Alors que le 10 juin 2024 marquera les 80 ans du massacre d'Oradour-sur-Glane, un film documentaire pose la question de la transmission de la mémoire. Qui seront-ils demain à parler du passé alors que les derniers témoins ont disparu ?
Il y a d'abord des routes qui serpentent dans la campagne limousine et mènent au village d'Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne, à moins de trente kilomètres de Limoges. Des routes qui s'engouffrent dans un village reconstruit. Architecture simple, efficace, sans extravagance. Il faut dire que ce village jouxte le village martyr.
Il y a ensuite des ruines qui s'élèvent vers le ciel malgré les assauts des flammes du 10 juin 1944 et des attaques du temps qui abîment chaque jour un peu plus ce lieu resté figé après que la décision nationale fut prise, de le conserver, en l'état.
Il y a enfin, au milieu des murs qui portent tous les traces de l'indépassable, le silence. Un silence assourdissant à peine perturbé par le chant des oiseaux au printemps et le bruit du vent l'hiver. Des rues, quelques plaques en mémoire de commerces disparus, des poteaux électriques qui apportaient la modernité et puis des regards, ceux des visiteurs. Ils sont venus voir l'incompréhensible. Ils sont venus comprendre, expliquer, partager. Vivants au milieu des âmes des 643 victimes de la 3ᵉ Das Reich.
Dans le village, il y a aussi des plaques : Remember - Souviens-toi.
Un appel à la mémoire comme un devoir à respecter ici, peut-être encore plus qu'ailleurs. Souviens-toi. Après le souvenir, le recueillement puis la transmission. Mais comment transmettre la mémoire quand tous les derniers témoins sont morts, comment le faire en répondant aux enjeux contemporains ?
C'est précisément l'objet d'un film documentaire réalisé par Patrick Séraudie : Oradour, les passeurs de mémoire.
Le réalisateur qui a consacré une partie de son travail au devoir mémoriel a accepté de répondre à nos questions.
3 questions à Patrick Séraudie, réalisateur d'Oradour, les passeurs de mémoire
En quoi la transmission de la mémoire est au cœur de ce film ?
Ce film est un instantané de l’histoire riche et complexe d’Oradour-sur-Glane, une photographie à la veille des 80 ans du massacre. J’ai souhaité questionner des membres de l’ANFMOG (Association Nationale des Familles des Martyrs d'Oradour-sur-Glane), de générations différentes, sur la transmission de cette mémoire au sein des familles tout en restant au plus près des ruines du village martyr. Je n’ai pas voulu être didactique dans mon récit. C’est par la succession de situations, de rencontres et de témoignages que je montre l’engagement de ces personnes.
Quelles ont été vos motivations pour réaliser Oradour, les passeurs de mémoire ?
La disparition de Robert Hébras, dernier survivant du massacre, fut l’élément déclencheur. Comment ensuite transmettre ? Même si la place du Centre de la Mémoire n’est pas à remettre en cause, il m’a semblé que l’ANFMOG allait poursuivre le travail de la génération précédente, celle des rescapés. L’arrivée de Benoît Sadry à la présidence en 2022 a donné l’élan pour engager l’association dans une ère nouvelle. C’est ce moment de bascule que j’ai souhaité capter.
Que souhaiteriez-vous que l'on retienne de ce film documentaire ?
Tout simplement, l’engagement de ces personnes et une certaine forme de résistance. La situation internationale est plus qu’inquiétante avec plusieurs conflits, dont un aux portes de l’Europe et la présence très forte de l’extrême droite un peu partout. Il ne me semble donc pas vain de lutter contre ces évènements en rappelant l’histoire d’Oradour et en s’appuyant sur la force évocatrice des ruines.
Le mot « passeur » dans le titre renvoie aussi à la période de l’occupation et à la résistance. Il nous faut tous résister. L’engagement des membres de l’association à transmettre un message de paix y participe.
Poursuivre le travail mémoriel
Le documentaire commence par des images en noir et blanc. La voix d'un journaliste s'habille du ton en vogue juste après la Seconde Guerre mondiale.
Puis viennent des images en couleurs.
Entre les deux ? Des années pour chercher à comprendre, à défaut d'expliquer, et des visites officielles et des réconciliations, encore fragiles. Et puis toujours, irrémédiablement, inlassablement, obstinément : le devoir de mémoire et de transmission, mais aussi de conservation des 300 bâtiments répartis sur 11 hectares de ruines qu'il devient important de préserver.
Oradour se lit dans sa dimension géographique importante (...) qui révèle cette dimension de massacre de masse.
Benoît Sadry - Président de l'ANFMOG
Se pose alors la question de la conservation des objets récupérés après le massacre et des documents utiles au travail des historiens qui participent à transmettre, factuellement. Sur ce sujet, le Centre de la Mémoire d'Oradour joue un rôle essentiel. Depuis plusieurs années, l'entrée dans le village martyr se fait obligatoirement par ce lieu, car il est indispensable de comprendre avant de voir puis de transmettre.
La transmission, c'est aussi des témoignages, auprès des visiteurs, ou dans les écoles, comme le montre l'extrait du documentaire à regarder et à écoute ci-dessous.
80 après le massacre, ils sont nombreux à craindre un relâchement pour l'intérêt de ce qui s'est passé à Oradour. D'autres n'imaginent pas que cette démarche initiée au lendemain de cette tragédie puisse ne plus exister.
Le dernier témoin a disparu il y a peu de temps, il reste à notre charge de continuer ce qui a été fait, il faut perpétuer le souvenir et conserver cette mémoire et empêcher les provocations qui peuvent arriver maintenant. Nous ne sommes que des passeurs de mémoire, mais nous devons le faire, passer cette mémoire à d'autres.
Jacky Dourtre, intervenant dans Oradour, les passeurs de mémoire
Le Centre de la Mémoire d'Oradour contient dans son nom le devoir mémoriel. Des expositions participent à maintenir le passé visible.
Oradour porte en elle le nom de la barbarie et son poids. Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris pourraient sembler très éloignés du massacre d'Oradour. Et pourtant...des points communs existent. Se pose alors la même question sur la transmission, le devoir de mémoire.
Dorénavant, le message lié au 10 juin 1944 dépasse les frontières de cette petite commune haut-viennoise. Le message est devenu universel, c'est aussi pour cela que le film de Patrick Séraudie est utile, important et s'inscrit dans la dynamique des passeurs de mémoire.
Les passeurs de mémoire, un film de Patrick Séraudie co-écrit avec Anna Zisman, coproduit par Pyramide Production et France Télévisions, est d'ores et déjà disponible gratuitement sur la plateforme france.tv et sera diffusé le jeudi 13 juin à 22.50 sur France 3 Nouvelle-Aquitaine puis en replay pendant 30 jours.
Cette diffusion sera suivie d'un débat : Oradour, 80 ans après.
Pour retrouver l'ensemble de la programmation dédiée aux 80 ans du massacre d'Oradour-sur-Glane, cliquez ici.