Aménagées il y a plus de 150 ans, les digues qui longent la Dordogne, pourraient être modifiées dès le 1er juillet prochain, conformément à la loi sur l'eau de 2014. Élus et habitants se mobilisent pour que celles-ci soient classées et ainsi protégées.
"Tout à l’heure, on avait de l’eau qui passait par-dessus les bottes." Ce mardi 12 mars, Olivier Desagnat, l'adjoint au maire d'Asques arpente les rues de son village tout en surveillant les débordements.
Un rituel en période de grandes marées. Avec quantité de maisons situées en première ligne le long du fleuve, les inondations sont courantes. Et les habitants s'entraident. "On a l’habitude, on vit au bord de l’eau", précise l'élu, qui se rend dans une maison touchée par les phénomènes de la veille.
"Là, on est dans une maison où le sol est le plus bas, donc elle est très souvent inondée,"spécifie Olivier Desagnat après avoir enjambé le batardeau qui la protège.
Des maisons équipées
L'habitation a pris l'eau en pleine nuit. Pourtant, à 10 heures ce mardi matin, elle est presque immaculée. Les propriétaires sont habitués et se sont organisés, notamment en l'aménageant un puits muni de deux pompes intégrées au sol de l'arrière-cuisine.
"On a deux pompes pour évacuer toute l’eau qui rentre dans la maison" explique Gilles Rouliot, propriétaire de la maison. "On est obligés de mettre ces pompes pour que l’eau reste au niveau du carrelage et qu’il n'y ait pas plus de 1 cm d’eau. Parce que la maison fait 80 m² alors 2 cm d’eau, c'est énorme". Autre paramètre à prendre en compte : cette maison a été protégée par la digue qui ceinture le village depuis les bords de Dordogne. Sur ce territoire, où l'eau monte régulièrement, ce sont elles qui protègent ce village de 450 habitants situé en bord de Dordogne.
Des digues difficiles à préserver
En 2014, la loi Gemapi revoit le schéma traditionnel d'entretien des digues. Construites par l'Etat et entretenues par lui depuis le XIXᵉ siècle, celles-ci tombent dans le giron des communautés de communes.
"En tant qu’élu, on bataille pour essayer d’obtenir des moyens pour préserver l’état des digues, qui sont les outils traditionnels pour éviter les montées de l’eau. En ce moment, il y a des difficultés à travailler cette question-là", reconnaît Olivier Desagnat. "Les taxes collectées sont trop faibles par rapport à l’ampleur des travaux". Des taxes instituées par la loi de 2014, collectées par les communautés de Communes.
Trop cher, trop de responsabilités
À quelques kilomètres d'Asques, la commune de Lugon est soumis à la même problématique. "Le problème , c'est que la nouvelle loi dit que la communauté de communes a en charge de la gestion de ces digues, mais elle peut aussi en refuser la gestion ", explique posément Frédéric Mailler, viticulteur. Mais très vite, son ton monte, tant la problématique est fondamentale pour lui et pour ses vignes qui pourraient se retrouver sous l'eau. Car, poursuit-il, la communauté de commune de Fronsac ne souhaite pas faire les travaux nécessaires.
"Aujourd’hui, on a un débat très houleux avec la communauté de communes de Fronsac qui refuse catégoriquement le débat.Elle dit que ça coute beaucoup trop cher au regard d’une étude faite par Artelia (cabinet de conseil) et elle veut se désengager de la responsabilité, car qui dit gestion dit responsabilité pénale s'il y a un problème" précise-t-il.
Nous, on souhaite continuer à vivre sur ce territoire et c'est tout à fait possible.
Frédéric MaillerViticulteur à Lugon
La crainte de l'abandon
Depuis quelques années à Lugon, comme à Asques, les habitants se battent pour le classement par les communautés de communes des digues. "Nous sommes coincés avec une absence totale de décisions et le risque qu’au 1 juillet 2024, s'il n’y a pas de classements de ces digues, automatiquement, elles seront abandonnées."
On pourrait nous obliger à faire des trous à la pelleteuse dans les digues pour que l’eau circule à très hautes marées.
Frédéric MaillerViticulteur
Le viticulteur est très remonté contre cet état de fait qui pourrait être scellé le 1ᵉʳ juillet, date de la décision de classement des digues ou pas. "Ça veut dire trois choses, ça veut dire un risque à la sécurité des personnes, une incapacité très probable d’exploiter les vignes, les chambres d’hôtes ou notre guinguette que nous avons, et puis ça veut dire qu'on part".
Un scénario catastrophe, alors qu'aucune indemnisation n'est prévue par la loi.
On est sur une indécence absolue d’une décision qui est inique, en cas de non-classement
Frédéric MaillerViticulteur
Faire face à la montée des eaux
Au-delà de cette décision, se pose la question plus globale de la protection des bords de Dordogne. "Malheureusement ce qu’on observe, c'est que ces dernières années, les épisodes se succèdent de plus en plus fréquemment et l’eau monte de plus en plus haut", déclare Olivier Desagnat, avant d'ajouter "aujourd’hui le niveau moyen est en train de s’élever et les prévisions, on prévoit +40 cm d'ici à 2100".
Comment on adapte les habitats pour qu’ils soient en capacité de se protéger ? Ce ne sont pas des vagues de submersion, ce n'est pas énorme, mais il faut qu’on soit autorisés à le faire.
Olivier DesagnatAdjoint au maire d'Asques
Le combat s'organise en rang dans les deux communes "Nous, on bataille pour continuer à vivre sur ce territoire qui a été pensé en lien avec l’eau. Il y a plein de canaux qui permettent à l’eau de circuler", lance Olivier Desagnat, avant de reprendre : "on souhaite continuer à vivre sur ce territoire, c’est tout à fait possible."