A l'occasion des Terres de Jim, qui se tiennent à Saint-Jean d'Illac du 4 au 7 septembre, France 3 Aquitaine vous propose une série de portraits de jeunes agriculteurs. Rencontre aujourd'hui avec Bérénice Walton, éleveuse de vaches bazadaises dans le Libournais.
"Quand les gens que je rencontre me demandent ce que je fais dans la vie, ils ont du mal à y croire. Et pourtant si, je suis bien agricultrice !" Bérénice Walton esquisse un sourire, consciente qu’elle n’entre pas tout à fait dans les cases. Son profil détonne dans un milieu agricole encore très masculin. A 24 ans, la jeune femme est pourtant à la tête de son exploitation, à deux pas de Libourne en Gironde.
Installée depuis 2011, elle élève pas moins de 150 vaches. "Des bazadaises" précise-t-elle, plébiscitées pour leur viande persillée et reconnaissables à leur robe élégante robe grise. Délaissée après la guerre au profit des tracteurs, la race effectue son retour en grâce et profitent d’un plan de relance depuis 1995.
Une transmission dans la douleur
Pour Bérénice, l’élevage est une affaire familiale : les 80 hectares de terres et les bâtiments, elle les a rachetés à son père voilà trois ans. Il souhaitait passer la main, et c’est elle, la benjamine de la famille, qui s’est lancée. "Depuis le lycée, j’apportais mon aide sur l’exploitation. Mes deux frères, eux, se sont orientés dans des secteurs différents." Gérer la succession a été une épreuve, elle a laissé des séquelles : "Mon père n’avait pas totalement anticipé sa retraite." Une fin d’activité difficile à appréhender. "Après quelques temps, il ne voulait plus se retirer, c’est devenu trop compliqué à gérer." Engagée dans son projet, l’éleveuse a maintenu le cap et pris ses distances. Aujourd’hui, ils ont coupé les ponts.
Le pari du circuit court
Le changement de propriétaire s’est accompagné d’un renouveau des pratiques sur l’exploitation. "Les parents ont une façon de travailler, nous avons la nôtre" glisse Bérénice entre deux gorgées de café. D’emblée, elle opte pour les circuits courts, monte un site Internet et tente de rapprocher le consommateur du produit.Je suis un peu terroir, j’avais besoin de savoir qui allait consommer mes produits. Manger local, de saison, c’est un message que je veux aussi partager.
Avec sa petite camionnette, elle arpente les routes de Gironde, livre des particuliers qui ont réservé à l’avance des lots de viande. Elle s’est aussi associée avec un boucher à Paris, qui lui offre un autre débouché. 15€ le kilo, livraison comprise, c’est à ses yeux le prix de la traçabilité et de la qualité. Celui de la rentabilité aussi : Bérénice a pu conserver à ses côtés l’ancien employé de son père, et se réjouit de voir son carnet de commande bien fourni. Si elle ne se dégage pour l’instant pas un vrai salaire, la girondine assure ne "pas avoir de gros besoins."
Les aides - celles de l’Union Européenne notamment - sont bienvenues, mais elle ne veut pas les voir autrement que comme un bonus.
D’abord agricultrice, Bérénice est devenue par la force des choses une gestionnaire. "Pour ça, je n’ai pas fait d’études spécifiques, mais j’ai appris."Je me suis toujours dit que la production devait permettre de couvrir les dépenses.
L'élevage au féminin
Pour me conduire jusqu’à ses bazadaises, Bérénice enfile des chaussettes et saisit une paire de Converses. Furtivement, on aperçoit un vernis soigneusement appliqué, une touche de couleur qui vient compléter son maquillage discret. Agricultrice, jeune, féminine, des clichés tombent. "J’aime bien me maquiller lorsque je quitte l’exploitation" explique-t-elle d'un air enjoué. Son statut de femme lui vaut parfois quelques situations cocasses, comme lorsqu’elle prend le volant du tracteur. "Au bord de la route, le gens s’arrêtent, certains sont vraiment surpris !" Une curiosité qui peut parfois s’accompagner d’un certain machisme.
Les jeunes agriculteurs sont habitués à voir des femmes se lancer, mais certains plus âgés se montrent obtus, voire blessants. "C’est une chance d’être une femme, mais aussi un combat de tous les jours." Il faut faire face à la défiance de certains agriculteurs, à des jalousies et parfois à des remarques acerbes. Sur Internet, Bérénice a déjà reçu des commentaires désobligeants : « Une personne m'avait écrit qu’une jeune femme à la tête d’une exploitation, c’était un coup de com’… J’étais outrée. » Avec les collègues féminines qu’elle rencontre, l’éleveuse parle sans détour de ce sexisme : « Nous sommes toutes confrontées à ce genre de réflexions, c’est choquant mais il faut passer outre. »
La passion permet de dépasser tout ça. Elle agit tel un moteur. Pour beaucoup, la charge de travail et les contraintes de ce métier font peur. "J’ai plein de loisirs" tempère Bérénice, "et je suis partie 5 jours en Espagne cet été." Alors "forcément, quand mes amis m’appellent pour sortir à l'époque ou les vaches vêlent, c’est pas possible. Mais je peux aussi me libérer du temps, je suis libre d’organiser la façon dont je travaille." Des moments libres qu’elle consacre entre autres aux Jeunes Agriculteurs, rejoints peu après son installation.
Au sein du syndicat, il y a un partage avec les autres jeunes, une ouverture : on découvre d’autres productions. Nos professions ont beaucoup évolué, j’ai le sentiment que notre génération revient à une façon de travailler qui était celle de nos grands-parents, avec bien sûr par-dessus d’énormes progrès technologiques.
Bérénice partage aussi sa passion avec son compagnon. Il n’est pas agriculteur mais lui donne un coup de main à l’occasion.
La jeune brune semble sereine face à l’avenir : "J’ai gagné du temps grâce à la médiatisation." Des projets se dessinent, comme celui d’une appellation pour protéger la race bazadaise. Derrière elle, d’autres jeunes agriculteurs sont présents, une épaule sur laquelle s’appuyer et des partenaires avec lesquels entreprendre. Avec eux, Bérénice entend bien défendre son métier.
Si on ne le fait pas, qui le fera pour nous ?