfant. Elle a détruit ma fille mentalement à ce moment-là", déplore sa mère.

Des faits requalifiés de viol et viol sur mineure

Aujourd'hui, Cathy Tome n'hésite plus à parler d'"emprise psychologique". "Elle a essayé de me bouffer." Alertée par une voisine, qui qualifie Sandrine B. de "maléfique", Cathy décide d'aller vérifier son statut de médecin en pharmacie. L'officine ne parvient pas à la retrouver, tout s'écroule. Cathy dépose plainte en 2017 et va jusqu'à écrire au procureur de la République, Olivier Etienne. 

"C'est lui qui va faire bouger les choses, appuie son avocat, Me Arnaud Bayle. À la base, elles se plaignent pour exercice illégal de la médecine, mais le procureur requalifie les faits de viol et viol sur mineure. Là, va s'ensuivre une instruction très lente. Ce dossier n'est pas pris au sérieux comme il aurait dû l'être", résume-t-il. Un an et demi avant Cathy Tome, une autre femme avait, elle aussi, porté plainte pour des faits similaires. Au total, le dossier regroupe huit procédures visant Sandrine B., pour des faits qui seraient produits entre 2014 et 2017.

Viol sur quatre victimes

Après la requalification des faits, Cathy Tome est stupéfaite. "Sur le moment, je ne me rendais pas compte, je n'avais pas mis ce mot-là, on imagine toujours autre chose quand on parle de viol, souffle-t-elle. Quand vous réalisez ça, ça vous envie de vomir." Comme le révèle le journal Sud Ouest, lors de l'enquête, des perquisitions auraient été réalisées au domicile de l'accusée et des vidéos à caractère pornographique dans le cadre gynécologique auraient été retrouvées dans son ordinateur, tout comme "des livres de médecine".

Ma fille ne veut plus voir de gynéco, fait des cauchemars alors qu'elle se disait pas affectée.

Catherine Tome

plaignante

"Ma cliente craignait une correctionnalisation, c'est-à-dire l'atténuation des faits pour basculer sur une procédure en correctionnelle", explique Me Arnaud Bayle. Parfois, certains crimes comme des viols ne correspondent pas à la caricature des faits tels qu'on l'entend, car la victime n'a pas sentiment d'être violée :  aucune lésion, pas de blessure et un consentement apparent. Avec l'accord des victimes, on enlèvecertaines circonstances, on reste sur l'agression sexuelle et on évite la cour d'assise donc."

Ce n'est pas le cas de Sandrine B. Le 24 juin, la suspecte est renvoyée devant la cour criminelle départementale de Gironde, confirme le parquet de Bordeaux. Une "satisfaction" pour l'avocat de Cathy et de sa fille, de voir des faits "pris à leur juste mesure". Parmi les chefs d'accusation, des viols sur quatre victimes, mais aussi l'exercice illégal de la médecine ainsi que le faux et l'usage de faux. Parmi les parties civiles, la maison de santé protestante de Bagatelle et l'Ordre des médecins de Gironde.

Tourner la page

De ce procès, Cathy Tome espère une condamnation, surtout, et un nouveau départ. "Qu'elle aille en prison pour tout ce que j'ai perdu, y compris en amitié, elle m'a fait éloigner de beaucoup de monde. Aujourd'hui, je n'arrive pas à avancer", lâche la plaignante. 

Par le passé, Sandrine B. a déjà été condamnée dans une affaire de harcèlement. En 2020, la suspecte avait été placée sous contrôle judiciaire. Contacté, son avocat, Me. Benoît Ducos-Ader, n'a pas souhaité s'exprimer "pour des raisons déontologiques, la cour d'appel étant saisie".

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