Les troubles des conduites alimentaires touchent 900 000 personnes en France. Au centre hospitalier Esquirol, à Limoges, l'unité George Sand accueille des patients venus de tout le Limousin et de Nouvelle-Aquitaine. Elle propose une prise en charge pluridisciplinaire.
C'est l'une des premières causes de mortalité prématurée chez les 15-24 : les TCA, troubles des conduites alimentaires, parmi lesquels l'anorexie mentale, la boulimie ou l'hyperphagie.
Dans au moins 80% des cas, l'anorexie touche des jeunes filles, comme Laura, 18 ans, originaire de Corrèze.
Elle a basculé dans l'anorexie dite "restrictive" lors du premier confinement au printemps 2020.
"A l'époque, j'étais en surpoids. J'étais interne, donc je mangeais toujours au self, sans vraiment maîtriser mon alimentation", raconte la jeune fille, "Lors du confinement , j'ai commencé à faire du sport tous les jours, à faire attention à ce que je mangeais. Plus ça allait, plus j'ai commencé à perdre du poids, et j'étais contente. Du coup, je limitais certains aliments, je faisais beaucoup de sport, à m'en épuiser..."
En six mois, la jeune fille perd 30 kgs, jusqu'à ne peser plus que 38 petits kgs en décembre 2020. La décision est alors prise de l'hospitaliser dans l'unité George Sand à Limoges. Elle y restera jusqu'à mi-mai 2021.
Désormais, Laura se rend au centre hospitalier Esquirol une journée toutes les deux semaines, en hôpital de jour.
La jeune fille, qui pèse aujourd'hui encore à peine 40 kgs, n'est pas sortie d'affaire, même si elle a pris beaucoup de recul sur sa maladie.
Elle a notamment enregistré une vidéo en ligne baptisée "L'anorexie, on en parle ?" dans laquelle elle raconte son expérience et présente, de façon scientifique, les différentes formes d'anorexie mentale.
Une prise en charge pluridisciplinaire
L'unité George Sand, au CH Esquirol à Limoges, existe dans sa forme actuelle depuis 7 ans environ. C'est l'une des rares structures en Nouvelle-Aquitaine à proposer une prise en charge complète des TCA, avec un accompagnement pluridisciplinaire, à la fois sur le plan nutritionnel et psychologique.
L'unité compte 9 lits d'hospitalisation pour les cas les plus graves et 2 places en hôpital de jour, qui permettent de suivre environ 25 patientes supplémentaires.
Car il s'agit quasi exclusivement de femmes.
"C'est une maladie car les patientes ne sont pas conscientes de leur état, sont envahies par des préoccupations pour lesquelles elles ne peuvent rien faire. Et elles vont parfois dépérir, avec une grande difficulté à s'alimenter, jusqu'à se mettre dans des états très critiques", explique le Dr Pierre Sazerat, psychiatre et médecin référent de l'unité George Sand.
Certaines doivent faire un passage au service des soins intensifs du CHU avant de pouvoir être admises dans l'unité George Sand.
Des repas thérapeutiques
Au sein de l'unité, elles sont suivies par plusieurs professionnels : psychiatre, psychologue, diététicienne, nutritionniste, psychomotricienne, infirmières...
Certains repas sont "thérapeutiques", c'est-à-dire qu'ils sont pris en présence d'une infirmière qui mange avec la patiente.
"Cela permet de voir si les patients ont des évitements par rapport à certains aliments, de les accompagner pour faire en sorte que ce soit moins compliqué. Nous surveillons aussi la durée du repas, car certaines patientes peuvent manger très vite par peur d'un aliment, pour ne plus avoir à y faire face. Ou au contraire prendre beaucoup de temps, pour ne plus avoir la sensation de faim par la suite", explique Mathilde, une infirmière qui s'occupe ce jour-là de Laura.
Pour Laura, en l'occurence, réintroduire certains aliments n'est pas encore chose aisée. "Chaque veille de venir à l'hôpital de jour, je me lance un défi", raconte-t-elle à la diététicienne, "Sur une application en forme de roue, j'ai rentré mes frayeurs alimentaires. Hier, c'est tombé sur pâtes au beurre...".
Ce jour-là, lors du repas thérapeutique, c'est la purée qui lui pose problème : "Quand j'ai préparé moi-même mon repas et que je connais la composition, ça va. Mais là, je ne sais pas comment a été préparée la purée et ça peut être source d'angoisse".
La jeune fille viendra finalement à bout de son assiette sans trop de difficultés.
Travail sur le corps et l'esprit
Au delà de l'aspect nutritionnel, une grande partie de la prise en charge est psychologique.
Avec une psychomotricienne, Laura et les autres patientes travaillent sur l'image qu'elles se font de leur corps.
Ce jour-là, après quelques exercices de réveil corporel, Laura, allongée sur un matelas, se fait entourer de couvertures pour prendre conscience de l'empreinte de son corps.
"Souvent, elles vont se percevoir plus en volume qu'elles ne le sont réellement.Il y a quelque chose qui n'est pas réintégré, remis à jour au niveau de leur image corporelle. Donc on va retravailler sur la perception de leur volume réel, de leur structure de corps. Et aussi sur la valorisation : le corps n'est pas forcément l'élément à éliminer, le mauvais...", explique Céline Passerieux, psychomotricienne à l'unité George Sand.
Autre travail à effectuer : une remédiation cognitive. "Des recherches ont montré que les patients qui souffrent de TCA, et notamment d'anorexie, ont un profil cognitif (c'est-à-dire une façon de pensée) un peu différente de la majorité de la population : une préférence à faire des rituels, à planifier, à tout prévoir, vouloir tout organiser. Il faut travailler ces fonctionnements-là, les réassouplir, car ils renforcent la maladie", explique Emilie Juteau, psychologue, qui anime des ateliers de groupe de remédiation cognitive.
La prise en charge des patients souffrant de TCA est souvent longue. On estime qu'un tiers en guérit complètement, un tiers reste fragile, et un tiers ne parvient jamais vraiment à se sortir de cette maladie qui touche le corps et l'esprit.